Votre Excellence,
Votre Sérénité,
Mon cher Manu,
Mon Roy,
Mais aussi :
Mon Chéri,
Je me permets en effet cette familiarité, mon cher Manu, car des photos t’ont récemment montré partout sur la toile aux Antilles enlaçant un beau black, bodybuildé en prison, luisant de sueur tropicale, ce qui semblait te ravir jusqu’au plus profond – si tu me permets l’expression… Ton sourire béat montre en effet que ta dilection va plus facilement à qui accompagne son selfie avec toi d’un doigt d’honneur qu’aux intellectuels qui n’ont pas l’heur de te plaire parce qu’ils ne te font pas la cour. Décidément, tu sembles n’aimer que ceux qui te font savoir leur amour d’une façon qui ne prête pas à confusion : il faut t’enlacer torse nu pour te plaire, essuyer sa transpiration sur ta chemise blanche, et passer plus de temps en salle de sport qu’en bibliothèque. Je comprends dès lors que le philosophe Étienne Balibar, avec lequel tu dis avoir rédigé un mémoire universitaire sur Machiavel, n’ait plus le souvenir de toi. Il n’est probablement pas assez couvert de sueur, trop âgé et trop intellectuel à ton goût.
À ceux qui voudraient augmenter un peu leur culture, ce qui n’est pas de trop ces temps-ci, consultons l’encyclopédie en ligne Wikipédia, soyons fous ! Elle nous donne cette signification du doigt d’honneur : « Le majeur dressé autour des autres doigts baissés évoque un phallus et le reste de la main, un scrotum ». Traduction pour qui ne maîtriserait pas toutes ces subtilités lexicales, il s’agit tout bonnement d’un « doigt dans le cul ». Le doigt, on voit bien à qui il appartient, le cul, on se tâte – si je puis dire ! Est-ce le tien personnellement ? Auquel cas c’est ton affaire, mais n’en fais pas un étalage public : un président, ça ne devrait pas faire ça, comme dirait l’autre… Ce cul, est-ce le nôtre en tant que tu incarnes la souveraineté populaire ? Est-ce celui de la France dont tu es le corps mystique ? – On ne sait. Mais cette fois-ci, ça nous concerne. Et permets qu’on puisse ne pas jouir d’une pareille intromission dans notre intimité sans notre consentement. Demande à madame Schiappa : c’est la définition légale du viol.
Quoi qu’il en soit de ce fondement et de son propriétaire, c’est proprement manquer de doigté envers la République que de se laisser mettre de la sorte en arborant ce sourire radieux qui témoigne de ton contentement. Pareil goût relève de ta vie privée qui est celle du second corps du roi, elle ne devrait pas affecter ton premier corps qui est politique et républicain. Ce sourire, c’est le même que tu arborais sur les marches de l’Élysée le jour de la fête de la musique en compagnie d’une brochette d’individus, eux-aussi férus de ce très subtil langage des signes. On ne dira pas que tu caches ton jeu. Il n’y a que les crétins pour feindre que tu dissimules. Tu es du genre à nous le mettre bien profond, pour dire clairement ce qui ne devrait pas te choquer sous forme de mots, puisque la chose te ravit quand elle se trouve exprimée sous forme de geste. Mais « mettre ou ne pas mettre », là est la question…
Or, cette question, tu l’as franchement résolue. Car, depuis quelque temps, tu montres en effet que, toi ou tes services, vous n’avez pas grand souci de la légalité (je ne parle plus de moralité, on sait désormais dans quelle estime tu tiens toute morale…), je parle de légalité. En adoptant cet angle de vue, on voit bien comment tu nous la mets, tu nous le mets, tu nous les mets…
D’abord, premier doigt, il y eut cette étonnante évaporation de tes bénéfices en tant que banquier chez Rothschild : tu sembles en effet avoir habilement fait disparaître cette somme considérable de ta déclaration de patrimoine avant les présidentielles. Quid en effet des cinq millions d’euros que tu as engrangés comme banquier pendant huit ans et dont personne ne retrouve la trace ? (Source : « Cinq millions d’euros en huit ans, où est l’argent, Emmanuel Macron ? » dans Économie Matin du 16 février 2017). Cinq millions, ça en fait des billets de cinq euros que tu voles dans la poche des étudiants qui reçoivent l’APL !
