Nous avons décidé de publier de larges extraits des témoignages qu’ont livrés, en interne, deux des trois policiers directement confrontés à la progression du camion fou en direction de la zone piétonne où se dispersaient, sur la Promenade des Anglais, près de 30.000 personnes venues assister au feu d’artifice du 14-Juillet. En précisant d’emblée que ces éléments ne nous ont pas été transmis par les fonctionnaires eux-mêmes, au cas où un esprit tordu aurait l’idée de le leur reprocher.
En poste dans un commissariat de la ville, gardiens de la paix, ce sont eux qui étaient en première ligne, comme ce fut le cas à Paris la nuit du 13 novembre 2015 ou aux abords des locaux de Charlie Hebdo au mois de janvier. Ils ont pris leurs fonctions vers 15h30 pour sécuriser les abords du défilé militaire, sur la Promenade, au terme duquel, vers 19h30, ils ont eu droit à une pause repas. Puis ils sont retournés sur le terrain pour le feu d’artifice, par groupes de trois, à pied.
« La soirée était conviviale »
Vers 21h, ils sont tous en place. « La soirée était conviviale, la sécurisation se déroulait bien, sans aucun souci, déclare l’un d’eux. Il y avait énormément de monde mais l’ambiance était festive. Aux alentours de 22h, le feu d’artifice a commencé et il s’est déroulé sans problème ».
Positionné avec deux collègues non loin du casino Ruhl, un agent voit les « badauds » commencer à quitter les lieux. « L’évacuation se passait lentement et dans le calme », dit-il. Jusqu’au moment où celui des trois qui détient l’unique radio « capte un message de notre station directrice TN06, avisant les patrouilles qu’un camion fou écrasait les piétons sur la Promenade des Anglais en venant du quartier Ferber et se dirigeait vers le Quai des Etats-Unis ». Il est 22h30 et le message semble indiquer que le camion circule sur la chaussée sud, longeant la mer.
« Nous sommes partis tous les trois en courant »
« Immédiatement, poursuit le gardien de la paix, nous sommes partis tous les trois en courant en direction de l’Ouest afin d’intercepter le camion. Nous avons couru sur la chaussée sur de la Promenade, côté mer, pendant environ 200 mètres, nous nous faufilions entre les gens et pendant que nous courions, nous savons constaté un mouvement de foule qui courait vers nous. Les gens criaient, hurlaient ».
Lui se positionne côté gauche de la chaussée, ses deux collègues côté droit, puis : « A la hauteur du Palais de la Méditerranée, j’ai vu le camion blanc arrêté en pleine voie de circulation, le moteur en route, énormément de bruit se dégageait du moteur. Dans le même temps, j’ai entendu les gens qui couraient, crier qu’il était armé, et j’ai vu dans le camion que seul un individu était à bord. Il était au volant et il était en train d’en découdre avec un témoin des faits qui essayait de le sortir du camion. A cet instant, j’ai constaté que de nombreux corps étaient au sol, derrière le camion et que plus personne ne bougeait ».
« Il ne fallait pas qu’il redémarre »
Le fameux témoin disparaît, puis le gardien de la paix entend une « détonation ». « C’était flou, poursuit-il, tout allait très vite, je courais en direction du camion. J’ai vu que le chauffeur tenait une arme, il me semble dans la main droite, mais je n’en suis pas sûr. Cette arme était dirigée vers mes deux collègues. Je progressais arme à la main et j’ai fait feu en direction de cet individu. Je pense deux à trois fois. Je voyais cet individu au volant, le moteur tournant, il ne fallait pas qu’il redémarre et qu’il fasse d’autres victimes. J’ai continué à progresser. Je faisais face au camion.
J’ai vu que cet individu bougeait dans l’habitacle et à un moment, il a pointé son armé dans ma direction et il m’a tiré dessus au moins une fois. J’ai encore fait feu, je pense à deux ou trois reprises et je suis allé me mettre en protection derrière un palmier situé à 6 ou 7 mètres du camion. Le chauffeur du camion a de nouveau bougé dans l’habitacle, comme s’il cherchait quelque chose, et il est passé sur le siège passager. J’ai tiré pour le neutraliser jusqu’à ce qu’il ne bouge plus.
Une fois qu’il n’a plus bougé, je me suis approché du camion, arme à la main et braquée dans sa direction tout en prenant des mesures de sécurité. J’ai vu qu’il était affalé sur le flanc droit contre la porte avec la tête qui sortait un peu de l’habitacle. Lorsque j’ai constaté qu’il ne bougeait plus, avec mes collègues, nous avons décidé d’élargir le périmètre de sécurité tout en reculant car nous avions peur qu’il détienne un engin explosif, ou que le camion soit piégé et qu’il fasse tout sauter ».
Il a vu ce civil monter sur le marchepied du camion
Le courage, la détermination, les bons réflexes : une fois de plus, avec les moyens qui sont les leurs, ce sont les gardiens de la paix, et non les services d’élite surentraînés, qui se sont retrouvés au premier rang face à l’ennemi. Ce policier aura tiré en tout douze cartouches sur un total de quinze que contenait le chargeur de son Sig Sauer.
Son arme, le gilet pare balle, les menottes et une radio, voici l’équipement dont sont dotés ces policiers à l’heure où la « guerre » fait irruption en pleine patrouille. La foule était dense, au point qu’ils se faisaient bousculer par les gens, rapporte un deuxième fonctionnaire, brigadier de son état. Monté sur un trottoir après avoir capté le fameux message, il a vu que « l’avant du camion faisait comme des bonds de 1m, 1,50 m, à une distance d’environ trois cents mètres ». Une fois à sa hauteur, lui aussi a sorti son arme. Il s’est mis à couvert derrière un palmier et a vu cet homme (le terroriste) « habillé en sombre très foncé ayant le crâne rasé et peut-être un bouc, 30 ans environ ».
Il a vu ce civil monter sur le marchepied du camion et tenter de maîtriser le conducteur, qui l’a visé avec son arme, avant de tirer sur un autre policier qui se trouvait à quelques mètres de là, « en balayant avec son arme dans ma direction ». « C’est là que j’ai tiré sur le conducteur en riposte, je ne sais pas si je l’ai touché, j’ai voulu lui retirer dessus et j’ai eu un incident de tir. J’ai remis mon arme en service en éjectant la cartouche, puis j’ai retiré en le visant car il ne me regardait pas et il avait une partie du corps à l’extérieur du camion. Je l’ai visé, mais je ne sais pas si je l’ai touché, car nous étions plusieurs à lui tirer dessus. J’ai alors entendu dire qu’il était mort… »
C’est à cet instant que le brigadier se rend compte de « l’étendue des dégâts ». « J’ai vu derrière le camion des dizaines de corps écrasés et couchés, il y avait beaucoup de corps mutilés, des crânes défoncés, un gamin de 4 ans avec du sang qui sortait de la bouche… C’était un carnage, une scène de guerre, on glissait sur les plaques de sang, il y avait des corps partout… »
« Avez-vous autre chose à ajouter ? », demande le policier à son collègue.
« Non ».
Frédéric Ploquin
MARIANNE