Bon, bien entendu, la première chose à dire et à ressentir, c’est que ce qui survient désormais tous les jours ou presque, ces noyades de clandestins par centaines, ces morts atroces et inutiles, est abominable et déchire le cœur.
Or je dis cela, et je le dis très sincèrement ; mais, le disant, et ne pouvant pas ne pas le dire, j’ai bien conscience de tomber dans un panneau : le panneau qui cache la réalité et qui empêche d’y trouver une solution.
« Il manque un programme de sauvetage européen », constatait-on piteusement à Bruxelles, ce matin. Ces messieurs et dames ne s’en rendent sans doute pas compte, mais l’involontaire amphibologie de leur formule lui fait exprimer plus de vérité que sans doute ils ne le souhaitent. Il manque à l’Europe un programme de sauvetage, oui. Il manque à l’Europe un programme de sauvetage de l’Europe, surtout : car c’est elle aussi qui se noie, engloutie par la submersion ethnique. Mais de cela ses maîtres ne se soucient pas le moins du monde, affectant de n’avoir cure que des malheureux naufragés, et pour tout devoir d’éviter que ne se reproduisent les drames épouvantables où ils perdent la vie. Or, par cette attitude, non seulement les élus et les gouvernants européens trahissent leurs mandants, abandonnés à la marée humaine qui les submerge : ils garantissent que les noyades en mer vont se multiplier. Bref, à moins qu’on ne les soupçonne de menées secrètes incompréhensibles, ils perdent sur les deux tableaux : moins d’Europe, moins de France, moins d’Allemagne, moins de Danemark, moins d’Italie ; plus de migrants, plus de traversées périlleuses, plus de victimes des flots (et plus de bonnes affaires pour les passeurs assassins).
Une politique étrangère, que dis-je, une politique ontologique, une politique qui touche à l’être, à l’existence – et c’est bien de l’existence même de l’Europe qu’il est question, de son identité à elle-même, de sa survie -, ne peut se réduire à un protocole compassionnel. Que serait-il advenu de l’Angleterre si Élisabeth Ière, au moment de l’Invincible Armada, s’était écriée :
« Oh là là, c’est terrible, la météo est mauvaise, il faut faire quelque chose, ces pauvres Espagnols risquent de se noyer ! »
Avec les pitoyables rafiots qui portent les migrants, c’est à une très vincible Armada que nous avons affaire, nous, car la conquête a mille visages ; mais c’est toujours la conquête. Si nos maîtres ne veulent pas la reconnaître pour ce qu’elle est, c’est certes qu’elle revêt une forme inédite et trompeuse, sous les espèces désolées de nos envahisseurs faméliques ; mais c’est surtout parce qu’ils se croient sortis de l’histoire.
Le dogme antiraciste a fait de l’Europe un astre mort, qui ne ressent plus, qui ne juge plus, qui s’est privé de tous les moyens de nommer les choses, de s’apercevoir seulement de ce qui lui arrive. Toute morale, toute esthétique et toute intelligence du monde se réduisant à cette unique doctrine-là, fille du désastre et des camps de la mort, elle s’ingénie à faire payer à ses administrés l’absurdité aporétique du syllogisme qui la fonde : à savoir, primo, qu’il n’y a pas de races, et, deuxio, que toutes sont égales. Parce que c’est absurde, parce que ça ne peut pas être imposé en raison, ça ne peut perdurer dans l’être et dans le pouvoir que sous la forme d’une dictature de l’esprit, on le constate tous les jours ; et bientôt, peut-être, d’une dictature tout court : on en voit s’installer les prémices avec les nouvelles lois sur le renseignement et la réduction des délits d’opinion à des délits de droit commun.
À force de réduire à lui la morale et de se substituer à elle, l’antiracisme exige à tout moment la suspension du jugement moral, et bientôt du jugement intellectuel. À force d’empêcher de dire, il empêche de voir.
Le protocole compassionnel, fort de son incontestable légitimité, réduit les traversées en masse de la Méditerranée à d’effroyables drames en mer, qui ne sont que trop véritables. Ce faisant, il choisit d’ignorer la conquête, que ces traversées ne sont pas moins, et qu’elles sont même bien davantage. Il montre ainsi quelle piètre morale il est, à courte vue. Par sa légèreté, il prépare en effet de bien plus grands malheurs, et plus durables : l’asservissement, la submersion ethnique et culturelle, le parachèvement du Grand Remplacement, la dilution de l’identité européenne dans la violence et l’hébétude, la lutte de tous contre tous, avec l’importation sur le continent de tous les conflits de la terre, et qui lui sont le plus étrangers. C’est pour le coup que seule une dictature implacable, civile, militaire ou plus vraisemblablement religieuse, pourra paraître une planche de salut – sans moi.
Vous voulez en finir avec l’hécatombe en mer ? Traitez les flottes qui se présentent pour ce qu’elles sont : les instruments d’une invasion. Vous avez les moyens de mettre un terme en un tournemain et à ceci et à cela. Il suffirait à ce dessein que vous existiez un peu. Ça n’a jamais été votre fort, je sais. C’est parce que tu n’existes pas que les gens se noient, Europe : pour venir contempler ton cadavre, ta dépouille de mort-vivant.