Bien peu de femmes ont marqué l’histoire des mathématiques. Par l’importance de ses travaux, Sophie Germain est l’une des plus remarquables de ces femmes mathématiciennes.
Marie-Sophie Germain est née le 1er avril 1776 à Paris et est décédée le 27 juin 1831. Elle était issue d’une famille de commerçants aisés (son père devint directeur de la Banque de France). Elle ne reçut pas de formation particulière en mathématique. Elle peut être considérée comme autodidacte à ce point de vue, se formant toute seule par la lecture d’ouvrages de la bibliothèque familiale.
Il semble que sa vocation pour les mathématiques lui soit venue très jeune, à l’âge de treize ans, à l’occasion de la lecture d’un livre consacré à Archimède (287-212 avant JC). Elle fut impressionnée par sa mort. On sait qu’Archimède, esprit scientifique puissant et novateur, mourut tragiquement. Il contribua efficacement à la défense de Syracuse lors de son siège par les Romains. Quand les Romains finirent par l’emporter, Archimède fut massacré par les vainqueurs malgré les ordres donnés par le consul Marcellus, qui plein d’admiration pour un tel adversaire, avait voulu qu’il fût épargné. La légende veut qu’Archimède, plongé dans l’étude de figures géométriques, ne répondit pas au soldat romain qui lui demandait s’il était Archimède, afin de l’épargner. Concluant qu’il ne s’agissait pas de lui, il le tua. Certes, il est permis de penser que, plus probablement, il le tua pour s’emparer de ses objets scientifiques qu’il croyait précieux. Cependant, Sophie pensa que les mathématiques devaient être extraordinairement captivantes pour absorber à ce point l’attention de quelqu’un.
La France était alors en pleine période révolutionnaire et Sophie restait enfermée dans la demeure familiale à cause de la Terreur. D’abord ses parents virent d’un mauvais œil cette inclination pour les mathématiques, qui ne leur paraissait pas offrir un bel avenir, surtout pour une jeune fille, et rêvant d’un autre destin pour elle. Ils cherchèrent à la priver de ces lectures, mais elle lisait la nuit en cachette. S’en étant aperçu, ils lui enlevèrent les bougies. Mais elle réussit à en dissimuler et reprit ses lectures nocturnes. Finalement, ses parents, comprenant que cette passion était incurable, cédèrent et la laissèrent étudier les mathématiques, la soutenant moralement et financièrement. C’est ainsi qu’elle apprit toute seule les arcanes de l’arithmétique et du calcul infinitésimal en lisant Newton, Euler, etc. Elle resta toute sa vie à la charge de sa famille, ne s’étant pas mariée, ni ayant cherché à obtenir un poste susceptible de lui assurer l’indépendance financière.
En 1795, elle réussit à se procurer les cours de mathématiques de l’Ecole Polytechnique, nouvellement créée, en particulier le cours d’analyse de Joseph-Louis Lagrange (1736-1813). Cette école, en tant qu’école militaire, n’admettait que des garçons. Sophie Germain écrivit à Lagrange pour lui soumettre des remarques sur son cours. Mais elle le fit sous le nom de « Leblanc, élève à l’Ecole Polytechnique », craignant, dit-elle plus tard, le ridicule qui s’attache au nom de « femme savante ». Impressionné par ce travail, Lagrange voulut rencontrer son auteur. C’est ainsi qu’il découvrit la supercherie, mais conçu une profonde admiration pour cette courageuse jeune-fille. Il en devint l’ami et en fit son élève.
Mais son premier grand travail de recherche allait porter sur la théorie des nombres où elle devait fournir une importante contribution. Elle étudie un ouvrage que venait de publier C.F. Gauss (1777-1855) : « Disquisitiones Arithmeticae », considéré comme son chef-d’œuvre .
Elle entreprit en 1804, une correspondance scientifique avec Gauss, toujours sous le nom d’emprunt de Leblanc, correspondance qui devait durer jusqu’en 1808, lorsque Gauss se tourna vers l’astronomie et la mécanique céleste.
Gauss apprit la véritable identité de Leblanc par suite d’une circonstance exceptionnelle. En 1807, les troupes napoléoniennes occupèrent la ville de Göttingen où vivait Gauss. La jeune fille, hantée par la fin tragique d’Archimède, écrivit au commandant des troupes françaises, le général Pernety, pour lui demander de prendre Gauss sous sa protection . Celui-ci, grand ami de la famille Germain, s’empressa de lui communiquer la missive. Gauss, touché par cette délicate et naïve attention, et découvrant la véritable identité de son correspondant, n’en conçu que plus d’estime pour la jeune mathématicienne.
Elle entretint également une longue correspondance avec le mathématicien Adrien-Marie Legendre (1752-1833), échanges qui se transformèrent en collaboration.
Ses recherches arithmétiques sont relatives à un des problèmes les plus difficiles des mathématiques : le célèbre « dernier théorème » de Fermat (1601-1665). On sait que ce dernier l’avait énoncé, sans démonstration, dans la marge d’un livre de Diophante (325-409). Fermat affirmait être en possession d’une démonstration merveilleuse de cette proposition, mais que la marge du livre était trop petite pour la contenir. Plusieurs démonstrations de cet énoncé avaient été données, mais elles étaient toutes fautives. Le mystère demeurait entier et peu de mathématiciens osaient s’y attaquer tant le problème paraissait difficile. Sophie eut ce courage et obtint des résultats majeurs, qui marquèrent une étape importante dans la démonstration du théorème de Fermat, ouvrant une nouvelle méthode d’attaque, au moins pour des cas particuliers. En même temps elle définit une famille particulière de nombres premiers qu’on appelle depuis « les nombres premiers de Sophie Germain ».
Puis elle se tourna vers l’étude des surfaces élastiques. Ce qui suscita son intérêt pour ce sujet fut le concours lancé par l’Académie des sciences dont l’objet était de trouver l’explication mathématique du phénomène des vibrations des surfaces élastiques qu’un physicien allemand, Ernst Chladni, avait mis en évidence. Elle envoya un premier mémoire en 1811, qu’elle remania à deux reprises, avec l’aide de Lagrange, et finalement obtint le grand prix des sciences mathématiques de l’Académie en 1816, malgré quelques insuffisances mathématiques et surtout la concurrence du grand physicien-mathématicien Denis Poisson (1781-1840). Celui-ci était à la fois juge et partie, étant membre du jury ! Cependant les idées de Germain étaient supérieures à celles de Poisson pour expliquer les formes observées par Chladni ! Elle devint alors l’amie de Joseph Fourier (1768-1830), secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences. Grâce à Fourier, elle fut la première femme à être admise à assister aux séances de l’Académie. Elle poursuivit ses recherches sur l’élasticité qui devinrent fondamentales pour l’étude des matériaux. On lui doit ainsi la notion de « courbure moyenne » d’une surface, restée classique depuis lors.
Sophie Germain s’intéressa aussi à la philosophie ; ses pensées furent réunies et publiées dans ses œuvres Philosophiques. En 1830, à l’initiative de Gauss, l’université de Göttingen lui décerna un diplôme honorifique. Mais elle n’eut pas le temps de le recevoir, car elle décéda prématurément, d’un cancer.
La France l’a honorée en donnant son nom à une rue et à un lycée de Paris.
Son nom a aussi été donné à un cratère de la planète Vénus.