Pouvez-vous nous raconter le drame qu’a vécu Maaloula ?
Avant Noël 2012, l’armée syrienne s’est retirée du village. Maaloula est devenu une sorte de no man’s land entre les terroristes islamistes et les forces gouvernementales. En février 2013, pour la première fois, des gens de Maaloula ont commencé à manifester contre l’État. Ils étaient armés. Ils n’étaient pas encore franchement pro-islamistes même si on sentait quelle était leur motivation. Ils ont fini par prendre la partie haute du village où se situait le monastère dans lequel je suis également moine. Je n’y suis pas retourné. Et puis des personnes ont été enlevées, on basculait dans autre chose. Néanmoins, je percevais que, dans le camp terroriste, il n’y avait pas vraiment de chef.
Comment a réagi la population ?
Nous espérions une médiation, un retour au calme. Le leader des musulmans locaux (1/3 de la population, NDLR) a tenté de dialoguer avec les terroristes, mais ils n’ont rien voulu entendre. Le 4 septembre, ils ont attaqué, avec un kamikaze dans un pick-up, un barrage de l’armée à l’entrée de Maaloula. Plusieurs militaires ont été tués. Le lendemain, j’ai pris la décision de faire évacuer la population, mais les gens m’avaient devancé. Lors de l’attaque finale, trois de nos jeunes paroissiens, dont mon sacristain, ont été tués lors d’un affrontement avec les rebelles… Il a fallu attendre le mois d’avril pour que l’armée reprenne le village. C’est un combat purement idéologique, car Maaloula n’a pas d’intérêt stratégique ou militaire. Les islamistes ont clairement voulu détruire ce village symbole, où l’on parle encore l’araméen, la langue du Christ !
Qu’avez-vous trouvé à votre retour au village ?
Je suis revenu le 20 avril. C’était un village fantôme… Des ruines, une immense tristesse. Plus de 300 maisons avaient été détruites, incendiées. Quelques personnes se sont réinstallées dans les bâtiments habitables. Nous avons dû attendre plusieurs jours avant de reprendre le culte. Mais il a repris !
Au vu de tous ces massacres répétés, y a-t-il un avenir pour les chrétiens en Orient ?
C’est notre devoir de rester, de vivre même avec ceux qui nous tuent. Le Seigneur décidera. En Syrie, c’est particulier, car malgré notre statut minoritaire, nous n’avons jamais vécu avec un sentiment d’insécurité. À Maaloula, il n’y avait pas eu d’émeutes antichrétiennes depuis 1925, du temps de la révolte contre les Français. Je dois préciser qu’ici, il y a une forme avancée de citoyenneté. Mais il faut avouer que depuis quelques années, il y a un véritable changement, quelque chose de palpable, difficilement définissable dans le comportement des musulmans… Ils ont commencé à avoir de l’argent, beaucoup plus qu’avant. On ne sait pas d’où venait cet argent. Ils ont changé dans leur attitude. C’était étrange…
Selon vous, la manipulation vient d’ailleurs ?
Oui. Ce n’est clairement pas une révolution intérieure. Les terroristes ne proposent rien à part leur charia. Ce n’est pas un choix local, une puissance manipule de l’extérieur. Il y a un commandeur, dans l’ombre. C’est très complexe. Et puis je ne comprends pas la politique de la France. Elle est totalement paradoxale : au Mali, vous luttez contre les islamistes, chez nous, vous les armez. Les Syriens sont profondément déçus de cette attitude. Mais vous commencez à en payer les conséquences chez vous.
Vous dites aussi être déçu de l’attitude des musulmans.
Oui. Les bons musulmans sont incapables de dire à haute voix leur opposition à cette barbarie prolongée partout dans le monde. Ils laissent se propager le chaos. De mon côté, en tant que chrétien, j’estime que nous ne pouvons vivre bien que dans l’ordre et la discipline. Sans cela, ce qu’on appelle le « vivre ensemble » n’est qu’une chimère.
Le père Toufik Eid fera une tournée de conférences en France afin de témoigner de la situation des chrétiens en Syrie.
– 5 février à Toulon (20 h 00, cathédrale de Toulon)
– 9 février à Lyon (20 h 00, restaurant Sainte Russie)
– 10 février à Paris (20 h 00, paroisse Saint-Christophe-de-Javel)
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