Par Stéphane Kovacs
Mis à jour le 30/09/2016 à 21h59
REPORTAGE - Alors qu'un référendum antimigrants est organisé ce dimanche dans le pays, les 196 habitants de Koros, un village miné par le chômage, sont tous d'accord pour «défendre leur Hongrie».
Envoyée spécial à Koros (frontière hongro-croate)
Le soleil vient de disparaître derrière une rangée d'arbres, et le ciel se pare de magnifiques zébrures orangées. Voilà qui illumine le regard vitreux de l'«oncle Pista». Sa journée, il l'a passée assis sur un banc de fortune, juste devant chez lui, au bord de la route. Comme la veille. «Regarder le ciel et les voitures qui traversent le village, c'est à peu près tout ce qu'il y a à faire ici», observe le vieillard édenté.
Depuis quelques semaines cependant, il y a aussi les publicités rouge-blanc-vert pour le référendum de dimanche, accrochées aux réverbères, qui se balancent au gré du vent. À Koros, 196 âmes esseulées, loin de tout sauf de la frontière croate, tout le monde est d'accord pour «défendre notre Hongrie», comme le demande le premier ministre, Viktor Orban. Et les habitants aimeraient bien «compter, pour l'Union européenne, autant que les migrants».
Le village n'est qu'à 8 km de la Croatie, et pourtant, aucun de ses habitants n'a jamais vu de réfugié «en vrai». Même l'an dernier, au plus fort de la crise, avant que des clôtures de barbelés ne soient élevées le long des frontières serbe et croate. «À cet endroit, la démarcation, c'est la Drave, une rivière large et dangereuse, explique le maire (indépendant), Laszlo Gotthar. Les réfugiés sont donc passés par des communes voisines. Mais on en a beaucoup entendu parler!»
Cambriolages, cultures saccagées, jardins piétinés, barrières démontées, «les habitants de ces villages n'en dormaient plus, poursuit l'édile. En fait, on n'a pas eu besoin de la propagande du gouvernement, mais juste d'écouter nos voisins pour comprendre que l'on ne voulait pas de ces “sauvages” qui ne pourraient pas s'intégrer chez nous». À plusieurs reprises, ses administrés ont appelé la police, croyant avoir aperçu un migrant… mais ce n'étaient que des fausses alertes.
Pour répondre à cette peur persistante, le maire a organisé des «forums» avec la population. Depuis début 2015 déjà, la municipalité avait deux gardes champêtres, armés et vêtus d'un uniforme kaki, chargés de surveiller le village. Il y a six mois, 22 caméras ont été installées. «On se sent plus en sécurité, même quand il n'y a pas de migrants!», clame le maire. Ce n'est pas l'avis de tous. «Deux gardes champêtres ne pourraient rien faire face à un groupe de criminels! assène Sandor, 46 ans, employé à la fois du seul magasin et du bar de Koros, qui communiquent. On a vu à la télé comme ils avaient l'air agressifs. Comment ils traitent leurs femmes. Et moi, bien sûr que je ne suis pas rassuré: voyez comme je suis petit!»
Pour épauler les quelque 10.000 soldats qui protègent les frontières, équipés de drones et d'hélicoptères, l'État cherche à enrôler 3.000 citoyens pour en faire une unité spéciale au sein de la police, des «chasseurs de frontières», armés de fusils et de bombes lacrymogènes. Une campagne de recrutement se déroule actuellement dans tout le pays. La formation de ces citoyens commencera le 1er novembre et durera six mois. À Koros aussi, on a vu les affiches… mais l'espoir est vite retombé. «Personne n'a pu postuler, regrette Laszlo Gotthar. Il faut le bac minimum, parler une langue étrangère…»
Tous ceux qui ont fait des études, soupire le maire, ont quitté le village. Et 90 % de ceux qui restent sont au chômage. «Pourquoi les Européens n'investissent-ils pas ici, pourquoi on ne nous met pas une usine Mercedes dans le coin?», fulminent-ils. «Qui se soucie de nous? renchérit le maire. Regardez les employés communaux: avec leurs vieux vêtements troués, ils ressemblent à des migrants, pas vrai?»
Jardinage, maçonnerie, surveillance, la plupart des chômeurs font des travaux d'intérêt général, condition pour toucher l'allocation d'environ 180 euros par mois. «Pour moi qui ai deux adolescents, cela suffit tout juste pour l'eau, l'électricité, le bus, la nourriture! se récrie Gyöngyi, 46 ans, laissant entrevoir deux chicots noircis. J'ai compris que les réfugiés avaient quitté leur pays ; c'est triste et on les plaint. Mais je n'ai rien à partager d'autre que deux oies et quelques poules… J'ai entendu dire qu'ils avaient une aide financière presque aussi importante que la mienne. Or moi, personne ne va m'accueillir. Où vais-je pouvoir me réfugier si on en prend encore davantage?»
Dans le bar aux murs lépreux, plus personne n'a les moyens de se payer des verres. On parle du prochain jour de paie, où la municipalité offre à tous ceux qui le veulent un voyage en bus jusqu'au supermarché de la ville voisine - un aller-retour grignoterait déjà près de 10 % de leurs allocations… «On touche le fond, et on voudrait encore nous imposer des gens dont on ne sait rien, qui sont peut-être des terroristes! s'indigne Gyula, 60 ans. Nous aussi on aimerait bien fuir à l'étranger pour qu'on nous trouve un vrai travail!»
Certains ont hésité à se rendre aux urnes dimanche: «Ils pensaient faire ainsi comprendre au gouvernement qu'ils se sentaient abandonnés, explique le maire. Finalement, je crois qu'en grande majorité, ils iront voter non aux quotas de migrants ; la protection de leur patrie leur tient trop à cœur.» Quant à l'«oncle Pista», il votera aussi, «pour pas que ça change». Lui ne souhaite que de pouvoir continuer, «tranquillement», à «regarder passer les voitures».
Cet article est publié dans l'édition du Figaro du 01/10/2016.