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6 janvier 2013
« Il ne pouvait pas s’élever une question plus simple dans ses principes, mais plus féconde dans ses conséquences que la question du mariage homosexuel, puisqu’elle remue à elle seule toutes les questions fondamentales de la société sur le pouvoir et sur les devoirs ; et je ne crains pas d’affirmer que de la possibilité ou de l’impossibilité pour les homosexuels de se marier et d’adopter des enfants, dépend en France et partout le sort de la famille, de la religion et de l’État. »
Non, ce ne sont pas des catholiques traditionalistes indignés contre Marine Le Pen, coupable de n’avoir pas compris que « les ennemis de la famille sont les ennemis de la nation ». C’est Bonald écrivant contre le divorce en 1801 – j’ai juste remplacé « divorce » par « mariage homosexuel », et « de la dissolubilité du lien conjugal ou de son indissolubilité » par « de la possibilité ou de l’impossibilité pour les homosexuels de se marier et d’adopter des enfants ». Et il est évident que, pour qui voit dans la stabilité et la hiérarchie de la famille le fondement nécessaire de l’ordre politique, le divorce est gravissime. « On eût, en 1789, préservé la famille de sa destruction, en défendant la constitution politique contre la démocratie ; il faut aujourd’hui, pour sauver l’État, défendre la constitution domestique contre le divorce ».
Civitas ou l’enfermement
Civitas. Cliquer sur l’image pour l’agrandir
Une telle position demeure, sur le plan intellectuel, tout à fait légitime : ce n’est pas celle que peut adopter un grand parti politique, qui se présente aux élections et aspire à recueillir autre chose que l’hilarité générale. J’ai du respect pour les gens de Civitas, qui sont des contre-révolutionnaires conséquents, ont du courage et sont traînés dans la boue par les médias du système. Je n’ai garde d’oublier que la Fraternité Saint-Pie X constitue un des très rares noyaux de survie, et d’abord biologique, de l’ancienne France. Mais le discours de la Fraternité sur la famille est, aujourd’hui, socialement inaudible, il n’a plus de résonance tant il est éloigné du monde réel. Un évêque de la Fraternité – et je ne parle pas de celui qui était spécialisé dans la provocation –, à qui l’on demandait, voici quelques années, d’indiquer « les livres les plus essentiels pour les fidèles aujourd’hui » répondait : « Pour les jeunes gens, des livres sur la royauté sociale du Christ. Pour les jeunes filles, des livres de cuisine, de couture, et pour aménager la maison ». Une telle vision des rapports entre les sexes n’a aucune chance d’être appliquée en France – ou si elle l’est, dans quelques décennies, ce sera au nom d’une foi et d’une loi qui ne seront pas celles du Christ.
Les catholiques dans le style de Civitas – il vaut mieux, historiquement, les qualifier d’intransigeants que d’intégristes – ont perdu tous leurs combats depuis 1880, en annonçant à chaque fois l’effondrement imminent de la société, dans des termes si violents qu’il est impossible de surenchérir. Le mariage, écrivait Paul de Cassagnac, est « devenu par le divorce le hideux accouplement des bêtes dans les mairies changées en haras humains ». On ne voit pas comment il en irait différemment cette fois-ci. Il est patent, du reste, que Civitas cherche beaucoup moins à faire échec au « mariage pour tous » qu’à rassembler sous sa houlette toute la mouvance national-catholique. Sa vraie angoisse est qu’une partie de son petit troupeau s’égaille, dimanche prochain, en direction de la « Manif pour tous ». Aussi ses courriels et communiqués, depuis plusieurs semaines, sont-ils presque entièrement consacrés à dénoncer les errements et hérésies de Frigide Barjot. On n’y trouvera aucun argument susceptible de toucher d’autres que des catholiques traditionalistes.
La dernière manifestation de Civitas, le 18 novembre, était pleine de drapeaux frappés du Sacré Cœur, de Christs en gloire kitschissimes et même d’aigles dorées de la meilleure époque : du pain bénit pour les télévisions et les photographes de presse. Tout ce qui existe, en fait de micro-partis et de groupuscules, à la droite du Front National, et bien souvent pour en avoir claqué la porte ou en avoir été exclu, s’y était donné rendez-vous. Marine Le Pen ne peut, sauf à commettre un suicide politique, aller s’enfermer dans ce ghetto-là.
