C’est avec un large sourire, et un ton plus offensif qu’à l’accoutumée, que Najat Vallaud-Belkacem, dans son ministère de la rue de Grenelle, a accueilli mercredi une poignée de journalistes, dont «Le Parisien», pour une rencontre de près de deux heures avant la rentrée des classes. « Je suis contente que les choses se fassent », répète-t-elle à plusieurs reprises. Un exercice de conviction, destiné à défendre pied à pied un bilan promis, elle le sait, à de vifs débats dans la campagne présidentielle.
C’est votre dernière rentrée, en tant que ministre de l’Education nationale de ce gouvernement. Comment l’abordez-vous ?
Je l’aborde avec beaucoup d’enthousiasme, et même une forme d’impatience. C’est la première rentrée où l’ensemble de notre refondation de l’école va se voir dans sa cohérence. Les conditions sont réunies pour que cette rentrée se passe de manière apaisée. Depuis un an, on sent les effets sur le terrain des moyens supplémentaires que nous avons donné à l’éducation nationale. Au primaire, par exemple, nous aurons en cette rentrée plus de 3900 enseignants supplémentaires déployés sur le territoire, pour un nombre d’élèves stable par rapport à l’an dernier : cela signifie un meilleur encadrement, de meilleures capacités de remplacement, la poursuite du déploiement de dispositifs plébiscités sur le terrain comme « le plus de maîtres que de classes. »
L’engagement du président Hollande de créer 60 000 postes dans l’enseignement et la recherche, dont 54 000 pour l’éducation nationale, sera-t-il tenu ?
Oui. En cette rentrée, nous avons atteint 42 338 postes effectifs, et à la rentrée 2017, la date butoir de notre engagement, nous aurons rempli l’objectif de 54 000. Nous n’avons pas seulement créé des postes, nous avons aussi recréé une formation initiale pour les enseignants, qui ne sont plus livrés à eux-mêmes dans les classes. Nous développons aussi la formation continue, dont le budget a augmenté de 25% depuis deux ans, et nous avons procédé à une revalorisation salariale d’ampleur. Ainsi, les professeurs des écoles vont percevoir 100 euros supplémentaires par mois. Par ailleurs, nous avons fait en sorte que ceux qui s’engagent, en travaillant dans des zones en difficulté par exemple, soient mieux reconnus, avec une augmentation de salaire pouvant aller en fin de carrière jusqu’à 1000€ de plus par mois, comparé à aujourd’hui.
On estime que les réticences ont concerné entre 5 et 10% des établissements.Des établissements seront en grève le 8 septembre, contre votre réforme du collège qui entre en vigueur en cette rentrée. Comment peut-elle s’appliquer sans l’adhésion de ceux qui sont censés la porter ?
Cette réforme fait partie d’un ensemble très cohérent et c’est pourquoi, qu’on le veuille ou non, elle se fait, dans l’intérêt des élèves. Nous avons veillé à actionner l’ensemble des leviers : nous donnons 20% d’autonomie aux établissements pour choisir une offre pédagogique pertinente, des temps d’enseignement pluridisciplinaire (EPI) et d’accompagnement personnalisé des élèves. En même temps, nous instaurons de nouveaux programmes et une évaluation qui correspondent à ces nouvelles pratiques. On estime que les réticences ont concerné entre 5 et 10% des établissements. Nous continuerons de les accompagner. Un gros travail a déjà été fait en amont : nous avons déjà consacré 700 000 jours de formation (pour 215 000 professeurs dans les collèges publics et privés, NDLR) pour préparer la réforme du collège. C’est inédit.
En quoi cette réforme va-t-elle réduire les inégalités ?
Pour réduire les inégalités à l’école, il faut bien sûr traiter les établissements les plus en difficulté – c’est indispensable, c’est pourquoi nous avons mené la réforme de l’éducation prioritaire. Mais ça ne suffit pas, il faut aller au-delà et repenser l’ensemble du système. C’est ma conviction et le sens de mon action : donner plus de moyens à ceux qui en ont le moins, et revoir les pédagogies pour qu’elles s’adaptent à tous. C’est la raison pour laquelle nos nouveaux programmes fonctionnent par cycles de trois ans. On laisse le temps aux élèves de consolider leurs apprentissages, à des rythmes différents. Si quelque chose n’est pas acquis au CP, il faut y revenir au CE1, et au CE2.
