13 DÉCEMBRE 2017 PAR GUILLAUME FAYE
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Les décès de l’académicien Jean d’Ormesson (92 ans) et du chanteur Johnny Hallyday (74 ans) survenus presque en même temps ont donné lieu à une bouffée délirante qui a submergé tous les médias (presse, radio, TV, sites Internet) et mobilisé la classe politique– y compris un chef d’État ridicule – unanimes dans la louange dithyrambique. Leurs obsèques ont donné lieu à des cérémonies nationales et à des déluges d’apologies. Ce qui les rassemblait : être sans talent créatif, bénéficier d’un look bétonné dans les médias, ne choquer personne et vendre énormément. Le vide aseptisé, la clé du succès. Johnny, le rocker, et Jean d’Ormesson, l’académicien, symboles de la France, selon le discours officiel ? Ce n’est pas flatteur.
Johnny et Jean d’O : une même superficialité
Deux hommes que tout opposait – sauf le compte en banque – ont été présentés comme deux immenses talents, figures emblématiques de la culture française. Rien de moins. On rêve. On est commis de larmoyer à ces deux pertes irréparables, celle du rocker baraqué et vulgaire et celle du frêle aristocrate raffiné et narcissique.
Or l’un comme l’autre – et c’est ce qui les rassemble– chacun dans son domaine, littérature et publications pour l’un, chansons et concerts populaires pour l’autre, en dépit de leur indéniable et durable succès, sont caractérisés par la médiocrité et la vacuité de tout ce qu’ils ont produit. Ils ont fait une belle carrière. Mais ils ne laisseront aucune trace. Dans trente ans, personne ne saura plus qui était ”Jean d’O” ni ne lira une ligne de lui ; en revanche, on lira toujours Balzac, Flaubert, Céline. Dans trente ans, bien peu écouteront encore les interprétations de Johnny, mais beaucoup continueront d’écouter les œuvres de Trénet, Aznavour, Brel, Brassens ou Gainsbourg.
Ce qui frappe, dans le cas de l’académicien–auteur comme du chanteur–acteur, c’est, qu’à l’inverse des véritables personnalités créatrices, qui ont toujours un écho international, ils sont rigoureusement inconnus hors des frontières de la France et de la Wallonie ! Deuxième trait commun : leur mondanité – dans des milieux très différents –et leur hyper–présence médiatique, qui remplaçaient leur densité, inexistante. Créatures des médias, c’étaient des people et non pas des artistes.
Johnny et Jean d’O étaient des personnages fabriqués par la communication, factices et superficiels, sans épaisseur. Ils étaient des produits, totalement issus de la com et de la pub, mais aucunement des producteurs.C’est pourquoi il est affligeant de voir l’idolâtrie posthume dont ils font l’objet. Cependant, elle ne durera pas, ils seront vite oubliés. Mais je fais le pari que vont surgir un peu partout, dans les mois qui viennent, des rues et des places ”Johnny Hallyday” et ”Jean d’Ormesson”.
Johnny, l’Américain factice
Les obsèques de Johnny Hallyday, avec défilé de motards américanisés (bikers) sur les Champs–Élysées, précédés de gendarmes, avec aide logistique de l’Élysée, messe solennelle à la Madeleine, qui ont suivi une oraison funèbre de Macron diffusée dans les médias, laissent rêveur. On croirait la répétition des obsèques de Victor Hugo. Le ridicule ne tue plus.
Sacré dans les années 60 « l’idole des jeunes », Johnny Hallyday a, en réalité, défrancisé et américanisé la chanson populaire française, la vidant de sa substance autochtone. Il fut, dans ces années 60, un instrument important de l’américanisation culturelle de la France. Fasciné comme un enfant par les États–Unis, Jean–Philippe Smet – qui avait changé son nom en un Johnny Hallyday grotesque (1) – qui baragouinait à peine l’anglais, passait de longs mois en Californie mais restait totalement inconnu du public américain. Son show à Las Vegas n’a attiré que des Français, expatriés ou rameutés par une agence spécialisée.
Très mauvais guitariste (mais bon motard), inculte, incapable d’écrire un texte ou de créer une mélodie, mais doué d’une puissante présence scénique, d’une voix chaude et polyvalente, d’un physique viril, il fut le produit parfait, voire le meilleur au sens du marketing et le plus rentable, depuis son lancement en 1959, du show–business hexagonal. Décalque d’une star américaine, Johnny était la lessive la moins chère et la mieux distribuée. Très lucides, du temps de leur talent aujourd’hui disparu, les Guignols de l’Info (Canal Plus) dans les années 90, avaient caricaturé Johnny en prototype du demeuré.
Il fut aussi le personnage central de films tous plus cuculs les uns que les autres. Ses premiers succès, qui l’ont lancé dans les années 60, sont des traductions de tubes américains, ce qui était un choix de plagiaire mais surtout pas d’auteur. Par la suite, il a interprété beaucoup d’autres tubes américains, mais les auteurs–compositeurs français lui proposaient des chansons adaptées à son type de voix et à son style scénique percutants. Environ 20% de ses chansons ont un intérêt musical moyen et un contenu stylistique acceptable. Le reste est poussif ou nul. Le succès de J.H. restait principalement centré sur son look et son caractère de bête de scène, mais aussi sa présence constante dans les médias, avec le storytelling de ses faits et gestes, de sa famille et de son entourage, construit comme un feuilleton permanent par une équipe musclée de professionnels de la communication.
