Par Philippe Gélie
Mis à jour le 13/09/2016 à 18h10
REPORTAGE - Pour les tenants de l'extrême droite blanche, le candidat républicain représente une planche de salut. Enchanté par sa promesse d'ériger un mur sur la frontière avec le Mexique ou d'expulser des millions de clandestins, ils lui font aussi crédit de son opposition envers l'immigration musulmane. Et, si Donald Trump cherche aujourd'hui à glaner des soutiens dans la communauté afro-américaine, le candidat sait que le 8 novembre, neuf de ses électeurs sur dix seront blancs.
Correspondant à Washington
Jared Taylor a longtemps attendu ce moment. Électeur républicain plus résigné qu'enthousiaste depuis le double échec de Pat Buchanan en 1996 et 2000, l'éditeur du magazine en ligne American Renaissance a enfin trouvé en Donald Trump un candidat à la Maison-Blanche susceptible de faire avancer sa cause. Et la cause de Jared Taylor, c'est la défense de la race blanche.
Traducteur et journaliste, diplômé de Yale et de Sciences Po Paris, cet homme cultivé de 64 ans, fin connaisseur du Japon où il a passé les seize premières années de sa vie, mène campagne depuis son discret quartier général de Virginie contre ce qu'il appelle «le grand remplacement». «Beaucoup de Blancs n'osent rien dire alors qu'ils voient leur pays leur glisser entre les mains, explique-t-il. Donald Trump pourrait bien être notre dernière chance d'arrêter l'immigration illégale, qui transforme les États-Unis en un pays du tiers-monde.»
À l'instar de son champion, Jared Taylor se bat contre les moulins à vent du «politiquement correct». «Aucun candidat républicain, pas même Trump, n'ose dire qu'il préfère vivre dans un pays blanc, déplore-t-il. Or, tout ce que les soi-disant conservateurs prétendent conserver va disparaître avec le grand remplacement des populations: un gouvernement aux prérogatives limitées («small government»), le droit d'être armé, la culture blanche, l'État de droit et toutes les marques de la civilisation européenne.»
Taylor ne quitte pas des yeux le compteur démographique: les Blancs, qui représentaient 90 % de la population américaine en 1950, ne sont plus que 62,6 %. Au rythme actuel, ils passeront sous le seuil de la majorité absolue en 2045. Même s'ils votent en plus grand nombre que les autres communautés, leur poids électoral a constamment baissé depuis quarante ans, passant de 89 % en 1976 à tout juste 70 % aujourd'hui. «Et au nom de la sacro-sainte diversité, nous devrions nous en réjouir?», s'insurge-t-il.
Aux marges du conservatisme
Pour cet homme habitué à prêcher dans le désert, l'actuel candidat républicain représente une planche de salut. Enchanté par sa promesse d'ériger un mur sur la frontière avec le Mexique et d'expulser des millions de clandestins, il lui fait aussi crédit de son «scepticisme justifié envers l'immigration musulmane. Pourquoi voudrions-nous importer les problèmes que connaissent actuellement la France ou l'Allemagne? C'est prétendument raciste de le dire, mais c'est le suicide de l'Occident!»
Avec une audience annoncée sur son site Internet de 300.000 visiteurs par mois, l'éditeur d'American Renaissance rejette l'étiquette de «suprémaciste». «Les Asiatiques peuvent être considérés comme ayant un quotient intellectuel supérieur aux Blancs, objecte-t-il. Et je n'ai jamais rencontré personne qui veuille dominer les autres races. Nous devrions retirer ce mot du vocabulaire.» Ce qu'il affirme défendre, c'est un «réalisme racial» prenant acte «des différences biologiques et culturelles» et «du fait avéré que la plupart des gens, lorsqu'on leur donne le choix, préfèrent vivre au sein de leur groupe» ethnique ou social.
Le soutien de personnages comme Jared Taylor constitue l'un des angles d'attaque privilégiés de Hillary Clinton contre Donald Trump. Elle l'accuse d'exploiter «les préjugés et la paranoïa» d'une frange extrémiste et de propager «les principes fondamentaux d'une idéologie raciste connue sous le nom d'Alt-Right». Un raccourci pour Alternative Right (droite alternative), un mouvement resté aux marges du conservatisme américain depuis la campagne de Barry Goldwater en 1964, mais réactivé sur Internet au début de la décennie autour de Taylor et ses amis.
Des supporteurs encombrants
Le candidat républicain réfute l'amalgame: «Clinton nous accuse, moi et les millions d'honnêtes Américains qui me soutiennent, d'être racistes, ce que nous ne sommes pas! Vouloir des frontières renforcées ne fait pas de vous des racistes!» Le commentateur politique T. A. Frank lui donne raison dans Vanity Fair : «Tout candidat attire des supporteurs encombrants venus d'un bord extrême, écrit-il. C'est comme si l'on reprochait à Barack Obama d'être soutenu par les Panthères noires.»
Donald Trump n'en cultive pas moins une certaine ambiguïté. Le choix de Steve Bannon en août pour diriger sa campagne a ravi l'extrême droite. Avec 31 millions de visiteurs uniques, son site Breitbart News se revendique comme «la plateforme» grand public de l'Alt-Right. Le mouvement se coagule autour d'un «nationalisme blanc» selon lequel l'immigration et le multiculturalisme menacent l'identité américaine. «La reconnaissance du fait racial est centrale à l'Alt-Right», souligne Jared Taylor.
