Il n’a donc pas été fait, dans cette affaire, le procès de l’idéologie régressive qui porte constamment ses anathèmes contre l’ « impudeur » supposée de l’amour et des femmes : c’était pourtant la base et la cause directe de l’agression. On peut se demander, en effet, depuis quand il n’est plus devenu possible de s’embrasser librement sans qu’une police de la pudeur ne s’abatte.
Le Beltrame de la société civile
Marin, c’est le Arnaud Beltrame de la société civile, du quotidien de si nombreux Français confrontés à la violence, à la régression de la civilité dans l’espace public, à ce terrorisme de basse intensité de la sauvagerie qui rend le « vivre-ensemble », au nom duquel pourtant il se répand, impossible. Or, le traitement de cette affaire par les pouvoirs publics au moment des faits, ou plus exactement son absence de traitement, est le reflet de l’aveuglement et du déni qui entourent la réalité dont elle est pourtant le symptôme éclatant.
Déni quant aux causes de l’agression tout d’abord, dont il aura été urgent de taire le motif déclencheur. Car il ne s’agit pas d’une banale altercation requalifiable en simple bagarre de rue qui aurait mal tourné ou en fait divers tragique : il s’agit d’un véritable problème social de régression des mœurs qui conduit des pans croissants de la population à considérer comme abominablement impudique et intolérable qu’un couple s’embrasse, que l’amour et les individus soient libres. Cet aspect de la réalité a été promptement passé sous silence alors qu’il constitue pourtant la source du problème ici posé, la cause de cette même violence que subissent de nombreuses jeunes filles dans de nombreux quartiers, qualifiées d’impudiques selon exactement la même rhétorique si elles osent présenter leur corps non dissimulé dans l’espace public.
La dissimulation au secours de la récupération
Si cette cause pourtant évidente n’a pas été évoquée avec le courage et la clarté requis, c’est parce que la seule obsession dans ce dossier, jusqu’à ces tout derniers jours, est de ne pas abonder dans le sens de la mystérieuse « fachosphère » dont on semble redouter en permanence l’action secrète et manipulatrice. Il ne s’agit manifestement pas de se méfier des délinquants ni de l’idéologie qui les encourage à la violence, non, il s’agit de redouter le halo paranormal et plus ou moins fantasmagorique de la « récupération » par l’extrême droite numérique. Cette dernière, dont on ignore où elle se situe exactement, probablement quelque part entre l’atmosphère et les confins de l’Univers, et qui semble toutefois obséder jusqu’à la paralysie bon nombre d’acteurs et d’observateurs, serait donc le véritable danger. A ceux qui se coltinent la réalité de se débrouiller tout seuls avec la violence concrète et d’en avoir le corps et l’esprit massacrés à vie.
Au nom de cette inversion paradigmatique de la réalité, de ce déni du réel, les véritables causes et le sens de cette agression auront été passés sous silence. Si les pouvoirs publics s’emparaient du réel, le « récupéraient », justement, afin de le traiter, ce qui constitue normalement la base mais aussi l’objectif de leur action et donc leur seule légitimité, cela fournirait une excellente garantie contre ces mystérieuses récupérations nauséabondes dignes de la mythologie gréco-romaine dont on se préoccupe beaucoup. Mais la question ne sera toujours pas posée, elle dérange.
Cet aveuglement, qui a pour hantise un hypothétique risque de « stigmatisation », préfère ne pas regarder en face celui qui, pour le coup, porte dans sa chair les vrais stigmates d’un vrai danger, bien réel celui-ci.
Où est sa Légion d’honneur ?
Ainsi, Marin ne s’est curieusement pas encore vu décerner la Légion d’honneur, malgré le mouvement populaire de soutien et de pression qui s’est constitué pour en faire la demande. Le ministre de l’Intérieur et ancien maire de Lyon, Gérard Collomb affirme pourtant en avoir activement saisi le président Emmanuel Macron et l’on suppose donc que cette Légion, pourtant tellement méritée tant il s’agit bien d’honneur et d’un honneur national, s’est perdue quelque part dans le trou noir du courage politique, errant entre la stratosphère et la fameuse « fachosphère » que d’éminents astrophysiciens découvriront peut-être un jour.
Déni également quant à la réponse pénale apportée : l’auteur des coups, alors âgé de 17 ans et 8 mois (et l’on se doute bien que sa force physique de destruction n’aurait pas brutalement décuplé en 4 mois ni comme par enchantement le matin de ses 18 ans : elle était déjà là, adulte et bestiale, lorsqu’elle s’est abattue pour massacrer Marin), a bénéficié de la mansuétude de la Cour d’assises des mineurs de Lyon. Elle lui a appliqué l’excuse de minorité et l’a condamné à 7 ans et demi de prison ferme au lieu des 14 ans requis par l’avocat général, un verdict contre lequel la partie civile a annoncé toutefois ne pas souhaiter faire appel en raison de l’immense fatigue qu’un nouveau procès représenterait pour Marin. Dans ce cas pourtant, l’excuse de minorité aurait pu être levée, en raison du lourd passé de délinquance de l’accusé (18 condamnations à son actif dont certaines pour faits de violence), en raison de son imminente majorité au moment des faits, en raison du fait que son geste s’est apparenté, ce qui a été souligné, à une quasi tentative d’homicide. Mais non, c’est l’esprit rédempteur de l’ordonnance du 2 février 1945, organisant une justice pénale des mineurs de l’immédiat après-guerre, qui prévaudra dans cette affaire, en dépit de l’évolution du réel social et en marge du bon sens.
Je dénie donc je suis
Face à ces dénis de toute nature, aveuglement quant aux causes de l’agression, aveuglement quant à ses conséquences, aveuglement quant aux solutions à y apporter, Marin et sa famille sont restés dignes et héroïques, bien que très choqués par le verdict. Comme pour le colonel Beltrame, l’autre héros français, la foi a joué un rôle, notamment cette rencontre récente avec le Pape François, afin de se hisser à un niveau élevé d’engagement, de résistance à l’adversité, d’espérance et de courage face au réel, et même, d’aptitude au pardon.
On peut à l’inverse espérer que dans le naufrage du traitement social, médiatique, politique et judiciaire de cette affaire, l’auteur des coups, le coupable du martyre de Marin, n’aille pas pour parachever son parcours criminel, se radicaliser dans une prison dont on doute qu’elle puisse, de toute façon, à elle seule résoudre le problème qui se pose ici et qui concerne le dysfonctionnement de la société française tout entière.
CAUSEUR.fr
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