Une enquête dans la garde rapprochée d'Emmanuel Macron. Le secrétaire général de l'Elysée, Alexis Kohler, est visé par une plainte pour "prise illégale d'intérêt", "trafic d'influence" et "corruption passive" déposée vendredi 1er juin au parquet national financier par l'association Anticor.
L'association anticorruption, qui s'appuie sur des articles de Mediapart, dénonce les liens familiaux et professionnels étroits qui existent entre le bras droit du président Emmanuel Macron et l'armateur italo-suisse MSC (Mediterranean Shipping Company), client important de STX France, les chantiers navals de Saint-Nazaire.
Elle estime qu’Alexis Kohler a favorisé l’armateur privé impliqué dans des discussions avec l’Etat. Ce qu’il faut savoir pour comprendre l’affaire.
1Que reproche Anticor à Alexis Kohler ?
L’association anticorruption dénonce donc ses liens familiaux et professionnels avec MSC. Le numéro 2 de l'Elysée fait, en effet, partie de la famille de Gianluigi Aponte, le fondateur et principal actionnaire de la MSC. Pour être plus précis, la mère d’Alexis Kohler est la cousine germaine de Rafaela Aponte, qui a cofondé MSC avec son mari Gianluigi en 1970.
Une proximité qui aurait mis ce dernier "à maintes reprises en position de mettre les moyens de l'Etat à la disposition du groupe familial, au mépris des règles et des lois", a estimé Mediapart soulevant des interrogations quant à d’éventuels conflits d’intérêts.
Ce groupe privé a mené avec l'Etat une série de négociations alors que le haut fonctionnaire occupait des postes stratégiques au ministère de l'Economie. L'armateur italo-suisse est, en effet, l'un des plus grands clients – un temps, l'unique – de STX France, les chantiers navals de Saint-Nazaire. Or, à plusieurs reprises, Alexis Kohler s'est retrouvé ces dernières années à gérer les dossiers STX France, et donc indirectement les affaires de MSC.
2Pourquoi MSC n’est pas un groupe comme les autres ?
Comme le rappelle "le Monde", MSC, numéro 2 mondial du transport de marchandises par bateaux porte-conteneurs, qui s’est diversifié dans les croisières, au chiffre d’affaires dépassant les 20 milliards d’euros, est devenu le client principal des derniers grands chantiers navals français, STX France, à Saint-Nazaire.
"Des chantiers historiques dont l’Etat a tout fait, depuis des années, pour éviter d’abord la disparition, puis le passage sous un complet contrôle italien. A chaque fois, le client MSC était un acteur clé des discussions, ses commandes de paquebots pouvant d’un coup transformer l’avenir de Saint-Nazaire", souligne le quotidien.
3Quand les faits auraient-ils eu lieu ?
La plainte d'Anticor vise plusieurs périodes selon "le Monde" qui y a eu accès.
La première, au début des années 2000, lorsqu'Alexis Kohler a travaillé pour l'Agence des participations de l'Etat. A ce titre, il a siégé aux conseils d'administration de plusieurs entreprises dont les chantiers STX de Saint-Nazaire entre 2010 et 2012. "Alexis Kohler ne pouvait ignorer qu'il existait un conflit d’intérêts à représenter l’Etat français" chez STX France "alors même que sa famille était propriétaire de l’un de ses principaux clients" estime Anticor.
La deuxième période visée concerne les années où il a été directeur adjoint du cabinet du ministre de l'Economie et des Finances Pierre Moscovici, entre mai 2012 et mars 2014, puis lorsqu'il a été directeur de celui d'Emmanuel Macron, entre août 2014 et août 2016. Le chantier de Saint-Nazaire était alors le sujet de nombreuses tractations.
Anticor rappelle que le haut fonctionnaire a voulu à deux reprises rejoindre l’armateur après avoir été directeur adjoint de cabinet au ministère de l’Economie. La première fois, en avril 2014, la commission de déontologie s'y était opposée. Non pas au motif de sa proximité avec la famille Aponte mais parce qu’il avait participé à des négociations au conseil d’administration de STX France en tant sur représentant de l’Etat. En août 2016, quand Emmanuel Macron avait quitté Bercy, Alexis Kohler avait finalement obtenu un feu vert et avait rejoint MSC Croisières au poste de directeur financier. Sur cette période, Anticor soupçonne Alexis Kohler d'être intervenu comme cadre de MSC dans une réunion à Bercy en mars 2017 sur la reprise de STX France, alors en faillite. STX France avait finalement fusionné avec son concurrent italien Fincantieri mais MSC n'était pas monté au capital du groupe comme envisagé.
Resté membre actif de la campagne d'Emmanuel Macron, il avait quitté l'armateur après l'élection présidentielle neuf mois plus tard pour devenir secrétaire général de l'Elysée.
Mediapart a aussi révélé qu'Alexis Kohler n'a jamais indiqué à la commission de déontologie de la fonction publique ses liens familiaux avec les actionnaires de MSC.
4Comment Alexis Kohler se défend-il ?
L'Elysée a fait savoir lundi que son secrétaire général Alexis Kohler avait "pris note" de la plainte déposée contre lui par Anticor, qui repose sur "des soupçons totalement infondés jetés sur lui à l'évidence en raison de ses fonctions". Selon la présidence, "cette plainte s'appuie sur des articles de presse [...] qui contiennent de nombreuses et graves erreurs factuelles".
"Alexis Kohler a toujours tenu sa hiérarchie informée de ses liens personnels avec l'entreprise MSC. Il s'est systématiquement déporté de toutes les décisions ayant trait à cette entreprise et sa hiérarchie informée a naturellement veillé au conflit d'intérêt potentiel. Dans toutes les fonctions qu'il a occupées à l'Agence des participations de l'Etat (APE), à Bercy et à l'Elysée", ajoute-t-elle.
5Quelles suites judiciaires ?
Le parquet national financier a ouvert une enquête visant Alexis Kohler portant sur des soupçons de conflit d'intérêts entre ses postes dans la fonction publique et ses liens avec l'armateur italo-suisse, a-t-il annoncé dans un communiqué ce lundi.
Cette enquête, confiée à la Brigade de répression de la délinquance économique, a été ouverte "à la suite de la publication de plusieurs articles de presse", a précisé le parquet, sans faire référence à la plainte d'Anticor, qui ajoute que "le procureur de la République financier a diligenté des investigations afin de vérifier si les règles relatives à la mise en disponibilité des agents publics ont bien été respectées".