Par David Ruzié, professeur émérite des universités et spécialiste de droit international.
Viktor Orban, premier ministre hongrois est venu s’expliquer, mercredi 18 janvier 2012, devant le Parlement européen, à propos de plusieurs dispositions de loi de son pays, qui inquiètent, à juste titre, l’Union européenne et il s’est engagé à les revoir. Il a tout intérêt à le faire, car d’une part, en pleine crise économique, son pays a besoin d’une aide financière de la part de ses partenaires et d’autre part, la Commission européenne a engagé trois procédures d’infraction, qui peuvent aboutir à une condamnation de la part de la Cour de justice de l’Union européenne.
« Par certains côtés, les vieux démons ont la vie dure »
En effet, trois points sont, notamment, en jeu : l’indépendance de la Banque centrale, celle de la justice menacée d’une mise au pas et la protection des données personnelles.
De fait, cela fait quelque temps déjà que l’évolution politique de la Hongrie inquiète.
A la suite des élections législatives du printemps 2010, le parti socialiste au pouvoir pendant 8 ans a du céder la place à l’Union civique (Fidesz), qui avec près de 53% des voix au premier tour de scrutin, a obtenu plus des deux tiers des sièges au Parlement, ce qui va lui permettre de faire passer dans le texte d’une nouvelle Constitution un certain nombre de ses idées, fortement marquées par l’autoritarisme et le nationalisme.
Effectivement, la Constitution d’avril 2011, entrée en vigueur le 1er janvier dernier, fixe de nouvelles bases à la Hongrie (qui cesse d’être officiellement, une « République ») alors qu’à la chute du régime communiste un simple toilettage avait été apporté à la constitution de 1949.
Les querelles sémantiques doivent, certes, être dépassées (la Hongrie avait bien été de 1920 à 1946 une monarchie…..sans roi) et s’il est vrai qu’il est fait référence à Dieu et au christianisme dans le Préambule de la nouvelle constitution, il ne faut pas oublier que si la Constitution des Etats-Unis de 1787 ne contient pas de telles références, il n’en demeure pas moins que les références à Dieu sont omniprésentes dans la vie publique américaine et la Constitution fédérale de la Confédération suisse de 1999 évoque, elle, dès l’entrée « Dieu Tout-Puissant ».
Il n’est pas certain non plus que la précision que le mariage désigne une union entre un homme et une femme puisse être considérée comme homophobe. En revanche, le fait de considérer que l’embryon est un être vivant risque de s’opposer à l’interruption volontaire de grossesse.
Mais tout cela n’est rien par rapport à certaines dispositions de nature économique, fiscale et en ce qui concerne la justice, dont la modification sera rendue très difficile en raison de la majorité des 2/3 qu’elle implique.
D’ailleurs plus que les textes en eux-mêmes c’est la politique suivie par Viktor Orban (pourtant venu d’un courant libéral anti-communiste), parfois appelé « Viktator » depuis son retour au pouvoir en mai 2010 (il avait déjà été Ministre-président, à 35 ans, de 1998 à 2002), qui inquiète.
C’est moins la pratique du « spoil system » (« pratique des dépouilles », qui permet au parti majoritaire de remplacer les hommes en place aux postes-clés par des affidés au pouvoir), qui a été critiquée, car en usage dans de nombreux pays, que certaines nominations intervenues depuis 2010, jusque dans les milieux culturels, par exemple par la nomination d’un nouveau directeur à la tête du Théâtre national de Budapest, suspecté d’antisémitisme.
Après tout, plus que les textes eux-mêmes c’est l’usage qu’on en fait, qui compte et nombreux sont ceux qui s’inquiètent d’une évolution de la Hongrie vers une « démocrature ».
La seule radio d’opposition a, ainsi, récemment, perdu sa fréquence. Des licenciements sont intervenus dans les médias publics.
Et la menace vient également du fait que le Fidesz, déjà largement majoritaire, est aiguillonné par le Jobbik, (Alliance des Jeunes de Droite-Mouvement pour une meilleure Hongrie) parti ouvertement antisémite, qui dispose de 47 sièges au Parlement.
Pour donner un aperçu de ce parti, qui n’est pas seulement ultranationaliste, nous citerons cet extrait d’interview d’une députée européenne de ce parti : Question : « Vous et le Jobbik êtes souvent accusés d’antisémitisme. Qu’en est-il ? ». Réponse : « C’est inexact. Nous avons exprimé notre ras-le-bol à l’égard de l’immigration incontrôlée de Juifs en provenance d’Israël, de même que de certains propos scandaleux, comme ceux du président israélien Shimon Peres qui déclarait qu’Israël avait racheté des pays entiers comme la Hongrie ou la Pologne. Je ne crois pas que cela fasse de nous des antisémites ». (fr.altermedia.info/general/apercu-du-parti-hongrois-jobbik_30098.html)
Et c’est là que le souvenir d’un passé pas tellement lointain refait surface.
Le parti des Croix fléchées de l’entre-deux guerres et le gouvernement du Régent Horthy ont conduit, tout naturellement, à la collaboration active avec l’Allemagne nazie et à l’extermination de près de 70% de la population juive (569 000 victimes….).
Le régime communiste – à l’exemple de l’Union soviétique – s’illustra également par son antisémitisme.
Il est vrai que la Hongrie, issue de l’ancien empire austro-hongrois, n’a guère connu la démocratie, depuis sa création au lendemain de la première guerre mondiale.
Mais, admise, en 2004, dans l’Union européenne elle est maintenant soumise à un contrôle, qui n’est pas seulement formel.
A la différence de l’Autriche, qui, en 2000, inquiéta ses 14 partenaires de l’époque, quand le parti d’extrême droite de Georg Haider entra au gouvernement, l’Union européenne dispose, à l’heure actuelle, de moyens plus efficaces de pression sur tout Etat membre qui menacerait les idéaux de démocratie et de liberté, que rappelait, encore, hier, à Strasbourg, Manuel Barroso, le président de la Commission européenne.
L’unanimité des membres de l’Union ne serait pas nécessaire (le Premier ministre polonais Donald Tusk s’est dit mercredi prêt à soutenir Budapest face à des réactions politiques "exagérées") « pour constater qu’il existe un risque clair de violation grave » par un Etat membre des valeurs fondamentales de l’Union (article 7 du traité sur l’Union européenne, après le traité de Lisbonne de 2007).
Certes, la constatation de l’existence d’une « violation grave et persistante » pouvant conduire à une suspension de la qualité de membre, nécessiterait, elle, l’unanimité, mais déjà la constatation d’un risque, indépendamment de restrictions, voire de sanctions, financières serait de nature à faire « réfléchir »…
Rappelons que le simple boycott diplomatique de l’Autriche, pendant quelques mois, en 2000, avait amorcé la chute politique de Georg Haider et de son parti extrémiste.
Par certains côtés, les vieux démons ont la vie dure, mais rien n’est quand même tout à fait comme avant.
Le Crif - 23/01/12