Le 30 janvier 1945, le Wilhelm Gustloff est torpillé dans la mer Baltique par un sous-marin soviétique. 7.000 à 9.000 passagers périssent, essentiellement des civils allemands fuyant l'avance de l'Armée rouge.
Il s'agit de la plus grande catastrophe maritime de tous les temps, plus meurtrière que le naufrage du paquebot Lancastria, au large de Saint-Nazaire, le 17 juin 1940 (environ 5200 victimes), ou encore du Titanic, au large de Terre-Neuve, le 14 avril 1912 (1502 victimes).
Gabriel Vital-Durand.
En Suisse, un Allemand dénommé Wilhelm Gustloff avait été porté à la tête du parti nazi local. Son zèle antisémite était particulièrement vif. Aussi un jeune activiste juif, David Frankfurter, l'assassina-t-il à Davos en 1936. Hitler décida de baptiser de son nom un paquebot en cours de finition.
Le Wilhelm Gustloff fut lancé à Hambourg le 5 mai 1937 en présence de la veuve du "héros" et du chancelier Hitler.
Il s'agit d'un vaisseau de croisière de grandes dimensions : 208 mètres sur 24, conçu pour transporter un total de 1865 personnes. Il n'a pas de classe de luxe contrairement aux usages du temps.
Le navire, qui fait la fierté de l'Allemagne nazie, accomplit quelques croisières à la fin des années 30. Après la déclaration de guerre de 1939, il est transformé en navire-hôpital et sert à rapatrier des blessés de la campagne de Norvège en 1940. Puis il est mis à quai dans le port de Gothenhafen (Prusse orientale), où on l'utilise dès lors comme caserne flottante.
Nuit sans lune
Au tournant de l'année 1945, rares sont ceux qui nourrissent encore des illusions sur l'issue de la guerre. En Allemagne orientale, une multitude de réfugiés civils et militaires fuit l'avance des armées soviétiques. Beaucoup ont pris place à bord du Wilhelm Gustloff, lequel lève l'ancre du port de Gotenhafen au matin du 30 janvier 1945. Leur espoir est d'atteindre Hambourg, qui est encore libre de toute occupation.
La liste officielle fait état de 6.050 personnes à bord : membres d'équipage, soldats et réfugiés. Dans les faits, ce nombre est très supérieur. Il dépasse les 8.000 personnes et de récentes recherches (Heinz Schon) avancent le chiffre de 10.050 personnes !
Dès la première nuit, des sous-marins russes sont signalés. Trois d'entre eux sont repérés et considérés comme sans risque. Un quatrième, le S13, sous le commandement d'Alexandre Marinesko, est resté en rade à Turku (Finlande) sans rejoindre son escadre. Le commandant passe pour difficile à contrôler, porté sur la vodka et les femmes. Après quelques jours de patrouille, il câble à Léningrad : Nous avons sillonné les eaux près de la tanière fasciste, mais aucun de ces chiens n'a osé se montrer ».
Sur le paquebot, au soir du 30 janvier, un matelot fait irruption sur la passerelle avec un message radio. Une formation de dragueurs de mines fait route vers le Wilhelm Gustloff. Le commandant ordonne d'allumer les feux de position pour éviter une collision - en réalité les obstacles signalés n'existent pas.
Par malheur, le sous-marin S13 se trouve alors en patrouille de surface à quelques miles de là, le long de la côte basse de Poméranie antérieure. Son officier de quart signale aussitôt cette proie inespérée.
Marinesko tient sa victime et fait armer quatre torpilles dénommées « pour la mère-patrie », « pour Staline », « pour le peuple soviétique » et « pour Léningrad ». Tirées à 700 mètres sur une cible aussi massive, elles n'offrent guère d'échappatoire et le navire dépourvu de blindage est aussitôt transpercé. Au moins deux des torpilles atteignent la salle des machines.
En moins d'une heure, l'orgueilleux paquebot est coulé. La panique devient générale, les canots de sauvetage pris d'assaut sont couverts de glace par une température de -15 ° C.
Selon le témoignage d'Ursula Resas, les matelots, pistolet au poing, réservent l'accès des échelles de coupée aux femmes et aux enfants.
Le mécanicien Johann Smrczek rejoint le pont supérieur aménagé pour les blessés du front oriental. «C'est là que j'ai pris conscience du drame qui se déroulait en bas. À travers les vitres blindées, je ne pouvais les entendre crier. Mais les gens étaient serrés comme des sardines et le pont inférieur était déjà à moitié couvert d'eau. Et j'ai vu des éclairs, des coups de feu. Les officiers tuaient leur propre famille».
996 rescapés sont recueillis par des navires accourus à la rescousse. Cette catastrophe d'une ampleur inégalée est restée quasi-ignorée depuis, enfouie au milieu de tant d'autres drames vécus par les réfugiés allemands d'Europe centrale et orientale à cette époque.
En outre, l'extermination des Juifs, rendue publique à la même époque, n'a cessé de rendre dérisoire par comparaison toute référence aux souffrances des Allemands, y compris dans leur propre pays.
herodote.net