La prévision des dégâts matériels et des risques humains n’a manifestement pas été suffisante. Elle n’a pas tenu compte de la situation réelle de l’île, vue de loin comme un paradis pour touristes aisés – ce qui est relativement vrai de Saint-Barthélemy.
La réalité, c’est que la population de Saint-Martin a crû de manière extrêmement rapide et en accentuant des disparités considérables. En vingt ans, elle est passée de 25.000 habitants à 75.000. La division du territoire entre les zones française et néerlandaise, sans véritable frontière, est un élément d’attractivité non seulement économique, mais aussi démographique, puisqu’elle facilite les situations illégales. Le nombre des nationalités présentes dépasse la centaine. Il s’agit notamment de migrants antillais, haïtiens en particulier. Comme la Guyane ou Mayotte, Saint-Martin, est une porte ouverte à l’immigration clandestine et une usine à fabriquer des Français de papiers. Le niveau de vie quasi européen est un aimant pour les ressortissants des Caraïbes.
La population du secteur français a donc rejoint et dépassé celle de la partie néerlandaise : de 8.000 à 38.000 pour la première, de 17.000 à 30.000 pour la seconde. Cette évolution explique en partie la mauvaise qualité de l’habitat et son exposition, qui dénotent de la part des autorités tant locales que nationales une légèreté coupable.
Par ailleurs, Saint-Martin connaît un taux de chômage important – de l’ordre de 33 %. Sa sociologie est donc comparable à celle des quartiers sensibles de la métropole, le soleil et le tourisme en plus.
Compte tenu de ces données, et d’autres comme l’absence de ressource locale en eau potable en dehors de la désalinisation de l’eau de mer, des mesures préparatoires auraient dû être prises. La coupure de la production d’électricité était également prévisible, et ses effets désastreux. Il était, certes, trop tard pour renforcer les bâtiments, mais il fallait davantage regrouper la population, réunir les moyens d’assurer sa santé et son entretien physique. Cela n’a pas été fait. Enfin, il aurait fallu prévoir les problèmes d’insécurité, les pillages qui risquaient de se produire, et qui ont effectivement dévalisé les pharmacies. Certains résidents disent vivre dans la peur en raison de bandes armées qui circulent en quête de rapines. Là encore, les effectifs de sécurité, qu’on renforce tardivement, ont été mal évalués.
La réaction gouvernementale qui consiste à montrer des images et à nous abreuver de discours sur la livraison du matériel et l’envoi de renforts, pour rétablir l’ordre et la sécurité des habitants, cache mal son caractère tardif. Le gouvernement qui a dépêché son ministre a pensé comme d’habitude à communiquer plus qu’à agir. Comme les carabiniers, il donne l’impression d’arriver après la bataille, sans avoir anticipé.
Que M. Macron préside une réunion de crise en même temps que son Premier ministre n’a aucune utilité. Un seul aurait suffi pour prendre les décisions, mais il fallait montrer que le Président, à Athènes au plus fort de la tempête, ne faisait pas qu’injurier les Français, mais s’intéressait aussi à eux lorsqu’ils étaient dans le malheur. Il se rendra sans doute sur les lieux. Le souverain hollandais y est déjà, bien que la situation dans la partie de l’île qui dépend des Pays-Bas soit moins grave, notamment pour la sécurité, les effectifs nécessaires ayant été sur place à temps. Il est plus facile d’aller à la rencontre de la population sinistrée lorsqu’on a le sentiment d’avoir répondu à l’attente de celle-ci. La comparaison n’est, hélas, pas à l’avantage de la France. On observera que les États-Unis, les gouverneurs dont les États sont touchés ou menacés et le président Trump lui-même ont fait preuve d’un plus grand sérieux et d’une anticipation très prudente, qui découlent de l’expérience calamiteuse de Katrina en 2005.
Sous les rafales qui ont emporté des constructions trop légères, deux décors se sont aussi effondrés : celui de l’efficacité de l’État, et celui d’un paradis touristique qui cachait une réalité bien française, celle d’un pays en voie de dislocation en raison d’une immigration massive. La cohésion sociale, ce que Durkheim appelait la « solidarité mécanique » entre des gens qui sont semblables, laisse place à une coexistence de gens qui, en grande partie, sont les uns avec les autres par intérêt. Lorsque les conditions sont réunies pour que cet intérêt prenne libre cours et quand des individus ne sont pas des citoyens animés par le sens du bien commun, alors la sauvagerie est de retour. Le gouvernement que nous subissons n’a aucune idée de la dimension de ce problème, pas plus qu’il n’en a eu de l’ampleur d’Irma.