Lettre à mon colonel et frère d’armes, Arnaud Beltrame, mort pour la France.
Mon colonel,
Cher Arnaud,
Nous ne nous sommes jamais rencontrés. J’aimerais croire que si ça avait été le cas, j’aurais eu l’intelligence de t’écouter, et d’apprendre à ton contact. Peut-être. Le dernier jour de ta vie, en tout cas, est une leçon pour nous tous.
Beaucoup parlent de toi. Certains, déjà, essayent de parler en ton nom. Je me demande ce que tu en aurais pensé. Il y a de grands discours, il y en aura encore, des hommages officiels dont certains seront sincères, mais d’autres ne chercheront qu’à briller un peu en volant un reflet de ta gloire, voire à t’utiliser pour tenter de faire oublier leur médiocrité, leur aveuglement, leur laxisme. Tenter de faire oublier qu’ils se servent de la République, alors que toi tu l’as servie, dans la discrétion pendant des décennies, et maintenant dans la gloire. Et d’autres encore, qui diront te pleurer, alors que sous mille prétextes ils ont laissé faire voire encouragé l’idéologie totalitaire islamiste, la haine de la France et la délinquance au quotidien qui ont causé ta mort. Ils prétendront s’incliner devant ta mémoire, alors que depuis longtemps ils s’inclinent devant ceux qui ont armé l’esprit et le bras du criminel qui t’a tué.
Mais la France est plus forte et plus grande que tout ça. Elle sait que tu as cent fois mérité qu’elle te rende hommage, et elle le fait, en toute vérité.
Car il y a les fleurs, Arnaud ! Où que tu sois désormais, j’espère que tu vois les fleurs. Depuis ta mort, d’innombrables anonymes viennent les déposer à pleins bouquets devant les mâts des couleurs des gendarmeries de tout le pays. On dirait qu’en versant ton sang tu as fait jaillir des myriades de fleurs au pied du drapeau tricolore, par les mains de tout un peuple. Il n’y avait jamais eu un tel printemps. Les gendarmes n’en reviennent pas, tes frères d’armes ne s’attendaient pas à autant de messages de soutien, autant de fraternité autour d’eux, autant d’émotion, simple, sincère, profonde.
Je crois que personne n’imaginait à quel point la France avait besoin de toi.
Tu n’aurais pas voulu que l’on oublie les victimes du djihadiste que tu as vaincu, que tu as terrassé par ton courage. Sur les photos de toi que l’on voit un peu partout, on découvre un sourire franc et des yeux rieurs, ou un visage sérieux et solennel, mais aucune arrogance. Nous te devons bien ça : ton exemple est là pour illuminer, inspirer, sans jamais rejeter dans l’ombre ces gens comme tous ceux auxquels tu avais consacré ta vie.
Jean Mazières, Christian Medves, Hervé Sosna.
Il y a cette inconnue que tu as sauvée. Aucun journaliste jusqu’ici n’a révélé son nom. Est-ce ton exemple qui les incite à cette pudeur bienvenue ? Toi-même, savais-tu comment elle s’appelait, lorsque tu as décidé de risquer ta vie pour l’arracher au monstre ? Risquer, et sans doute donner : ton expérience était trop grande pour que tu n’aies pas eu la lucidité de comprendre que tu n’avais presque aucune chance d’en revenir vivant. Et pourtant. « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux que l’on aime », a dit l’évangéliste. Tu étais chrétien, et frère de la Grande Loge de France. Croyant sincère, et à l’esprit ouvert.
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Il y a ta famille, il y a ton épouse, Marielle. Nous avons une dette envers toi, nous avons une dette envers elle. Aujourd’hui, dans dix ans, dans cinquante ans, Marielle pourra toujours compter sur le soutien de la gendarmerie, mais aussi de la France. Aujourd’hui, dans dix ans, dans cinquante ans, aucun Français honorable ne pourra lui refuser son aide. Même si le deuil de ce que vous désiriez, de ce que vous espériez, est et restera une blessure, tu ne l’as pas abandonnée. Tu lui as donné le soutien indéfectible de tout un peuple.
Tu n’es pas une victime. Tu n’as pas subi, tu as agi, tu as regardé le danger droit dans les yeux et tu t’es dressé face au mal. Et tu as gagné.
Il y a bien longtemps, un ancien chef de guerre de ceux qui aujourd’hui nous attaquent a déclaré que ses hommes « aiment la mort comme nous nous aimons la vie. » Toi, Arnaud, tu as aimé la vie avec une telle force que tu as fait le sacrifice de la tienne pour sauver celle de quelqu’un d’autre. Nos ennemis jouissent de mourir pour détruire. Tu as accepté de mourir pour protéger. Ton amour de la vie n’était pas, ou pas seulement, goût superficiel des plaisirs qu’elle offre, mais engagement fidèle, dévouement passionné, don de soi. Tu nous as prouvé de la plus belle des façons que nous sommes encore capables de grandeur, de courage, de noblesse, d’héroïsme. Car tu es un héros, et à ton sujet ce mot n’est pas galvaudé.
Parce qu’il y a Arnaud Beltrame, chaque Français peut se sentir fier de son pays et de sa culture, d’une certaine et chevaleresque idée de ce que nous aspirons à être. Parce qu’il y a le lieutenant-colonel Arnaud Beltrame, chaque soldat français peut porter plus haut encore l’honneur de l’armée, et chaque gendarme découvre désormais en enfilant son uniforme qu’il a un éclat bien plus grand qu’il ne le soupçonnait il y seulement quelques jours. Parce qu’il y a Arnaud Beltrame, chacun sait que la France en vaut la peine, que sa dignité est intacte, et qu’elle ne se soumettra pas.
Ceux qui nous méprisent, ceux qui nous accusent de tous les mots, ceux qui proclament que nous appartenons au passé, se heurtent maintenant à cette simple réalité : toi.
Du fond du cœur, et si tu veux bien de ces mots au milieu des fleurs, merci.
Tes camarades du GIGN ont vengé ta mort, mais c’est toi l’artisan de la plus grande victoire.
Et le prix que tu as payé pour cette victoire nous oblige, tous. Qu’allons-nous faire de ton exemple, de l’élan qu’il suscite, de la détermination qu’il prouve ?
Nous ne t’oublierons pas, tu le sais, et même si la légende s’empare de ton histoire je veux croire que nous saurons nous souvenir aussi de l’homme, simplement homme, que tu étais. Car c’est cet homme qui est devenu un héros.
Mais la mémoire ne suffit pas. Les larmes ne suffisent pas. Tu es mort au combat, et ce combat continue. La seule manière authentique de te rendre hommage est de voir la vérité en face, de regarder nos ennemis droit dans les yeux, et de combattre ! Sans brutalité, mais avec force. Sans esprit de vengeance aveugle, mais avec toute la sévérité nécessaire. Et sans compromission, sans relâche, sans tous ces abandons qui se donnent le nom d’accommodements, combattre !
Alors, un jour, lorsque les enfants de nos enfants demanderont non pas « pourquoi » mais « pour quoi » Arnaud Beltrame est-il mort ?, nos enfants pourront leur répondre : « Il est mort pour sauver une inconnue, parce qu’il était un homme bien. Il est mort pour sauver la France, parce qu’il était un soldat. Il est mort pour que nous puissions réfléchir et discuter librement aujourd’hui, parce qu’il était un homme de foi et un chercheur de vérité. Et, tu sais ? Arnaud Beltrame est immortel. »
CAUSEUR
NdB: On n'apprend ni le courage ni le sens de l'honneur.