Jacques Sapir dirige le groupe de recherche Irses à la FMSH, et coorganise avec l'Institut de prévision de l'économie nationale (IPEN-ASR) le séminaire franco-russe sur les problèmes financiers et monétaires du développement de la Russie. Vous pouvez lire ses chroniques sur son blog RussEurope.
Les propositions qui ont été soumises par Alexis Tsipras dans la nuit de jeudi à vendredi ont provoqué la stupeur. Elle reprennent largement, mais non totalement, les propositions formulées par l'Eurogroupe le 26 juin. La réaction très positive des marchés financiers est à cet égard un signe important. On sait par ailleurs qu'elles ont été en partie rédigées avec l'aide de hauts fonctionnaires français, même si cela est démenti par Bercy. Ces propositions résultent d'un intense travail de pressions tant sur la Grèce que sur l'Allemagne exercées par les Etats-Unis. La France a, ici, délibérément choisi la camp des Etats-Unis contre celui de l'Allemagne.
Les termes de la proposition grecque
Si ces propositions sont proches de celles de l'Eurogroupe, on peut cependant noter certaines différences avec le texte du 26 juin, et en particulier la volonté de protéger les secteurs les plus fragiles de la société grecque: maintien du taux de TVA à 7% pour les produits de base, exemptions pour les îles les plus pauvres, maintien jusqu'en 2019 du système d'aide aux retraites les plus faibles. De ce point de vue, le gouvernement n'a pas cédé. De même, le gouvernement a inclus dans ce plan des mesures de luttes contre la fraude fiscale et la corruption, qui faisaient partie du programme initial de Syriza. Mais, il faut bien reconnaître qu'il s'est, pour le reste, largement aligné sur les demandes de l'Eurogroupe. Faut-il alors parler de capitulation comme le font certains?
Le gouvernement grec insiste cependant sur trois points: un reprofilage de la dette (à partir de 2022) aboutissant à la reporter dans le temps, l'accès à 53 milliards sur trois ans, et le déblocage d'un plan d'investissement, dit «plan Juncker», mais qui inclut largement des sommes prévues - mais non versées - par l'Union européenne au titre des fonds structurels. Surtout, le gouvernement grec insiste sur un engagement contraignant à l'ouverture de négociations sur la dette dès le mois d'octobre. Or, on rappelle que c'était justement l'une des choses qui avaient été refusées par l'Eurogroupe, conduisant à la rupture des négociations et à la décision d'Alexis Tsipras de convoquer un référendum.
Les Etats-Unis, inquiets des conséquences d'un « Grexit » sur l'avenir de la zone euro, ont mis tout leur poids dans la balance pour amener Mme Merkel à des concessions importantes.
De fait, les propositions transmises par le gouvernement grec, si elles font incontestablement un pas vers les créanciers, maintiennent une partie des exigences formulées précédemment. De ce point de vue une interprétation possible de ces propositions est qu'elles ont pour fonction de mettre l'Allemagne, et avec elle les autres pays partisans d'une expulsion de la Grèce de la zone Euro, au pied du mur. On sait que les Etats-Unis, inquiets des conséquences d'un «Grexit» sur l'avenir de la zone Euro, ont mis tout leur poids dans la balance pour amener Mme Merkel à des concessions importantes. Mais, ces propositions présentent aussi un grave problème au gouvernement grec.
Le dilemme du gouvernement grec
La volonté des institutions européennes de provoquer un changement de gouvernement, ce qu'avait dit crûment le Président du Parlement européen, le social-démocrate Martin Schulz, n'a pas changé.
