Roger Vétillard*
Coïncidences? En moins de 4 mois, sont apparus des libellés critiquant voire, pour reprendre un mot à la mode, stigmatisant les pieds-noirs. Imaginons les réactions que de tels faits auraient entraîné si d’aventure un autre groupe humain avait subi le même traitement.
Reprenons tout cela
1. Le lundi 8 juillet 2013 dans le journal de France Inter, le journaliste Frédéric Météseau demande à Thomas Guénolé – politologue – de commenter une déclaration de Christian Estrosi, maire de Nice, qui avait dit le même jour sur I Télé et Europe 1 que « les Roms sont souvent des étrangers en situation irrégulière et… qu’à partir du moment où ils envahissent sans droit ni titre et par effraction des terrains de football comme la semaine dernière, je considère que ce sont des délinquants »…
Réponse de Thomas Guénolé : « C’est un fait que, culturellement, le racisme est quand même plus développé dans le Sud de la France. Cela s’explique en partie, faut dire les choses, par le fait qu’il y a une très forte communauté pied-noir, dans le sud de la France. »
Et quand des correspondants lui demandent de s’expliquer, il dit tout simplement : » Le présentateur du journal m’a demandé pourquoi le racisme semblait plus présent dans le sud de la France. J’ai avancé comme élément d’explication la présence beaucoup plus forte des Pieds-Noirs dans cette partie du pays. Si le journaliste m’avait invité à expliciter mon propos sur ce point, j’aurais signalé le constat historique à l’appui de cette analyse : à savoir que dans la vie politique française, le vote d’extrême-droite est surreprésenté dans l’électorat pied-noir. Pour autant, je n’ai pas dit une ânerie de type » Tous les Pieds-Noirs sont racistes » : ç’aurait été une pure sottise. En effet les contre-exemples sont faciles à trouver : je pense ainsi à Albert Camus. »
2. Le mercredi 16 octobre, Eva Joly, ancien magistrat, ex-candidate à la présidence de la République, déclare sur I Télé « Si nous ne sommes pas capables d’intégrer quelques dizaines de milliers de Roms alors que nous avons intégré, en 1962-63, un million de pieds-noirs…». Cela entraîne des réactions indignées d’associations de Français d’Algérie, des partis politiques de droite et aussi de responsables socialistes tels Julien Dray.
Et puis, sur le site de la LDH (Ligue des droits de l’homme), un bref article non signé écrit qu’il est difficile de trouver à redire dans ces paroles et conclut que ces déclarations n’ont rien d’un amalgame.
3. Le jeudi 17 octobre 2013, Michel Delarche sur son blog publie un article sous le titre « je ne suis pas raciste, mais… ». Bien sûr cela se veut du second degré, mais écrire que « cela fait plus de cinquante ans que ces gens-là [les pieds-noirs] sont arrivés chez nous et ils ne se comportent toujours pas comme des vrais français. Les vieux, ils n’arrêtent jamais de parler de « comme c’était bien là-bas ». Mais si c’était mieux « là-bas, ils n’ont qu’à y retourner « là-bas », (il y a 40 lignes du même style), n’est pas complètement candide. Et cela a suscité des réactions dont beaucoup restent au premier degré.
4. Faut-il adjoindre à cette liste l’amendement à l’article 33 de la loi de programmation militaire, présenté le 21 octobre 2013 au Sénat par Mme Joëlle Garriaud-Maylam, (née le 20 mars 1955 à Marnia en Algérie, membre du groupe UMP au Sénat) qui exclut les harkis de souche européenne (dont la plupart étaient pieds-noirs) du bénéfice de l’allocation de reconnaissance ?
Que penser de tout cela ?
Chacune des déclarations peut faire penser à une expression maladroite. Mais ce qui attire l’attention, c’est la répétition récente d’expressions sans bienveillance et la référence politique insidieuse.
Thomas Guénolé se réfère explicitement à l’enquête du CEVIPOF. Cet organisme a publié en Mars 2012, avant les élections présidentielles une étude sur le vote pied-noir. Au premier tour, 28% des pieds-noirs et 24% de leurs descendants, auraient voté pour la présidente du Front national alors qu’Ils seraient 26% (pieds-noirs) et 31% (descendants) à se prononcer pour François Hollande et 26% (pieds-noirs) auraient voté pour Nicolas Sarkozy au premier tour, alors que les intentions de vote de leurs descendants en faveur du président sortant plafonnent à 15%. Le total des candidats centristes recueillerait 9% du vote des rapatriés et 14% des voix de leurs descendants.
