« À dix minutes près, nous aurions pu nous crasher à la place du Falcon. » Jeune copilote dans une compagnie de jets privés, Samy* est un habitué de l'aéroport international de Vnoukovo (Russie). « Nous faisons régulièrement des vols entre Moscou et les principales capitales européennes. » Ses clients ? Des businessmen et ceux qu'il appelle « les nouveaux riches russes », amateurs de virées vers la Côte d'Azur. <btn_noimpr>
Ce soir-là, Samy devait quitter Vnoukovo aux commandes de son appareil, un biréacteur d'affaires de 19 places capable de parcourir 8 000 km à 900 km/h. « Nous étions au parking à 600 m de la piste empruntée juste avant nous par le Falcon de Christophe de Margerie. Avec mon commandant de bord, nous avons tout vu. »
Il est 23 h 55, à Moscou, deux heures de moins à Paris. Après le passage par le Terminal 3, réservé aux vols privés, et la vérification de l'avion, Samy procède dans le cockpit à la check-list qui précède le décollage. « Soudain, nous avons capté un message radio du copilote du Falcon 50 devant nous. Il avait du mal à comprendre les instructions de la tour de contrôle et quel taxiway il devait prendre pour se rendre sur la piste. »
Le Falcon s'engage sur la piste, prend de la vitesse et heurte de plein fouet un engin au bord de la piste. « Notre avion est insonorisé, nous n'avons pas entendu le choc, mais nous avons vu une boule de feu dévaler la piste, raconte Samy. Je pense que, sous le choc, l'aile du Falcon, remplie de kérosène, a pris feu puis l'avion s'est embrasé avant d'avoir pu décoller. »
Comment expliquer cette collision entre un avion au décollage et une déneigeuse ? Samy exclut un drame provoqué par de mauvaises conditions météo. « Elles étaient normales pour la saison, il faisait 1oC et il pleuvait, mais il n'y avait pas de vent ni de brouillard et la vue était dégagée sur 500 m. » Alors pourquoi le pilote du Falcon n'a-t-il pas vu la déneigeuse ? La réponse de Samy fuse, presque incroyable : « Les pistes de Vnoukovo sont mal éclairées et elles ne sont même pas planes, on ne voit qu'un tiers de la piste. » En clair, le Falcon aurait aperçu l'engin -- « une sorte de gros bulldozer », selon Samy -- trop tard pour l'éviter. « De toute façon, cet engin n'avait rien à faire là. Lundi soir, les pistes étaient mouillées par la pluie, mais pas enneigées. Il y a eu sans aucun doute une erreur humaine au niveau du contrôle au sol qui a fait que l'engin traversait les pistes. »
Une défaillance qui ne surprend guère le jeune pilote. « A Vnoukovo, rien n'est aux normes internationales, affirme Samy. Les procédures de clearance (NDLR : les autorisations de manœuvre de la tour de contrôle) sont brouillonnes. Il m'est arrivé d'avoir pour consigne de tourner plus d'une heure en plein hiver au-dessus de l'aéroport. » Plus étonnant, « les aiguilleurs parlent mal anglais et on entend des surperviseurs derrière eux comme s'il s'agissait de gens en formation. Enfin, le balisage et l'éclairage au sol sont défectueux. » Un témoignage accablant. « Immédiatement après le crash, conclut Samy, toutes les fréquences radio avaient été coupées et tous les vols déroutés vers les autres aéroports de Moscou. »
* Le prénom a été changé.
Le Parisien