Le problème auquel le gouvernement Tsipras est confronté aujourd'hui est double: politique et économique. Politiquement, vouloir faire comme si le référendum n'avait pas eu lieu, comme si le «non» n'avait pas été largement, et même massivement, majoritaire, ne sera pas possible sans dommages politiques importants. Le Ministre des finances démissionnaire, M. Yannis Varoufakis, a d'ailleurs critiqué des aspects de ces propositions. Plus profondément, ces propositions ne peuvent pas ne pas troubler non seulement les militants de Syriza mais aussi, et au-delà, l'ensemble des électeurs qui s'étaient mobilisés pour soutenir le gouvernement et Alexis Tsipras. Ce dernier prend le risque de provoquer une immense déception, qui le laisserait sans défense faces aux différentes manœuvres tant parlementaires qu'extra-parlementaires dont on peut imaginer que ses adversaires politiques ne se priveront pas. La volonté des institutions européennes de provoquer un changement de gouvernement, ce qu'avait dit crûment le Président du Parlement européen, le social-démocrate Martin Schulz, n'a pas changé. Hier, jeudi, Jean-Claude Juncker recevait les dirigeants de la Nouvelle Démocratie (centre-droit) et de To Potami (centre-gauche). Or, privé d'un large soutien dans la société, ayant lourdement déçu l'aile gauche de son parti, aile gauche qui représente plus de 40% de Syriza, Tsipras sera désormais très vulnérable. Au minimum, il aura cassé la logique de mobilisation populaire qui s'était manifestée lors du référendum du 5 juillet. Cela aura, bien entendu des conséquences. Si les députés de la gauche de Syriza vont voter ces propositions au Parlement, il est néanmoins clair que les extrêmes, le KKE (les communistes néostaliniens) et le parti d'extrême-droite «Aube Dorée», vont pouvoir tirer profit de la déception que va susciter ces propositions.
Au-delà, la question de la viabilité de l'économie grecque reste posée. Certes, elle sera posée dans des termes moins immédiatement dramatiques qu'aujourd'hui si un accord est conclu. Les banques, à nouveau alimentées par la BCE, pourront reprendre leurs opérations. Mais rien ne sera réglé. Olivier Blanchard, l'ancien économiste en chef du Fond Monétaire International signale que les pronostics très négatifs réalisés par son organisation sont probablement en-deçà de la réalité. Après cinq années d'austérité qui l'ont saigné à blanc, l'économie grecque a désespérément besoin de souffler. Cela aurait pu passer par des investissements, une baisse de la pression fiscale, bref par moins d'austérité. Ce n'est pas le chemin vers lequel on se dirige. Cela aurait pu aussi passer par une sortie, et non une expulsion, hors de la zone euro qui, en permettant à l'économie grecque de déprécier sa monnaie de -20% à -25%, lui aurait redonné sa compétitivité. On ne fera, à l'évidence, ni l'un ni l'autre. Dès lors, il faut s'interroger sur les conditions d'application des propositions soumises par la Grèce à ses créanciers. Même en admettant qu'un accord soit trouvé, la détérioration de la situation économique induite par l'action de la Banque Centrale Européenne, que M. Varoufakis a qualifiée de «terroriste», venant après cinq années d'austérité risque de rendre caduques ces propositions d'ici à quelques mois. Une chute des recettes de la TVA est prévisible. Une nouvelle négociation sera donc nécessaire. En ce sens, ces propositions ne règlent rien.
L'Euro c'est l'austérité?
Il faut poser clairement le problème d'une sortie de l'euro, qu'il s'agisse de la Grèce ou de nombreux autres pays.
Il faut, alors, s'interroger sur le sens profond de ces propositions. Alexis Tsipras a déclaré ce vendredi matin, devant le groupe parlementaire de Syriza, qu'il n'avait pas reçu mandat du peuple grec pour sortir de l'euro. Le fait est aujourd'hui débattable. Il est clair que telle n'était pas l'intention initiale du gouvernement. Mais, on peut penser que mis devant l'alternative, refuser l'austérité ou refuser l'euro, la population grecque est en train d'évoluer rapidement. En réalité, ce que l'on perçoit de manière de plus en plus claire, et c'est d'ailleurs l'analyse qui est défendue par l'aile gauche de Syriza, c'est que le cadre de l'euro impose les politiques d'austérité. Si Tsipras a cru sincèrement qu'il pourrait changer cela, il doit reconnaître aujourd'hui qu'il a échoué. Dès lors il faut poser clairement le problème d'une sortie de l'euro, qu'il s'agisse d'ailleurs de la Grèce ou de nombreux autres pays.