Ensuite, deuxième doigt, il y eut cette soirée de levée de fonds à Las Vegas qui a permis, via des facturations de Havas-Business – le prestataire de service de cette soirée apparemment effectuée sans appel d’offre, donc illégalement – de dégager de considérables marges, en dizaines de milliers d’euros, pour le candidat que tu étais alors. Qui organisait ce genre de soirée fort peu légale ? Muriel Pénicaud, ton actuelle ministre du travail (source : « Déplacement de Macron à Las Vegas : la très chère soirée organisée par Havas » dans Le Parisien du 8 juillet 2017). Fillon est tombé pour trois costumes : cette seule soirée t’aurait permis d’acheter des pardessus et des pantalons pour tout ton gouvernement et leurs cabinets pendant de longues années. Or, ce ne fut pas la seule soirée ayant permis des largesses à ton endroit.
Troisième doigt, devenu président, il y eut l’affaire Benalla. Chacun a eu le loisir, durant ce feuilleton de l’été débordant sur la rentrée, de voir combien et comment tu couvrais qui te couvre. Entre mensonges, stratégies de communication, enfumage, intoxication, désinformation, instrumentalisation, bien malin qui peut désormais savoir où se trouve la vérité. Dans cette affaire, je veux n’en retenir qu’une. C’est une affaire dans l’affaire. Quand ton petit protégé s’est retrouvé en garde à vue, la police n’a pu effectuer une perquisition à son domicile pour cause de légalité : elle n’intervient pas la nuit. Comment se fait-il qu’une équipe ait pu être diligentée pendant ce temps-là au domicile de Benalla pour ouvrir son coffre et faire disparaître son contenu, dont des armes à feu ? Qui a dit quoi, et à qui, pour que ce forfait qui entrave la bonne marche de la justice ait été commis ? Et par qui ? Il faudrait demander à feu Gérard Collomb et lui demander si ça n’a pas un peu à voir avec sa récente démission… On ne fera croire à personne que ce faux cambriolage ait pu avoir lieu à cette heure, dans ce lieu, dans cet endroit de l’appartement d’un homme que tu protèges contre vents et marées, sans que tu sois un peu au courant ! Qu’y-a-t-il entre lui et toi pour que se trouvent détruites les preuves des coups tordus de cette affaire ? De quels doigts et de quels fondements symboliques (ou non) est-il ici question ? (Source : « Affaire Benalla. Compagne introuvable, coffre-fort disparu… les zones d’ombre subsistent » dans Ouest-France du 23 août 2018).
Puisque nous sommes dans la cambriole, ajoutons un autre forfait, ce sera le quatrième doigt, nous ne sommes pas bien loin de toute la main. Chacun sait désormais que la communication de monsieur Benalla, qui mettait tant dans l’embarras monsieur Collomb (un nom qui, je le jure sur ta tête, n’entre en rien dans ma métaphore filée du doigt et du fondement…), est pilotée par la Reine Mimi.
Qui est Mimi ? Laissons parler les éditions Grasset qui publient bientôt une biographie non autorisée du personnage. Voici la quatrième de couverture du livre en question : « On l’appelle ‘Mimi’. Michèle Marchand, la papesse des paparazzis, la gardienne des rumeurs, des secrets de la politique et des affaires. Elle collectionne les scoops sur les puissants mais elle a compris que le plus utile n’était pas de les vendre. Les posséder suffit. Et en parler, ici ou là. Elle ne dispose d’aucun titre officiel mais ‘Mimi’ se rend tous les jeudis à l’Élysée. Son agence de presse, Bestimage, a l’exclusivité de l’image de la Première Dame et de celles, privées, du couple Macron (sic !). Une manne. Et une première. Jamais un couple présidentiel n’avait concédé un tel passe-droit à une ‘petite marchande de photos’. Comment ‘Mimi’ a-t-elle pris le contrôle des secrets de Paris ? Pourquoi lui est-il accordé tant de privilèges ? Que sait-elle ? Que tait-elle ? Difficile d’enquêter sur cette femme, puissante et redoutée. Ses amis se taisent et ses obligés ont peur. Et puis ceci, qui ne manque pas de piment : « Garagiste, tenancière de boîte de nuit, mariée à des braqueurs puis à un policier, championne de ski, reine de la presse people… avant d’arriver au cœur du pouvoir. La vie de ‘Mimi’ est une énigme et un vertige. »
On comprend que ce vertige en donne à d’autres. Voilà pourquoi, fort étrangement, l’appartement de l’un des journalistes a été cambriolé. Par qui ? Toi seul le sait me semble-t-il. Ou Monsieur Collomb, qui a récemment fait ses valises… comme un voleur ! Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai l’impression que l’équipe de monte-en-l’air qui a œuvré sur le coffre-fort de Benalla était aussi de service chez l’un des biographes de la désormais fameuse Mimi (source : « Un des biographes de ‘Mimi’ Marchand mystérieusement cambriolé » dans L’Obs du 26 septembre 2018).
