14 août 2014 par Marie de Remoncourt
En Irak la situation empire, les djihadistes de l’EIIL avancent inexorablement dans un cortège de pillages, d’exécutions sommaires et de massacres. Chabaks, Yézédis, mais surtout les Chrétiens d’Irak sont victimes de ses purges. Pour le moment les États-Unis -qui ont provoqué ses problèmes par leur intervention de 2003- mènent des campagnes de frappes aériennes pour tenter d’enrayer la progression des colonnes de l’EIIL, s’inspirant ainsi de l’opération Harmattan (Libye) ou encore des débuts de l’opération Serval au Mali. Stratégie américaine qui n’obtient que des résultats mitigés et qui est contestée par beaucoup d’Américains.
Devant le peu de succès de ces idées, des appels venant notamment du Vatican incitent à intervenir militairement en Irak. Appels relayés par beaucoup de nationaux et nationalistes français qui sont d’habitude les premiers à pousser des cris d’orfraie et à grimper au rideau à la première évocation d’une « ingérence militaire » de l’armée française au service de la « Ripoublique juive et maçonnique » (sic).
Mais une intervention en Irak est-elle vraiment une bonne idée ? Ou n’est-ce qu’un pis-aller pour se donner bonne conscience devant notre impuissance, pis-aller qui ne ferait que repousser le problème ?
L’intervention française en Irak… Une idée qui se répand comme une traînée de poudre et qui est fort peu réaliste. D’abord il faut des moyens pour intervenir militairement dans un pays en guerre, et ces moyens nous ne les avons pas. Le peu de régiments qu’il nous reste sont éparpillés entre les différents intérêts africains (Tchad, Mali, RCA) qui sont d’avantages intéressants pour le pays. De plus, avec les prochaines dissolutions, il paraît impossible d’envoyer des hommes dans un autre pays.
Oui mais me direz-vous, on a bien réussi à intervenir au Mali et en RCA et seul qui plus est ! Certes mais ce n’est pas la même chose, le Mali n’est pas l’Irak et Bangui n’est pas Bagdad. Nos troupes connaissent l’Afrique depuis des années et même des siècles si l’on pense à l’œuvre coloniale, mais l’Irak ? A part une brève intervention en 1991 nous ne connaissons pas. Rajoutons à ceci cela : la distance entre Paris et Bagdad s’élève à plus de 4000 kilomètres et il faut des avions de transports pour emmener tout ce joli monde pour aller sauver l’Irak. Or avec le déficit des avions de transports français et leur vétusté, la tâche devient compliquée. On peut toujours louer des Antonov à l’Ukraine comme au début de notre engagement afghan mais acceptera-t-elle en ce moment ? Et puis au prix de 30 millions par an, ça fait cher le déplacement (Blog Secret Défense article du 25/08/2009) ! On peut demander des avions à d’autres pays mais à quel prix ?
Bon mettons qu’on a réussi à passer tout cela, nous voilà avec des troupes en Irak. Mais que pourrais-t-on faire ? Les Américains avec beaucoup plus de troupes sur le sol irakien que ce que nous pourrons envoyer n’ont pas réussi à se dépêtrer d’un bourbier immonde ou fractures religieuses, ethniques et politiques brouillaient les cartes. Avec une superficie de 437 072 km² il faut un certain nombre de soldats pour quadriller le terrain et détruire les rebelles et autres djihadistes. Eh oui car ce n’est pas tout d’arrêter l’avancée ennemie, il faut ensuite le débusquer et l’anéantir définitivement pour ne pas voir le problème recommencer dès notre départ. C’est ce qui est arrivé à l’armée américaine. Pour éviter cela il faudrait une intervention internationale mais qui accepterait de nous suivre ? Les Américains ? Ces derniers renâclent, il faut dire qu’avec 4 489 morts et plus de 32 000 blessés on peut les comprendre. Les Anglais ? N’y comptons pas leur 179 morts les ont calmés, pas plus que les Allemands.
