Ce qu'il reste de l'école des Maristes, rue Villeneuve, dans le quartier du Chapitre, après le passage des 250 forteresses volantes...
Ce 27 mai 1944, Sylvette et Mireille Suzanne n'ont que 18 et 9 ans quand leur vie bascule en quelques secondes
La journée s'annonçait magnifique...
Ce samedi 27 mai 1944, Marseille vaque à ses occupations, ne prêtant guère attention aux hurlements des sirènes qui ont commencé à retentir vers 10 heures du matin. Il faut dire que depuis plusieurs mois, leur déclenchement quasi-quotidien, systématiquement suivi d'un avis de fausse alerte, avait fini par endormir la vigilance de la population.
Les bombardiers américains
Or ce jour-là, la cité phocéenne a été désignée comme cible prioritaire d'un raid massif de l'aviation alliée. À bord de 250 forteresses volantes venues d'Italie, les bombardiers américains tiennent la ville dans le réticule de leur collimateur. Les trappes s'ouvrent, libérant près de 800 bombes de 250 kg et 500 kg qui chutent en sifflant. Au sol, c'est l'apocalypse.
En quelques secondes, la vie de Sylvette et Mireille Suzanne va basculer dans l'horreur la plus totale. Miraculeusement épargnées car absentes de leur domicile ce matin-là, elles ne découvrent à leur retour que ruines, mort et désolation.
"Je me trouvais à l'école Sainte-Marie de Fuveau, raconte Mireille, 79 ans, encore très émue à l'évocation de ces heures terribles. À 10 h, nous sommes sortis en récréation et à 10 h 15, des vagues d'avions sont passées au-dessus de nos têtes, très haut dans le ciel. Des enfants se sont mis à crier à plusieurs reprises : 'Ils vont bombarder Marseille !' J'ai quitté la cour et me suis réfugiée dans un coin du préau en pensant très fort à mes parents qui étaient là-bas..."
De retour d'un week-end dans les Basses-Alpes où la nouvelle du bombardement ne lui est pas parvenue, sa grande soeur Sylvette se rend normalement le mardi suivant, 30 mai, à sa maison située au 143, du boulevard National, afin d'y retrouver ses parents.
"Je suis arrivée devant l'immeuble qui n'existait plus"
"Je suis arrivée devant l'immeuble qui n'existait plus, se souvient Sylvette. Il ne restait qu'une partie de la façade où était accrochée la machine à coudre de ma mère, le poste de radio et le portrait de notre père sur le mur. Notre immeuble a été l'un des premiers atteints par la première vague. Mes parents n'ont pas eu le temps de descendre se mettre à l'abri, et surpris, ont subi une première attaque. Puis quelques secondes plus tard, une deuxième vague lâchait d'autres bombes qui ont complètement détruit la maison."
Ernest, le père de Sylvette et Mireille, est tué sur le coup. Parti la veille au soir à son travail, il n'aurait dû rentrer qu'en fin d'après-midi mais était revenu plus tôt en raison d'une grève surprise des trains. Marthe, leur mère, est précipitée au bas de l'immeuble où elle reste ensevelie pendant huit heures sous les décombres.
"En fin de journée, poursuit Sylvette, les équipes de sauveteurs avaient abandonné tout espoir de retrouver des survivants dans l'immeuble totalement détruit. Mais le curé de l'église du Bon Pasteur était persuadé d'entendre des appels. Il a alors demandé de l'aide à deux jeunes hommes qui passaient par là. C'étaient deux frères, dont l'un, Marcel Siterre, avait travaillé à la mine de Gardanne et possédait quelques connaissances pratiques pour étayer les galeries. Ils se mirent à creuser et sécuriser un petit tunnel jusqu'à notre mère."
Mais la pauvre femme ne se remettra jamais totalement de ses blessures et décédera quatorze ans plus tard, ajoutant son nom à celui des milliers de victimes de ce raid incompréhensible.
Quartier martyr
Un hommage aux victimes et aux sauveteurs sera rendu ce soir à 19 h 30, devant le monument des Mobiles, sur La Canebière ; cérémonie précédée à 18 h 30 d'une messe en l'église des Réformés. Selon le bilan établi par le bataillon de marins pompiers de Marseille dont 10 militaires sont morts ce jour-là à bord de leur véhicule écrasé par un pan de mur, le raid aurait fait 1 752 morts et 2 760 blessés, détruit 404 immeubles et déclenché 46 grands incendies.
Chiffres confirmés par l'association des Anciens de la Défense passive dont 64 volontaires et 47 démineurs ont perdu la vie en 1944. Un autre décompte macabre souvent cité lors des cérémonies officielles, fait état de 3 000 morts et 6 000 blessés. L'épisode le plus dramatique de cette matinée infernale reste l'effondrement de la voûte du tunnel du boulevard National, touchée par un coup direct alors que des centaines de Marseillais s'y étaient réfugiées, pensant y être en sécurité. Là encore, le bilan fut très lourd : 100 morts et près de 150 blessés.
Aucune une cible stratégique ne fut touchée...
La Provence
NdB: Ajoutons que les soldats et infirmiers allemands aidèrent au déblaiement des ruines et au sauvetage des blessés.