Tranquille petite ville provençale déjà écrasée, en cette mi-mars, par une chaleur précoce, Grasse a pris jeudi des allures de camp retranché. Après la fusillade intervenue à la mi-journée dans le lycée Alexis-de-Tocqueville, au cours de laquelle le proviseur de l'établissement ainsi que plusieurs élèves ont été touchés par les tirs d'un élève de 16 ans scolarisé en première L dans ce même établissement, la sous-préfecture des Alpes-Maritimes a été bouclée par les forces de l'ordre tout l'après-midi.
Tous les élèves des établissements scolaires de la ville ont par ailleurs été cantonnés dans leur école jusqu'en fin d'après-midi. Même le tribunal a été claquemuré pendant plus de deux heures. «Ma fille m'a appelée à 13 h 12, elle était en pleurs», raconte une maman d'élève de terminale venue prendre des nouvelles de sa progéniture vers 5 heures de l'après-midi près de ce lycée. L'établissement est situé en périphérie de la ville et accueille environ un millier d'élèves. «Pour l'instant, elle est encore confinée avec les autres élèves dans le gymnase, reprend la maman. Je sais que je n'aurais pas dû venir, que ça ne sert à rien, mais c'est terrible, je n'ai pas pu m'en empêcher.»
Plus loin, deux lycéens, qui avaient réussi de leur côté à quitter l'établissement, livraient leur témoignage. «Il était aux alentours de 12 h 50, raconte Andreas, un élève de terminale. C'était la panique, j'ai entendu quatre coups de feu, après j'ai vu une foule courir, du coup on a tous couru. Ensuite, j'ai pu prendre quelques vidéos de policiers en intervention, et ils nous ont dirigés mains sur la tête dans le couloir. Il y avait des traces de sang partout, c'était troublant. C'est après qu'on a compris ce qui s'était passé: c'était un petit jeune, pas du tout comme un radical, un tout petit qui est arrivé et qui a tiré sur le proviseur»
Au total, dix victimes, mais aucune gravement, ont été dénombrées, dont trois pour un état de choc. La ministre de l'Éducation nationale, Najat Vallaud-Belkacem, s'est immédiatement rendue sur place. «Nous sommes passés à côté du pire. Il s'agit visiblement de l'acte fou d'un jeune homme fragile et fasciné par les armes à feu», a-t-elle ajouté.
Fabienne Atzori, la nouvelle procureure de la République de Grasse, a connu ainsi son baptême du feu avec cet événement qui a mis toute la ville en émoi. À 17 h 30, dans les sous-sols du palais de justice, elle a donné une conférence de presse et livré les premiers éléments de l'enquête. «À 12 h 55, un élève du lycée Tocqueville s'est introduit dans l'établissement avec un fusil à pompe, plusieurs munitions pour ce fusil (des cartouches chargées avec du plomb, NDLR), des armes de poing et une grenade d'exercice, a précisé la magistrate. Il semblerait aussi qu'il ait confectionné un explosif artisanal mais cela mérite des éclaircissements.» Selon elle, l'élève serait d'abord entré par erreur dans une classe, attirant sur lui l'attention des élèves qui préviennent alors le proviseur, lequel décide d'intervenir. Mais avant qu'il n'ait pu le faire, le tireur blesse au ventre l'un de ses camarades. Le proviseur s'interpose alors courageusement et, à son tour, est blessé à l'épaule. D'autres élèves semblent avoir été touchés incidemment par ces tirs de plomb avant que, vers 13 h 05, l'individu soit interpellé en douceur par la police. «Il était inconnu des services de police ou de justice», a aussi souligné la représentante du parquet, indiquant que le jeune élève est en garde à vue pour «tentative d'assassinats».
Les motivations de son acte semblent liées aux mauvaises relations qu'il entretenait avec d'autres élèves de son lycée, excluant tout mobile terroriste, selon la procureure. Son profil Facebook fait toutefois apparaître un profil inquiétant, le jeune garçon ayant, semble-t-il, posté plusieurs images morbides, notamment une photo du massacre du lycée de Columbine, aux États-Unis, qui avait fait 15 morts en 1999. Selon une source politique, l'assaillant est le fils d'un élu de droite de la ville de Grasse.
La sécurité du lycée Tocqueville est-elle en cause? Selon un élève de l'établissement croisé non loin de là, «depuis les attentats, il y a eu un renforcement de la sécurité, au niveau des entrées et des sorties. Ils contrôlaient à chaque fois l'identité, on devait montrer les carnets à un surveillant. Ils faisaient plus attention mais, depuis quelques mois, ça s'est relâché et je pense que c'est comme ça qu'il a réussi à rentrer avec une arme.»
Venu rendre visite aux blessés à l'hôpital, le président de la région, Christian Estrosi, n'a pas voulu lancer une éventuelle polémique sur la question des portiques de sécurité qui pourraient détecter des métaux - ce dont le lycée grassois n'était pas équipé -, se contentant de renvoyer la balle dans le camp de l'État. «Un établissement scolaire, quel qu'il soit, doit être un sanctuaire de la République, a simplement souligné celui qui est aussi 1er adjoint de la ville de Nice. Quand je vois la manière dont on m'a contesté le fait que, dans les écoles de ma ville, là où je suis l'autorité, j'ai voulu placer des policiers municipaux dans chaque école... Eh bien je pense que l'État devrait prendre des mesures qui fassent que, devant tous les établissements de second degré, il y ait des moyens exceptionnels relevant, bien évidemment, de l'État et du ministère de l'Intérieur…»
Le Figaro