A cela s’ajouteraient d’autres problèmes, tels que la reconstruction d’un État irakien qui part à la dérive avec des administrations et services publiques incompétents, corrompus et inefficaces. Il faut refaire cette armée irakienne dont on a vu son peu de réussite face aux offensives de l’EIIL. Mais une armée ça ne se reconstruit pas comme ça et quand on voit que la dizaine d’année que les Américains y ont consacrés n’a pas été suffisante, on peut craindre une intervention longue si on veut vraiment faire un travail correct et entier. Pas sûr que nos concitoyens comprennent car cela signifie aussi des morts, des blessés et comme l’opinion occidentale n’est pas prête à accepter le sacrifice des ses enfants, il y a fort à parier que une hypothétique opération ne soit qu’un simulacre de démonstration de force finissant la queue entre les jambes… Comme quoi déjà ? Ah oui comme l’Afghanistan.
D’autres solutions ont été proposées, tout d’abord certains ont parlé d’envoyer l’armée libanaise… Certes mais si on a des troupes françaises au Liban pour maintenir l’ordre et reconstruire cette armée , cela signifie qu’elle n’est pas prête à intervenir. Et il est peu probable que le Liban avec les problèmes qui le secouent acceptent d’envoyer ses hommes en Irak. Le Liban est un peu le sismographe de la région, dès qu’il y a un souci dans la région il se répercute dans le pays manquant à chaque fois de raviver les conflits qui menacent le pays des Cèdres. Surtout que le Liban a déjà des problèmes avec les Islamistes de l’EIIL qui attaquent sa frontière, ils seraient environs 7 000 bien armés et entraînés.D’autres proposent d’armer le Hezbollah pour lutter contre l’EIIL comptant sur la rivalité Chiites Sunnites. Mais bien sûr armons et collaborons avec ceux qui ont tués 58 soldats français le 23 octobres 1983 au poste Drakkar sans compter (et on les oublie trop souvent!) les 241 soldats américains morts le même jour dans un attentat similaire commis aussi par nos « supers amis » du Hezbollah. On peut aussi oublier l’aide de l’armée de Bachar-Al-Assad, il me semble qu’elle a d’autres problèmes à régler en ce moment, oui car une guerre civile ce n’est pas une mince affaire.
On nous parle d’armer les Kurdes, cette minorité répartit dans plusieurs pays du moyen-Orient avec une grosse partie en Irak. De les armer et de les encadrer avec des Forces Spéciales occidentales comme les OMLT en Afghanistan. Solution intelligente mais malheureusement incomplète. Les Kurdes seuls ne changeront rien, ils manquent d’armes, d’expérience, d’effectifs. Si on les arme et qu’on les encadre par de petits effectifs rien ne changera : rappelons nous l’intervention américaine au Viet-Nam. en 1964 il y avait seulement des livraisons d’armes et des militaires chargés d’encadrer l’armée sud-vietnamienne mais en 1967 les effectifs américains stationnés au Sud atteignirent 510 000 hommes, auxquels s’ajoutaient 40 000 hommes de l’USAF basés en Thaïlande et 30 000 autres aux formations de la 7e Flotte américaine. D’autant plus que les armer signifie surtout reconnaître et légitimer de facto leur existence en tant que pays et ainsi répondre positivement à leur revendication de création d’un état kurde unifié… Autre source d’ennui en perspective, et il n’est pas sûr que la Turquie suive derrière! Ce qui peut aussi être un bon moyen de respecter le principe de Bismarck de toujours conserver un casus belli sous le coude.
Pourquoi ? Car l’encadrement des troupes ne suffit pas pour compenser leur inexpérience et leur sous-effectif et par un effet d’aspiration on finit par envoyer des troupes au sol. Il faut se méfier des sirènes du tout-aérien et des frappes chirurgicales pour faire cesser un conflit. La Libye est un exemple frappant, après nos bombardements soi-disant couronnés de succès, les désordres n’ont jamais été plus grands ! C’est pareil pour le mythe forces-spéciales, ces dernières très compétentes pour mener des petites opérations précises ne peuvent mener une campagne entière et mailler un territoire, l’infanterie reste ici Reine des batailles. Il suffit de regarder les campagnes d’Afghanistan et d’Irak, si juste des avions et des forces-spéciales eurent été suffisantes on n'aurai pas ces problèmes. Pensez-vous vraiment que les Américains et les pays de la coalition n’ont pas essayé ?
