C’est un peu l’histoire de l’arroseur arrosé. Les élites politico-médiatiques allemandes, toujours prompts à comparer aux nationaux-socialistes les conservateurs, patriotes et souverainistes allemands ou même étrangers, par exemple hongrois ou polonais (un comble !), se retrouvent elles-mêmes en position de victimes de la fameuse loi de Godwin, selon laquelle « plus une discussion dure longtemps, plus la probabilité d’y trouver une comparaison impliquant les nazis et Adolf Hitler s’approche de 1. » Une comparaison bien pratique pour combler le manque d’argument de celui qui l’utilise.
Et il faut croire que le sultan Recep Erdogan n’avait aucun argument en poche quand il a voulu critiquer la décision souveraine de plusieurs municipalités allemandes, la semaine dernière, d’interdire l’organisation sur leur territoire de réunions publiques avec des immigrés turcs en présence de ministres du gouvernement d’Ankara dans le cadre de la campagne en vue du référendum constitutionnel turc prévu pour le 16 avril.
Erdogan a en effet immédiatement clamé que l’Allemagne n’était pas une démocratie et que ses pratiques « ne sont pas différentes des pratiques nazies du passé ». Il s’est aussi fait menaçant et un brin mégalomane dans ses propos de dimanche rapportés par les médias, affirmant que si on ne le laissait pas entrer lui-même en territoire allemand pour y haranguer les masses turques (environ 3 millions de personnes), il ferait se lever le monde contre Berlin.
Après l’échange de propos chaleureux entre les deux capitales, plusieurs ministres allemands s’offusquant des paroles « absurdes » et « honteuses » du président turc, la chancelière Angela Merkel a appelé tout le monde au calme lundi, et son porte-parole a mis en garde : « Les comparaisons avec les nazis sont toujours absurdes et déplacées parce qu’elles ne conduisent qu’à une chose, à banaliser les crimes contre l’humanité commis par les nazis. » C’est une évidence, mais l’on ne peut s’empêcher de penser que ce qui vaut pour Erdogan devrait aussi valoir pour les politiciens et médias mainstream des deux côtés du Rhin quand ils parlent du FN et de l’AfD, par exemple.
En attendant de voir les choses évoluer dans ce domaine, l’Autriche et les Pays-Bas pourraient bien devenir les prochaines victimes du point Godwin agité par Recep Erdogan. Les ministres des Affaires étrangères des deux pays ont en effet fait connaître leur opposition à ce que des membres du gouvernement turc viennent faire campagne sur leur territoire, et le chancelier autrichien voudrait même une interdiction de ces visites de campagne référendaire par des politiciens turcs dans toute l’UE.
Olivier Bault
Article et dessin de Chard parus dans Présent daté du 8 mars 2017