La Manif pour tous les gens respectables
La Manif Pour Tous
La seule manifestation qui soit susceptible d’avoir un poids politique, la seule dont les effectifs seront comptés, la seule dont s’inquiètent Hollande et son gouvernement, est donc fatalement la « Manif pour tous », bénie plus ou moins discrètement par un grand nombre d’évêques français, activement soutenue par l’UMP, et dont Frigide Barjot est le porte-parole le plus bruyant. On ne peut que souhaiter, quoi qu’on pense par ailleurs de Frigide Barjot, de Jean-François Copé et de l’épiscopat français, que cette manifestation soit la plus nombreuse possible : d’abord pour s’opposer à un projet de loi qui mérite qu’on s’y oppose ; ensuite parce que ce sera la première grande occasion qu’auront de descendre ensemble dans la rue tous ceux dont Hollande n’est pas le président. Le communiqué soigneusement pesé qu’a publié Marine Le Pen, pour dire son soutien aux « élus, militants, sympathisants du Front National » qui manifesteront, mais expliquer qu’elle ne manifesterait pas elle-même, paraît le plus propre à cette fin. Marine Le Pen eût-elle fait davantage, annoncé qu’elle participerait elle-même à la manifestation, appelé à s’y joindre au nom du FN, que son appel n’eût pas eu plus d’échos, et eût même, selon toute apparence, été contre-productif.
Les organisateurs de la « Manif pour tous » ont pris l’option de la respectabilité médiatique, convaincus que le succès d’une manifestation, au moins autant que dans les rues, se joue à la télévision. En termes d’efficacité politique immédiate – la part faite des maladresses et excès de zèle, la part faite aussi des traits de personnalité des uns et des autres –, cette stratégie est fondamentalement la bonne. Il n’est que de comparer au désastre absolu que fut, en 1998-1999, l’opposition au Pacs. Le grotesque de Christine Boutin brandissant sa Bible, à la façon d’un témoin de Jéhovah, dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale, fut le plus beau cadeau possible au gouvernement socialiste de l’époque et au lobby homosexualiste : une caricature digne de Civitas, et sans même le mérite de la cohérence doctrinale. La droite bourgeoise en est restée traumatisée pendant des années, jusqu’à faire ministre une nullité aussi patente que Roselyne Bachelot, au seul motif qu’elle avait voté pour le Pacs et qu’il fallait à tout prix rééquilibrer la Boutin. Nous sortons à peine de ce désastre. Si l’on veut embarrasser voire, pourquoi pas, faire un peu reculer Hollande, il faut tâcher de gagner, ou du moins de ne pas perdre, la bataille de l’image. La « Manif pour tous » s’y emploie et, jusqu’ici, y a plutôt réussi.
Un soutien officiel du FN, dans ces conditions, ne ferait qu’embarrasser les organisateurs, sans que le FN y gagnât rien de son côté. Les organisateurs seraient immédiatement sommés de prendre leurs distances avec « l’extrême droite », ce qu’ils se hâteraient de faire. Si Marine Le Pen venait en personne, elle serait très probablement reçue comme l’avait été Marie-France Stirbois à la manifestation contre le Pacs, huée et expulsée par les bons bourgeois catholiques qui l’accusaient de récupération politique, tout en applaudissant des deux mains les notables de l’UDF et du RPR, comme ils s’appelaient alors. Manifestation où, d’après les journaux du temps, les slogans fort peu politiquement corrects n’avaient pas manqué, mais scandés par des gens très bien, pas par les affreux extrémistes du FN. Et la Boutin jouant les De Gaulle devant les caméras : « C’est la France qui parle à M. Jospin ».
L’imposture catho-conciliaire
Les organisateurs de la « Manif pour tous » ne se sont jamais plaints de la prudence ou, si l’on y tient, de l’ambiguïté de Marine Le Pen à leur égard. Ceux qui dénoncent Marine Le Pen sur leurs blogues et leurs forums sont les mêmes qui se déchaînent contre Frigide Barjot, et dans un registre étonnamment proche. On reproche à l’une comme à l’autre – celle qui organise la manifestation et celle qui n’y vient pas – de porter des jeans, de sortir en boîte, d’être entourées d’homosexuels voire, pour les plus complotistes, d’être des infiltrées. S’y ajoutent les rancœurs de ceux qui ne cesseront jamais de remâcher toutes les querelles internes du Front National : tel incrimine ainsi « un tropisme pagano-républicain (ou crypto-mégrétiste) ». Le paganisme a décidément bon dos.