Les conflits de décolonisation sont un exemple typique, prenons l’Algérie : les forces françaises s’élevèrent à plus de 460 000 hommes. Le but étant d’avoir le plus fort et resserré maillage du territoire possible. Pourquoi ? Nous vous invitons à lire les livres de Trinquier (La guerre moderne) ou de Galula (Contre-Insurrection théories et pratiques). Une fois l’offensive rebelles stoppée, il faut ensuite nettoyer tout le territoire pour empêcher les graines de la discorde de reprendre. Pour cela il faut pouvoir détruire dans son intégralité l’appareil militaro-administratif des rebelles, c’est à dire détruire ses forces militaires mais aussi ses forces politiques qui contrôlent une grande partie du pays. Il faut pouvoir proposer autre chose, pouvoir construire une alternative. Pendant la guerre d’Algérie paras et légionnaires étaient les troupes d’intervention mais elles ne suffisaient pas, il fallait des troupes de quadrillages pour tenir les villages, les postes, les routes, pour quadriller le territoire et gagner les cœurs et les esprits. Ce rôle était tenu par les petits biffins, les appelés ; par une création très intelligente : les SAS ou Section Administrative Spécialisée. Tous les conflits de décolonisation et de contre-insurrection actuels obéissent à cette règle ! Pourquoi lors des guerres récentes en Irak ou ailleurs a-t-on sans cesse voulu augmenter les effectifs ? Eh bien pour contrôler le territoire, répondre aux demandes de la population et pour se donner les moyens de traquer l’adversaire partout où il se cache et ce jusque dans les zones où il se croit en sécurité. Regardez la Libye, le conflit a-t-il cessé ? Non ! Et au Mali, les forces ennemies ont-elles tout arrêté après les bombardements français ? Non, non et encore non ! D’ailleurs et malgré la présence de nos troupes au sol on constate un regain d’intensité du conflit et un retour des Djihadistes. Déployer des troupes au sol c’est ce qui risque d’arriver si on intervient de nouveau en Irak, et c’est la seule solution possible.
En conclusion si nous ne pouvons éviter d’envoyer des troupes au sol, il faudra le faire dans un contexte international. Il faut être prêt si l’on veut sauver les Chrétiens d’Irak à envoyer des hommes, beaucoup d’hommes, au sol et par contre-partie à payer le prix de la mort, du sang et des larmes. Surtout prenons garde à ne pas céder aux sirènes du tout technologie et de la guerre à distance, les Américains s’y sont égarés et les Français aussi, cela ne fait que stopper et repousser le problème momentanément. D’ailleurs malgré les frappes aériennes américaines l’avancée des islamistes se poursuit même si elle connaît un ralentissement qui est d’ailleurs dû à plusieurs choses et non uniquement à l’intervention américaine.
Pour éradiquer une rébellion il faut anéantir tout son appareil que se soit politique ou militaire mais surtout être capable de le remplacer par autre chose et dans le cas irakien cela risque de prendre plusieurs dizaines d’année car tout est à reconstruire et un État au sens noble du terme ne s’improvise pas en 10 ans. La France s’est forgée sur des siècles. Il faut aussi et là est le véritable souci être prêt à risquer la vie de nos soldats, ce que l’opinion n’est plus prête à encaisser et refuse désormais, rappelons que les familles des soldats tués à Uzbeen en 2008 ont attaqué l’État et l’armée, du jamais vu encore ! En Algérie nous avons déployés 460 000 hommes et eu 28 500 morts, en Afghanistan nous avons déployé 3800 hommes et eu 89 morts. Les chiffres sont significatifs.
Enfin il manque à la France une volonté de réussir et surtout une stratégie claire et cohérente, et sans cela, on arrive à rien.
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