1 Un « sorcier » au « regard défoncé »
Jeudi dernier, une Rémoise de 19 ans, Laura, entre à la maternité Maison-Blanche pour accoucher de son premier enfant. Hélène naît vendredi dans la nuit, à 3 h 49. « Le matin, on m’a mise dans une chambre double occupée par une Guyanaise », témoigne la jeune femme à L’union-l’Ardennais. Cohabitation difficile. « Je n’ai pas pu me reposer car ma voisine dormait le jour et vivait la nuit : elle allumait la lumière, claquait les portes, les armoires. Elle avait peu de visites, seulement son mari. » Jusqu’à dimanche soir.
« Il était 20 h 20. D’un seul coup, des hommes et des femmes sont entrés, au moins huit, plus deux enfants. »Parmi les visiteurs (interdits à cette heure), le mari et un homme qui « faisait un peu sorcier ». « Il avait l’air défoncé. Les yeux lui sortaient de la tête. Il avait un pantalon de costume et une chemise blanche à manches courtes, avec dessus quelque chose en satin, comme un châle. »
2 En cercle autour du lit
Laura est au téléphone avec sa mère quand la délégation fait irruption.« Le mari m’a dit : «Tu peux fermer ta gueule, on s’entend pas». Je n’ai pas répondu. Une dame du groupe m’a ensuite dit : «On va prier». Ils se sont mis autour du lit où se trouvait la Guyanaise avec son bébé. Ils étaient debout, tête baissée, les mains jointes sur le ventre. Celui qui me faisait penser à un sorcier a commencé à parler en langue étrangère. Les autres répétaient. À un moment, j’ai compris quelque chose en français : «Le Seigneur, il est sorti du tombeau». Au début, ils parlaient normalement, puis de plus en plus fort, de plus en plus vite. Ils ont fini par hurler. Ils étaient surexcités. Je ne voyais plus que le blanc de leurs yeux. J’ai paniqué. La sage-femme est arrivée. »
3 Bagarre à l’entrée de la chambre
L’entrée de la sage-femme jette un froid. « Ils ont arrêté, puis ils ont recommencé devant elle, en chantant cette fois-ci. Elle leur a demandé d’arrêter, mais ils n’en avaient rien à faire. Elle est sortie pour chercher du monde et appeler mon conjoint mais je l’avais déjà prévenu par SMS. »
« Laura avait laissé son téléphone ouvert. On entendait que ça hurlait. Je suis tout de suite parti pour l’hôpital avec sa mère », témoigne Thibaut, le papa. « Quand je suis arrivé, c’était le bordel. Toute la maternité était réveillée, on entendait les bébés qui pleuraient. J’ai voulu rentrer dans la chambre mais ça bloquait derrière. J’ai mis un coup de pied dedans. Une femme qui tenait la poignée s’est pris la porte dans la figure. Le «sorcier» m’a sauté dessus. Je l’ai repoussé. Un autre papa est intervenu pour me dégager et me ramener dans le couloir. »
4 Menaces de mort
La grand-mère, Corinne, parvient à rentrer. Elle est encore jeune, capable de se défendre. « Ma petite-fille était dans son berceau à roulettes, contre la fenêtre. Je me suis mise en protection devant. » Le «sorcier» frappe Laura d’« un coup de coude à la tempe », puis c’est sa voisine de chambre qui entre en scène.
« Elle est devenue hystérique. Elle m’a montrée du doigt en hurlant : «toi, là, je vais te tuer !» Son mari l’a soulevée et collée contre le placard. Elle continuait à hurler : «Je vais la tuer ! Je vais la tuer !» Il l’a lâchée et s’est avancé vers le berceau de ma fille en disant «Je vais tuer ce bébé». »
« Il a mis la main pour l’attraper, mais je l’ai stoppé en lui tenant le bras », relate la grand-mère. « Il a attrapé le berceau, l’a ramené vers lui et l’a projeté contre le mur. Le berceau a fait un rebond, sans se renverser »
5 Opération exfiltration
L’urgence est de quitter la chambre. « Une maman est entrée. Je lui ai donné mon bébé, en me disant qu’il serait en sécurité dans ses bras : c’est à moi qu’ils en voulaient, pas à elle. J’ai mis mes mains autour d’elle, en protection, quand nous sommes passés devant eux. Une fois dehors, les gens de l’hôpital nous ont emmenés dans un bureau, au calme. Ils ont récupéré mes affaires, puis ils nous ont mis dans une chambre individuelle. » Fin du cauchemar.
6 Une enquête de police ouverte
Dimanche soir, aucune interpellation n’a été effectuée : la sécurité avait évacué le groupe avant l’arrivée de la police, mais depuis, une enquête a été ouverte au commissariat. Sortie lundi du CHU, Laura a déposé plainte pour « menaces de mort réitérées », « violence sans incapacité », « violence sur mineur de moins de 15 ans ». « Ma fille était réveillée quand son berceau a été jeté contre le mur. Elle n’a pas été blessée, elle n‘a pas pleuré mais toute la nuit, elle n’a pas arrêté de faire des besoins et a demandé à aller sur moi, pas pour boire mais pour dormir dans mes bras. On m’a dit que c’était la conséquence d’un stress. »
Les agents hospitaliers sont confrontés à un nombre croissant de patients ou de familiers difficiles à gérer, mais de source interne au CHU de Reims, l’affaire de dimanche soir serait un cas sans précédent. « C’est dommage qu’il se passe des choses comme ça à l’hôpital », conclut Laura, « car les personnels sont très aimables. Ils m’ont bien soignée, ils m’ont bien suivie pendant ma grossesse. » Et si un deuxième enfant venait à paraître ? « J’irais encore là-bas, mais je payerais une chambre individuelle »
Fabrice Curlier
Nous avons demandé au CHU de Reims s’il souhaitait réagir à cette affaire. Contactée lundi, relancée mercredi, la direction n’avait pas répondu ce jeudi soir.
L'UNION
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