Marine Le Pen a obtenu 17,9% des voix, Nicolas Sarkozy 27,18% et François Hollande 28,63% des voix au 1er tour des dernières élections présidentielles. Ce que l’on peut noter, c’est que les pieds-noirs voteraient proportionnellement comme le reste de la communauté nationale pour Hollande, Sarkozy et les centristes, ce qui indique donc que ce sont les autres candidats d’extrême-gauche qui ne bénéficient pas de leurs voix. Il existerait donc une discrète surreprésentation du vote Fn dans la communauté « pied-noir » aux dépens de l’extrême-gauche, mais est-elle liée comme le pense le politologue à du racisme?
D’une part, cette surreprésentation n’est pas bien grande, d’autre part il faut intégrer l’histoire et la mémoire de cette communauté qui a eu à souffrir de la responsabilité des gaullistes dans leur exil en 1961-1962, des positions des groupes gauchistes lors de la guerre d’Algérie et à leur arrivée en France, de l’absence de compassion des ONG habituellement promptes à s’émouvoir, alors que Jean-Marie Le Pen et ses amis ont été plus proches d’eux.
Les PN sont-ils plus racistes que leurs compatriotes français?
Dans une telle affirmation, il y a une part d’ignorance, une part de lieux communs et aussi sinon de mauvaise foi, du moins de raisonnement commode. Il y a pêle-mêle dans cette conception erronée de la vie dans l’Algérie d’avant 1962 un anachronisme évident, une mauvaise connaissance des rapports intercommunautaires, de la vie politique française au siècle dernier et de l’histoire de l’Algérie de 1830 à 1962.
On pourrait faire un cours d’histoire à ce sujet, mais rappelons simplement qu’en 1830, le comte Louis de Bourmont et le dey d’Alger Hussein Pacha ont signé une convention reconnaissant la souveraineté de la France sur l’Algérie. L’article 5 de cet accord garantissait le libre exercice des religions et notamment de la religion musulmane dont les fidèles conservaient leur statut juridique et social, c’est-à-dire qu’ils continuaient à être soumis à la « charia ». Dès lors il y avait inévitablement 2 communautés dans le pays, celle qui relevait du droit français (dont la communauté juive à partir de 1871) et l’autre. Et c’est la IIIème République, qui a refusé d’accorder une pleine citoyenneté aux musulmans.
La cohabitation des communautés était moins conflictuelle que celle que nous vivons dans certains quartiers de la France d’aujourd’hui. Les fêtes chrétiennes, juives et musulmanes étaient célébrées par tous. Personne ne s’offusquait de voir des femmes voilées dans les espaces publics. En rappelant cela, je veux simplement dire qu’il y avait une tolérance réciproque qu’il est difficile de retrouver aujourd’hui.
Il n’y avait pas, comme le confirme Mohammed Harbi – historien nationaliste algérien – un système social qui aurait pu s’apparenter à l’apartheid sud-africain. Bien sûr les uns parlaient des « bougnoules » ou des « bicots » et les autres de « gaouri », de « roumi » ou de « youdi », mais à Bab El Oued, à la Casbah, et dans la plupart des villes de l’intérieur, Européens et indigènes vivaient côte à côte. Les choses étaient autres dans le bled ou dans les grandes villes, là où une communauté était bien plus nombreuse que l’autre.
Pourquoi donc les pieds-noirs qui retournent en Algérie sont-ils accueillis avec autant de chaleur? Pourquoi donc les Algériens qui ont vécu en Algérie française recherchent-ils en France le contact avec les Français qui ont traversé la Méditerranée? Les pieds-noirs ont du mal à pardonner à ceux qui les ont chassés de leur pays natal, au FLN et aux dirigeants algériens qui sont toujours au pouvoir. iIs n’en veulent pas au peuple algérien. Ce n’est pas du racisme, c’est plutôt de la rancune.
