Francesco Schettino. Crédits photo : OLYCOM/SIPA/SIPA
«C'est un criminel », lâche Francesca en résumant la pensée commune de l'île de Giglio, où s'est échoué le Costa Concordia vendredi soir. Incarcéré pour homicide involontaire et pour avoir quitté le navire avant les passagers, le commandant du bateau, Francesco Schettino, 52 ans, suscite la colère de tous et les suspicions des autorités en charge de l'enquête. «La ligne de commandement a failli», a jugé le procureur de Grosseto en mettant en cause le commandant mais aussi ses officiers. «Il a voulu pavaner, toutes cabines allumées et sirènes hurlantes, en s'approchant trop près des côtes, mais il a commis une erreur de jugement impardonnable pour un marin, enfin s'il en est un…», commente un garde-côte de l'île.
La formation même du capitaine est mise en doute. «Il n'avait aucun diplôme valable », assure une source diplomatique étrangère dépêchée sur place. Une affirmation démentie par Costa Croisières qui a certifié, hier, la qualification de son employé. Entré dans la compagnie en 2002, Francesco Schettino, originaire de Meta di Sorrento (Campanie), a été promu commandant en 2006 après avoir été responsable de la sécurité du navire puis second. Comme tous les autres membres de l'équipage, il a reçu une formation continue et été formé aux procédures d'évacuation, a précisé la compagnie. Il détenait ainsi un certificat BST (Basic Safety Training).
Une manœuvre non prévue
Lors d'une conférence de presse à Gênes, le président de Costa Crociere, Pier Luigi Foschi, a rendu lundi Francesco Schettino «responsable» d'«une erreur humaine impondérable», tout en jugeant qu'il a effectué «une manœuvre non approuvée et non prévue ». Si une tradition de la marine veut que les bateaux de croisière se rapprochent des côtes pour saluer leurs habitants, ils respectent pourtant une distance d'au moins un mille. LeCosta Concordia s'est risqué à 150 mètres de l'île de Giglio, selon le procureur Francesco Ve. «Nous étions ahuris de voir ce monstre si près, s'exclame Paolo, un insulaire, pourtant nous avons l'habitude d'en voir passer». «On entendait les hurlements des passagers depuis le château de l'île, situé 400 mètres plus haut», témoigne Francesca, une habitante. Dénoncée, la même manœuvre a été exécutée en août dernier au même endroit, sans incident. Elle avait alors été saluée par le maire de l'île dans une lettre à la compagnie, qui appelait à renouveler ces clins d'œil sympathiques aux habitants.
Peu avant le drame, le commandant aurait en réalité appelé sur la passerelle Antonello Tievoli, responsable des serveurs originaires de l'île, en lui disant: «Viens voir, nous sommes tout près de ton Giglio! » Selon le Corriere della Sera, qui relate l'épisode, Tievoli aurait dû quitter le bateau pour un congé la semaine précédente, mais il avait dû rester à bord faute de remplaçant. Le commandant Schettino aurait voulu ainsi lui faire une faveur, en faisant passer l'immense paquebot près des côtes rocheuses de l'île toscane. Le marin est alors monté sur le pont supérieur, s'est penché sur le bastingage, a vu l'île s'approcher dangereusement: «Attention, nous sommes extrêmement près de la côte », a-t-il dit au commandant.
De graves erreurs d'analyse
Mais l'impact est survenu immédiatement après. Selon le quotidien italien, le chef des serveurs a livré son témoignage aux garde-côtes et devrait le répéter aux carabiniers, dans le cadre de l'enquête qui cherche à établir exactement les causes du sinistre. Sa sœur Patrizia confiait lundi au Figaro sa crainte que «le monde entier impute à [son] frère la responsabilité du drame ». À cette légèreté présumée, le commandant a en tout cas ajouté de graves erreurs d'analyse. Alors que la capitainerie l'a joint à quatre reprises à partir de 21h40 pour s'assurer que tout allait bien, Francesco Schettino n'a donné l'alerte qu'à 22h42, après l'échec d'une série de manœuvres «conduites irrationnellement», estime un garde-côte de l'île du Giglio. En dernier lieu, il a demandé un filin aux autorités portuaires pour tirer le paquebot jusqu'au port. «C'est comme tirer un éléphant avec la queue d'une souris », s'étonnaient lundi les experts. Face à ces incohérences, l'équipage a plutôt bien maîtrisé l'évacuation, même si les passagers sont nombreux à avoir observé une grande désorganisation et des dysfonctionnements. En effet, 4200 personnes ont été évacuées en deux heures.
Francesco Schettino a, quant à lui, quitté son navire en perdition avant que la totalité des vacanciers soit évacuée. Accusé notamment d'homicides multiples et d'abandon du navire (il risque douze ans de prison pour ce seul délit), le marin est incarcéré à Grosseto, parce qu'il y avait «risque de fuite», selon le parquet.
Le Figaro - 16/01/12