Pour tout le monde, il y aura à la rentrée des exercices quotidiens de dictée et de calcul mental.N’est-ce pas une manière de baisser les exigences ? Comment un élève qui a échoué dans une classe réussira-t-il dans la classe supérieure ?
Les nouveaux programmes, notamment dans les petites classes, insistent comme jamais sur les fondamentaux. Je suis mère de famille, je sais quelle est l’importance d’acquérir la lecture, l’écriture et le calcul en temps utiles. En français, en plus des dix heures hebdomadaires habituelles, les nouveaux programmes insistent pour que dix autres heures, dans le cadre d’autres matières, servent à des travaux d’écriture et de lecture. Pour tout le monde, il y aura à la rentrée des exercices quotidiens de dictée et de calcul mental. Notre lutte contre les inégalités ne se fait pas aux dépens de l’excellence, comme veut le faire croire la droite. La vérité, c’est que la droite ne s’est jamais souciée des inégalités scolaires et sociales.
Pourquoi avoir décidé la suppression d’une partie des classes bilangues au collège ?
Et si on s’intéressait pour une fois à ce que 92% des collégiens vont y gagner ? La réforme du collège prévoit d’avancer l’apprentissage d’une deuxième langue vivante de la 4e à la 5e. C’est un changement ambitieux en phase avec les réalités du monde dans lequel les élèves vont vivre. Dans ce contexte nouveau, comme je l’avais annoncé, nous proposerons la LV2 en 6e pour tous ceux qui débutaient une autre langue que l’anglais en primaire, et pour tous ceux qui ont débuté l’anglais en primaire, une LV2 dès la 5e. Les règles sont désormais connues et les mêmes pour tous. Dois-je rappeler que le système actuel, quand on met bout à bout toutes les options, revenait à accorder à une minorité d’enfants 650 heures de scolarité supplémentaire, par rapport à leurs camarades ? Notre idée est au contraire de revoir le système dans sa globalité, pour donner à chacun la possibilité de réussir.
Notre lutte contre les inégalités ne se fait pas aux dépens de l’excellence, comme veut le faire croire la droite. La réforme prévoit un accompagnement « personnalisé » des élèves... en groupes voire en classe entière. Comment est-ce possible ?
La réforme, c’est 4000 postes nouveaux (dans 7000 collèges publics, NDLR) pour permettre la mise en place de petits groupes. L’accompagnement personnalisé est un temps qu’on prend dans le cadre des disciplines pour vérifier, y compris en groupes, si chacun a bien compris la leçon. Encore une fois, tout se tient. Les programmes ont été rationalisés, et non pas simplifiés, pour laisser plus de liberté aux enseignants. Jusqu’ici, ils passaient l’année à courir pour boucler le programme. Les pédagogies étaient pensées pour une masse indistincte d’élèves, et très vite dans l’année, on ne s’adressait en définitive qu’à ceux qui avaient compris.
L’école vit, comme toute la société, sous la menace d’attentats. On demande aux enseignants de signaler leurs élèves qui sembleraient en voie de radicalisation. N’est-ce pas une trop lourde responsabilité pour eux ?
Cette question s’est posées après les attentats de janvier, avec des enseignants qui craignaient de passer pour des substituts de la police. Mais, preuve que notre pays a passé un cran dans la préoccupation à l’égard du terrorisme, l’état d’esprit a beaucoup changé, et les établissements ont signalé plus de 600 cas, selon nos derniers chiffres à disposition, entre la rentrée 2015 et le début de l’année 2016.
Que pensez-vous de la proposition de Nicolas Sarkozy d’interdire le voile dans les universités ?
J’estime qu’il n’y a pas à traiter de la même façon les élèves à l’école, et les adultes libres de leurs convictions qui fréquentent la faculté. Par ailleurs, l’université accueille aussi des étudiants étrangers, qui peuvent venir d’endroits où il est de coutume de porter un foulard, voire un voile. Qu’est ce que serait l’université si elle commençait à leur fermer ses portes ?
LE PARISIEN