Richard Spencer, 38 ans, l'un des principaux porte-voix de la mouvance, préside le National Policy Institute, dédié à «l'héritage, l'identité et l'avenir» des Américains «d'origine européenne». «Nous sommes des radicaux, au sens propre du terme, explique-t-il: nous allons aux racines du problème. Ce que nous disons fait peur parce que c'est la vérité.» Ardent avocat de «l'identité blanche», il salue la Russie comme «le seul pouvoir blanc au monde», définit la crise migratoire comme «une guerre raciale mondiale» et postule que pour sauver l'Amérique d'elle-même, «il faut déchaîner un peu de chaos».
Donald Trump se défend d'adhérer à cette idéologie. «Il n'a jamais utilisé ou adopté ce terme (d'Alt-Right) et continue de désavouer tout groupe ou individu associé à un message de haine», affirme sa porte-parole, Hope Hicks. En 2000, lorsque le promoteur immobilier envisageait d'être candidat à la Maison-Blanche sous l'étiquette du Parti réformiste, il s'en était retiré en dénonçant la connivence de Pat Buchanan avec David Duke, l'ancien «grand sorcier» du Ku Klux Klan, le qualifiant de «sectaire, raciste, un problème (…), pas exactement le genre de personne que l'on veut dans son parti».
Terreau conspirationniste
«Trump n'a pas sérieusement réfléchi à la question raciale, estime l'éditeur d'American Renaissance. Il se peut que nous soyons pour lui une gêne. Mais je pense que lorsqu'il hésite à dénoncer des gens comme moi, c'est parce qu'il n'aime pas qu'on lui dise ce qu'il doit faire.»
Si l'étiquette de raciste lui est injustement collée par ses adversaires, le candidat républicain n'en cultive pas moins un terreau populiste et conspirationniste où se retrouvent les «nationalistes blancs». Il n'a jamais fait amende honorable pour sa campagne en 2011 à la tête des «Birthers», une coterie tenant Barack Obama pour un imposteur né hors des États-Unis - même si son entourage affirme désormais qu'il «n'y croit plus». Breitbart News, qui soutient sa campagne depuis le premier jour, relaie complaisamment les rumeurs lancées par Trump et met la question raciale à toutes les sauces. «Nous sommes ouvertement populistes, nationalistes et anti-politiquement corrects», se justifie son rédacteur en chef, Alex Marlow.
Gardiens d'un temple marginal, Taylor et Spencer se félicitent de voir leurs idées propulsées sous les projecteurs par cette campagne électorale. «Je n'aurais jamais cru que nous sortirions des limbes à ce point et aussi vite», jubile Richard Spencer. Au-delà d'une politique d'immigration et d'une politique étrangère sous l'étendard de «l'Amérique d'abord», ce qui lui plaît chez Trump, «c'est le style autant que la substance: il est prêt à affronter ses ennemis, il ne cède jamais. C'est un chef comme cela que nous voulons, quelqu'un d'un peu héroïque».
S'il cherche aujourd'hui à glaner des soutiens dans la communauté afro-américaine, le candidat sait que le 8 novembre, neuf de ses électeurs sur dix seront blancs. Il en fut ainsi pour Mitt Romney il y a quatre ans, comme pour la plupart de ses prédécesseurs républicains. Aucun démocrate n'a dominé le vote blanc depuis quarante ans. Le problème pour Trump consiste à mobiliser cette majorité déclinante en nombre suffisant pour faire contrepoids aux minorités. Or, beaucoup de républicains modérés - en particulier les femmes - se disent rebutés par ce qu'ils perçoivent comme sa complaisance envers une extrême droite raciste. C'est là que l'enthousiasme des «nationalistes blancs» devient encombrant.
Les «déplorables» en campagne avec leur candidat
Richard Spencer sait très bien qui est visé par la tirade de Hillary Clinton sur «les déplorables»: «ces millions d'Américains qui n'osent pas montrer leur visage», mais s'inquiètent comme lui du déclin de l'Amérique blanche. Dans les sondages, la moitié des électeurs de Donald Trump sont pour fermer le pays aux musulmans ou pensent que les Noirs sont plus violents.
Le candidat républicain n'est pas dupe non plus et fait le meilleur usage de la polémique. «Mon adversaire vous calomnie, moi je dis que vous êtes des patriotes qui travaillent dur et veulent un meilleur avenir pour tous.» Lundi soir à Asheville, il a illustré le propos en invitant sur scène quelques «déplorables». «Je suis une mère de famille blanche qui travaille à plein-temps et je vais mettre Hillary Clinton à la poubelle!», s'exclame une jeune femme. Mais ce sont seulement les trois Noirs du groupe qui touchent au sujet sensible: «Nous ne sommes pas racistes du tout, s'écrient-ils, et pourtant nous votons Trump!»
«Tous ces gens sont tellement représentatifs de l'Amérique, conclut Trump, patelin. Vous avez droit à des dirigeants qui vous respectent, vous aiment et vous défendent.» Le Parti républicain a lancé une campagne d'e-mails invitant les Américains à «ajouter (leur) nom au panier des déplorables».
Cet article est publié dans l'édition du Figaro du 14/09/2016. Accédez à sa version PDF en cliquant ici