Quant aux propos d’Eva Joly, reconnaissons que comparaison n’est pas raison. Elle qui postulait à la présidence de la République Française, méconnaît l’histoire de son pays d’accueil. Les pieds-noirs sont des Français de souche ou issus de Français naturalisés depuis plusieurs générations. Ils ont montré leur patriotisme au cours des Guerres Mondiales. Ils coulaient rester Français sur leur terre natale. Les circonstances historiques les conduits à se réfugier en France métropolitaine. Ils ont réussi à s’y intégrer en quelques années, même s’ils gardent une nostalgie de leurs jeunes années.
Les Roms sont une population venue de l’Inde il y a plus de 9 siècles. Ils sont plus de 10 millions en Europe (Bohémiens, Tziganes, Gypsies, Gitans, Romanichels, Manouches). Ils ont conservé leur langue, leur culture, leur mode de vie. Ils ne connaissent pas les frontières et se définissent comme des « voyageurs » ou des « gens du voyage ». Dans les pays où ils sont nombreux, ils ont créé des partis ethniques. Dans plusieurs pays de l’est européen, il y a ou il y a eu dans un passé très récent des ministères chargés des affaires tziganes ou bohémiennes. Pendant la période communiste de ces pays, les Roms furent interdits de bouger, de partir à l’aventure sur les routes et les chemins ; tous à l’usine, aux champs et sur les chantiers. Gare au «parasitisme» qui les conduisait tout droit dans les «camps de rééducation à régime sévère». Pendant un demi-siècle on n’entendit plus parler des Roms de derrière le « Rideau de fer». Et pourtant, 2 générations plus tard, après un demi-siècle de régime soviétique, ils sont revenus à leurs traditions.
Vouloir comparer des Français d’Algérie venus ou revenus dans la mère patrie où ils se sont rapidement intégrés n’est pas pertinent. De la part d’un ancien magistrat qui avait pour profession de tenter de faire la part des choses, cette analyse superficielle et simpliste est inquiétante. Madame Joly prouve une nouvelle fois qu’elle n’est pas encore tout à fait intégrée à la culture et à l’histoire de la France.
Lorsque la LDH lui emboite le pas, elle ne fait pas une analyse subtile et laisse apparaître tout le parti-pris qui est le sien. Elle démontre qu’elle n’est qu’une entreprise politique nullement préoccupée des droits de l’homme, toute entière tournée dans une dialectique unilatérale et en dépit de sa profession de foi, sans aucune empathie pour un groupe humain déraciné dans la violence.
Le texte de Michel Delarge et les réactions suscitées sur son blog, suggèrent plusieurs remarques : se serait-il permis de stigmatiser une autre population, même en employant le second degré ? Sans parler des Roms, des Juifs ou des Arméniens, mais des Portugais ou des Vietnamiens ? Il est trop facile de se réfugier derrière la dérision et l’humour.
Les pieds-noirs, quel poids électoral ?
Au terme de cette réflexion, on peut identifier la cause de cette nouvelle mode qui met les Pieds-Noirs au centre de l’actualité. L’étude du CEVIPOF est importante : elle met en évidence le poids de l’électorat pied-noir, évalué à 3200 000 personnes, soit 7,3% des votants potentiels. Dans certaines régions ce poids est encore plus important : 15% en Languedoc-Roussillon, 13% en PACA, 11% en Midi-Pyrénées. Et le vote pour le Fn est légèrement surreprésenté. Mais si l’on compare le vote des pieds-noirs dans les régions du sud à ceux des « non pieds-noirs » le différentiel est moins significatif. Et dans les régions du nord ou de l’est le vote pied-noir est peu différent de celui des « non pieds-noirs ».
Ainsi derrière des remarques en apparence rationnelles, apparaît une préoccupation politique qui compte-tenu de la montée du Fn en 2013 dans les sondages va devoir être révisée.
*Roger Vétillard, notre collaborateur, spécialiste de la guerre d’Algérie est l’auteur de deux ouvrages faisant référence, « Sétif, Mai 1945, Massacres en Algérie » Ed de Paris et » 20 Août 1955, un tournant dans la guerre d’Algérie » Ed Riveneuve. Un nouvel ouvrage sur un des autres aspects importants de la Guerre d’Algérie est en cours de publication.
http://www.metamag.fr/metamag-1648-LES-PIEDS-NOIRS-CES-PELES-CES-GALEUX%E2%80%A6.html