À partir de la fin des années 90, ce fut l’effondrement qualitatif. Johnny vieillissant n’interprétait plus que de nouvelles chansons avec des textes prétentieux médiocres et des mélodies pauvres et banales. Une opération publicitaire du quotidien Le Monde avait essayé de le remettre en selle, avec une interview sympathique, pour le présenter comme un chanteur ”à idées”. Ah que…
Hallyday–Smet n’était pas un ”rocker”, contrairement à la légende. À peine 10% des chansons qu’il a interprétées appartient au registre du véritable rock’n’roll. C’était un crooner. Aucune originalité : tout reposait sur son physique, sa présence scénique, le cirque vulgaire de ses shows à grand spectacle et l’appareil de communication qui le survendait.
Hallyday, un chanteur ”français”, emblématique de la France, comme on le rabâche aujourd’hui ? Quelle imposture ! Hallyday fut la copie dégradée des chanteurs et bêtes de scène américains. L’inverse même du talent français et européen. Le parallèle avec la star d’Ormesson est frappant dans un tout autre registre.
Jean d’O, Jean d’Or, J’endors
Issu d’une grande famille de la haute société, normalien, agrégé de philosophie – diplômes qui ne constitue nullement un signe de talent ou d’originalité, mais plutôt de conformité – Jean Le Fèvre d’Ormesson a dû sa réussite médiatique à sa lignée et à ses réseaux de relation, bien plus qu’à la qualité de ses écrits, tous plus gnangnans les uns que les autres.
Certes, ses romans ou ses essais ne sont pas nuls, ils sont bien écrits grammaticalement, – bien que sans style – mais ils sont surtout effroyablement vides et creux. Leur succès n’était dû qu’à l’image commerciale, au matraquage de communication des éditeurs et des médias autour du ”personnage” Jean d’O. Dans les années 80 et 90, la revue satirique Jalons, de Basile de Koch, le surnommait ”Jean d’Or” (”j’endors”). De fait, ses écrits sont soporifiques et sans grand intérêt. Mais tellement bien vendus, distribués et couverts par la critique, ce qui est nettement plus important pour une oeuvre que sa qualité intrinsèque.
Les textes du narcissique d’Ormesson (surtout sur Dieu et le destin !), empreints de fausse profondeur, relèvent de la philosophie de supermarché. Une succession de lapalissades assénées doctement. Il ne risquait pas de choquer, il faisait l’unanimité. Tout est mou dans ses réflexions creuses, dont la postérité ne retiendra rigoureusement rien. On s’extasiait quand il expliquait sur deux cent pages qu’on ne savait pas qui était Dieu ni ce qui se passait après la mort.
Quant à ses romans, ils sont poussifs, sans souffle, d’une banalité dépourvue de la moindre imagination, débordants de bons sentiments. Mais ça marchait. Parce que, comme pour Hallyday, la machine commerciale, médiatique et de communication, fonctionnait à plein régime pour vendre le produit bas de gamme.
Le fait qu’il ait été publié de son vivant dans La Pléiade (Gallimard) a impressionné tous les naïfs. Comme si cette collection d’œuvres complètes en papier bible conférait un prestige littéraire éternel. Bien au contraire la publication de l’œuvre mièvre et soporifique, inodore et sans saveur de Jean d’Or aura été nuisible à La Pléiade. On ne sélectionne plus le talent littéraire réel et profond, mais on choisit un type bien médiatisé. Pour vendre.
Ses meilleurs textes auront été ses commentaires politiques, surtout parus dans Le Figaro, (sa famille) sans grand génie mais agréables à lire. Bon spectateur lucide, Ormesson portait un regard analytique et bien informé sur le monde politique, sans plus. Rien d’extraordinaire, aucune idée originale.
Jean d’O, Johnny, la loi de la pub, pas du talent
C’est le règne de l’esbroufe. Comme celui de Hallyday, le succès de Jean d’Ormesson reposait en grande partie sur son image physique (innombrables photos et vidéos) : petit pépère tiré à quatre épingle, aux beaux yeux bleus, toujours fendu d’un sourire béat censé délivrer un message de bonté, de gentillesse et de joie mais en réalité – exactement comme le visage de Johnny Hallyday dans un autre registre – qui ne délivre aucun message. Il vend seulement l’image, le spectacle que les pros de la communication ont décidé pour construire un personnage grand public vendeur.
Narcissique (il le reconnaissait) à l’égo démesuré, maîtrisant parfaitement les codes médiatiques, Jean d’O, tout comme Johnny, bénéficiait d’un surreprésentation dans les médias, surtout audiovisuels. Il avait même, dans un film burlesque, joué le rôle d’un président de la République. Ridicule. Sans cette mise en scène physique permanente, sans le travail de communication d’équipes professionnelles pour vendre des personnages (2) (et non pas desœuvres) il est probable que les articles et livres de Jean d’O et les interprétations de Johnny seraient passés totalement inaperçus. La preuve : en dehors des frontières de la France, mis à part le Québec, la Wallonie, la Suisse romande – et encore – Johnny et Jean d’O sont inexistants, totalement inconnus. Ce n’est pas le cas pour d’autres écrivains ou chanteurs français qui sont connus, vendus, lus, écoutés, traduits dans le monde entier. Pourquoi ? Poser la question, c’est y répondre. Parce que les deux jojos, Jean d’O et Johnny, étaient médiocres.
(1) À l’époque, dans les années soixante, des chanteurs français prenaient des pseudonymes américains : Eddy Mitchell, Dick Rivers, etc.
(2) En latin, personna signifiait le masque sous lequel jouaient les acteurs.