Civitas a, encore une fois, le mérite d’avoir une ligne et de s’y tenir. Mais que dire de toute la gamme des tradis ralliés, semi-tradis, tradis en peau de lapin, conciliaires conservateurs, tenants de « l’herméneutique de la continuité » ? Ces gens-là n’ont garde de rejoindre Civitas : ils iront à la « Manif pour tous », derrière leurs évêques et leurs élus UMP. Mais ils voudraient le beurre et l’argent du beurre : une manifestation respectable où l’on puisse brandir sa Bible. Ils ne se consolent pas d’avoir dû troquer Boutin pour Barjot.
Je passe sur leurs contorsions et dissimulations : il y faudrait des pages. Ils font mine d’ignorer que l’organisation de la « Manif pour tous » répond exactement aux souhaits des évêques français, qui ne veulent à aucun prix d’une guerre frontale, à l’espagnole, entre l’Église et le gouvernement socialiste. On se scandalise que Barjot emploie le mot d’homophobie, dont use et abuse le lobby homosexualiste : mais « le refus de l’homophobie » figure en toutes lettres dans la note officielle du Conseil Famille et Société de la Conférence des Évêques de France. Ceux qui stigmatisent l’illogisme de Marine Le Pen, laquelle se dit opposée au projet de loi mais ne viendra pas manifester (comme c’est absurde ! quelle dérobade !), affectent d’oublier que c’est là très précisément la position de l’archevêque Vingt-Trois. Et l’archevêque Vingt-Trois a imaginé, par surcroît, la subtilité jésuitique consistant à appeler les catholiques, non pas à manifester, mais « à se manifester ». Mais un archevêque, un cardinal, un président de Conférence épiscopale, mon Dieu, ça se respecte, ça se vénère, ça ne se critique pas. Tapons plutôt sur les femmes.
Il faut dire que les conciliaires conservateurs sont familiers de ce genre d’exercice. Ils ont l’habitude de dissimuler, tronquer, trafiquer les déclarations ecclésiastiques les plus éhontées, les plus frénétiques, sur l’accueil des Roms, des frères migrants, de tous les hommes, et d’en extraire un lambeau de phrase pour conclure que, non, pas du tout, c’est une calomnie, Jean-Paul II, Benoît XVI, les évêques de France et d’Italie ne sont nullement immigrationnistes. Ils reconnaissent le droit des États à réguler les flux migratoires (pourvu, simplement, qu’on n’expulse aucun clandestin, qu’on donne asile à quiconque le réclame, et qu’on accorde à tous le regroupement familial).
Le projet de « mariage pour tous » est, en son état actuel, à tout le moins ridicule ; les développements à la Frankenstein qu’il entraînera inéluctablement impliquent une marchandisation choquante du corps humain ; la chasse à l’« homophobie » participe d’un terrorisme de plus en plus rigoureux, qui va à restreindre toujours davantage l’espace de la libre parole. Tout cela n’est pas anodin. Mais quand les catho-conciliaires, dont l’Église collabore activement au génocide des Français, ont le front d’expliquer qu’il y va de l’avenir de nos enfants, quand certains, pour sommer Marine de descendre dans la rue, écrivent que la manifestation du 13 janvier est « mieux que le combat d’aujourd’hui, celui de demain, de l’avenir des Français à naître », on se demande s’ils vivent dans le même pays que nous. Car enfin, ce ne sont pas seulement nos enfants, c’est nous-mêmes, tous ceux d’entre nous qui peuvent raisonnablement se promettre encore trente ans de vie, qui, si les choses continuent au train où elles vont, se retrouveront une minorité sur leur propre terre.
Cette question primordiale de la submersion migratoire, Marine Le Pen en prend-elle toute la mesure ? C’est un autre débat. Mais elle a raison de ne pas céder aux oukases des catholiques. Une politique catholique, au sens où l’entend Civitas, c’est au mieux un gros groupuscule. Au sens où l’entend le Vatican, c’est le gouvernement italien de Mario Monti : le mondialisme marchant au bras de l’immigrationnisme.
Flavien Blanchon pour Novopress
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