
Défi lancé, pari tenu… au moins le temps d’une manifestation, d’un aller simple Bastille-Nation, sur ce trajet traditionnel dont les pavés, plus encore qu’usés, doivent être blasés à force d’être foulés aux pieds comme de vulgaires promesses électorales. Le risque, calculé, était mince. La preuve est faite que ce qu’il reste du Parti communiste sait toujours mobiliser ce qu’il lui reste de militants et de clients, et que la politique d’austérité menée, sinon assumée, par un gouvernement supposé socialiste, avec son cortège de faillites, de licenciements, de récession, de chômage, sème l’angoisse et le malheur et récolte la révolte et le désespoir. Et après ? Que reste-t-il de la journée fondatrice de temps nouveaux annoncée par le Pasionario de la plèbe, une fois les micros débranchés, les banderoles roulées et le tribun redescendu de sa tribune ?
Jean-Luc Mélenchon est assurément un homme intelligent, éloquent, sincère et plutôt sympathique à l’état naturel, qui n’est malheureusement pas son état habituel, en public. Il pense beaucoup de choses justes sur les postures et les impostures de la gauche de gouvernement, sur ses trahisons, sur ses reniements, sur la sujétion de la social-démocratie à la finance, la soumission de la France à Bruxelles et la capitulation de ses dirigeants devant le capitalisme international. Mais il ne les dit pas, il les crie, il les clame, il les vocifère. Il s’est lui-même disqualifié et se disqualifie chaque jour davantage par son sectarisme, sa grossièreté, son archaïsme et, en prime, son narcissisme. Ce n’est pas un hasard s’il n’a réussi à se qualifier pour le second tour ni lors de la présidentielle ni lors de la législative partielle de Hénin-Beaumont, alors que la conjoncture actuelle est un rêve pour démagogues et si, depuis plus d’un an, sa cote plafonne à 11 %. L’ancien militant socialiste qui, si longtemps, s’était tenu bien sage sur les bancs de l’école successivement dirigée par François Mitterrand et Lionel Jospin, confond visiblement liberté et licence, combativité et agressivité, grands ancêtres et grandes gueules, révolution et one man show. Ses errances, ses références et ses outrances ont achevé ces derniers temps de le discréditer.
À gauche même, beaucoup ont du mal à admettre qu’un homme de gauche invite, et sur quel ton, le peuple de gauche à se soulever contre un gouvernement de gauche. De quel manuel poussiéreux ou de quel vieux rêve d’enfant sort-il ses appels à l’insurrection, à la réunion d’une Assemblée constituante, au referendum révocatoire ? Refaire 1789, et bien sûr 1793 ? N’aurait-il pas lu quelque part que les tragédies de l’histoire se répètent en farce, pour souhaiter à ce point en devenir le farceur en chef ? Et quel chef serait-il donc, celui dont les modèles sont ce que la confrontation entre les plus généreuses utopies et la réalité du pouvoir a produit de pire, celui dont les idoles ont nom Robespierre, Staline, Pol Pot, Mao ou Fidel Castro ? Si l’homme au drapeau rouge entre les dents avait pris la peine de se retourner sur les 180.000 manifestants revendiqués par les organisateurs du défilé d’hier (la police ayant comme on sait renoncé à tout décompte) il aurait aisément constaté l’absence totale de la gauche du parti socialiste, qui vient de condamner ses excès de langage, l’absence quasi-totale des écologistes, exception faite du courant représenté par Mme Eva Joly, qui ne fait pas jurisprudence. Il aurait pu constater que nombre de ceux mêmes qui marchaient dans son sillage traînaient les pieds ou y allaient à reculons : les communistes n’ont aucune envie de rompre leurs alliances municipales avec le P.S. et de renouer avec le culte de la personnalité, le NPA récuse et l’homme et sa tactique, Lutte ouvrière tourne en ridicule ses ambitions matignonesques.
Qui m’aime me suive, disait Henri IV en coiffant son chapeau à panache blanc. Qui aime Jean-Luc Mélenchon, qui est prêt à le suivre ? À quoi sert de rassembler cent mille personnes, si l’on en a braqué contre soi quelques dizaines de millions ? On peut être isolé au milieu de la foule. Plus seul que Jean-Luc Mélenchon, il n’y a pas.