Joris
Karl
Journaliste.
Tous ceux qui ont un peu baroudé en Thaïlande sont au courant. Là-bas, les choses tournent différemment. Les sauterelles grillées se croquent en guise d’apéro, le massage fait partie des — dangereuses — religions nationales, la pluie est délicieuse… Et on peut trouver Hitler au bout de la rue.
C’est sûrement le plus troublant pour le touriste qui débarque du côté de Pattaya ou Bangkok.
La Shoah, là-bas, personne ne connaît. Aucun tabou. C’est l’atmosphère humide peut-être, la chaleur diffuse, l’encens des autels qui doit perturber les neurones du politiquement correct. Et puis l’extermination des juifs, c’était il y a très longtemps au fin fond de l’Europe. En gros, tout le monde s’en fout. Un peu comme nous nous foutons des indigènes d’Amérique genocidés par les conquistadores. Ou des expériences ignobles de l’Unité 731 en Mandchourie dans les années 30. De toute façon, c’est désolant, ma brav’ dame, les tabous sont toujours vaincus. Soit par la distance géographique, voire l’ignorance (un ado français peut porter sur lui le portrait de l’assassin Che Guevara en allant au lycée), soit par le temps. Louis XIV, cet horrible dictateur fasciste selon nos normes, a encore sa statue à Montpellier ou à Lyon, par exemple. En Allemagne, l’Ostalgie (la nostalgie de la RDA) se porte aussi très bien…
Que voulez-vous, la mémoire ne peut s’écrire que sur le sable.
La géographie, le temps et l’ignorance. En Asie, le tabou hitlérien est vaincu par les trois à la fois. Et en plus, s’habiller en nazi, c’est trop fun.
Il y a une dizaine d’années, au croisement d’une rue d’une ville au sud de Bangkok, j’étais tombé sur un marchand de casques de la Wehrmacht ! Plus tard, dans le nord, à Chiang Mai, pendant le marché de nuit, j’avais été interpellé par un stand qui vendait des T-shirts Hitler, au milieu de ceux de Ben Laden et de Saddam. Bien affichés dans les rues grouillantes de monde. Et ça n’avait pas l’air de susciter la moindre réprobation ! Le vendeur, un Laotien qui parlait un peu français, m’en proposait trois pour le prix de deux, en se marrant…
C’était il y a dix ans. Maintenant, le pays entier semble céder à la mode du « nazi-chic ». La Chine, le Japon et la Corée suivent le même mouvement rétro-trash. Presque un défi à l’Occident apeuré. On transgresse avec un sourire vicelard. Ronald McDonald a l’apparence du Führer dans certains fast-foods et vous pouvez même dîner dans les établissements de la chaîne « Hitler Fried Chicken », tandis que des collégiennes dévergondées vous font le salut hitlérien en gloussant…
C’est ainsi : l’Asiatique a la croix gammée décomplexée, et l’on voit de plus en plus souvent des couples de jeunes mariés où monsieur a revêtu l’uniforme Waffen-SS. Le prince Harry se sentirait comme chez lui durant la cérémonie.
On attend la suite. À quand Auschwitz version Disneyland ? Avec des employés en pyjamas rayés, ce serait du dernier chic.
BOULEVARD VOLTAIRE - 24/07/13