Pour les besoins de ma démonstration – je sais que tu me comprendras – j’ai besoin d’un cinquième doigt. De sorte qu’ainsi, nous pourrons franchement parler d’un « Fist Fucking » – autrement dit, pour ceux qui se trouveraient autant déroutés par cette expression formulée dans la langue de Shakespeare que par les subtilités lexicales du corps humain, voici une libre traduction de mon cru : « La main, puis tout le bras dans le cul ». Tu m’excuseras toutes ces variations proctologiques, mais c’est toi qui m’y contrains, après avoir commencé aux Antilles…
À plusieurs reprises, celui qui te sert de Benalla pour tes discours, Sylvain Fort, a fait savoir que tu n’appréciais pas un certain nombre d’intellectuels – dont ma pomme ! Il fut dit un temps qu’un genre de « cellule-riposte » allait être mise en place pour répondre aux idées « nauséabondes », bien sûr, de ces personnes dont j’étais et dont je suis. Notre Sylvain avait alors sorti du chapeau les noms de Michel Serres et de Pierre Nora : tu voulais du sang neuf et rajeunir la société française, ces académiciens totalisent 174 ans à eux deux, c’est réussi. (Source : « Le devoir de mémoire de Macron » dans Le Parisien du 11 juin 2017).
Tout le monde a pu voir que tu étais capable de changer la loi pour récompenser Philippe Besson qui est à ta personne ce que Heidegger fut à Hitler, Sartre à Staline, Sollers à Mao (puis à Balladur…) Tu as en effet décidé de faire voter un texte permettant d’ouvrir une vingtaine de postes de consuls généraux supplémentaires à des fonctionnaires comme à des non-fonctionnaires afin de rendre possible ce hochet à offrir à ton ami avec l’argent de la République. (Source : « Ce décret qui permet de nommer Philippe Besson consul à Los Angeles » dans Le Parisien du 30 août 2018).
Un homme qui est capable de passer par-dessus la loi pour récompenser un intellectuel qui le…, qui le…, disons, qui chante ses mérites, n’aurait pas à se forcer beaucoup pour faire savoir combien il lui plairait que ce philosophe, qui lui déplaît, cesse de voir ses cours diffusés sur le service public ! Je dis ça comme ça ! Après la fraude fiscale, trois doigts, les cambriolages, deux doigts, la promotion d’un ami comme avers d’une médaille dont le revers est l’éviction d’un ennemi, cinq doigt, voilà, le compte est bon : la main est passée tout entier, le bras peut suivre…
Voilà un an que Votre Altesse, Votre Excellence, Votre Sérénité, Mon cher Manu, Mon Roy, mais aussi : Mon Chéri, tu es au pouvoir. Et tu nous régales chaque semaine avec de nouvelles aventures. Il te reste quatre ans de règne.
Je t’annonce une bonne nouvelle : comme je dispose de plus de temps pour moi depuis que mes cours à l’Université populaire sont passés dans la moulinette de ton rectum citoyen, je me réjouis de pouvoir t’annoncer que je t’écrirai plus souvent que je ne l’avais prévu lors de ma première lettre. Cette perspective nouvelle me donne le même sourire que toi, mais pour d’autres raisons : je suis ravi !
On sait que le sage montre la lune et que l’imbécile regarde le doigt : pour ma part, j’en prend le ferme engagement, je ferai part égale entre la lune et le doigt…
Salut Manu !
Michel Onfray
https://michelonfray.com/