La victoire du républicain a plongé l'UE dans le désarroi. Bruxelles recherche les indices d'une politique étrangère articulée du futur président.
Donald Trump n'est pas le premier à faire de «l'Amérique d'abord!» un tremplin vers la Maison-Blanche. Le slogan avait été lancé dès 1940 - sans succès durable - pour contrer la réélection du président Roosevelt et ses velléités d'entrer en guerre. Le milliardaire à la mèche blonde, lui, a magistralement réussi. Et l'Europe, déjà assaillie par les crises, se retrouve d'un seul coup renvoyée à de très mauvais souvenirs.
La victoire surprise du champion républicain face à Hillary Clinton laisse les responsables européens interloqués. Comme après le «non» des Britanniques en juin, l'UE connaît un troublant passage à vide. Un premier dîner des 28 ministres des Affaires étrangères, convoqué à la hâte pour jauger les «implications» européennes de l'élection américaine, semble sérieusement compromis. Le Français Jean-Marc Ayrault a fait savoir qu'il n'en sera pas dimanche soir, tout comme son nouveau collègue espagnol Alfonso Dastis Quecedo. Le Britannique Boris Johnson aurait, lui aussi, déclaré forfait. Parmi les «grands» seuls restent à bord Frank- Walter Steinmeier, inspirateur allemand du rendez-vous, et l'Italien Paolo Gentiloni, obligé de Federica Mogherini, la chef-diplomate de l'UE.
Les chancelleries, faute de contacts sérieux avec l'état-major de Donald Trump, sont dans un épais brouillard. Les unes cherchent encore sur le site officiel de la campagne les signes intelligibles d'une politique étrangère articulée (certains textes ont d'ailleurs mystérieusement disparu dès mercredi). Certaines tentent de repérer dans l'entourage du président élu le profil d'un secrétaire d'État, d'un conseiller pour la Sécurité nationale ou d'un ambassadeur aux Nations unies. Pour se faire une idée, d'autres attendent la diffusion de la première interview en longueur de l'élu, dimanche sur la chaîne CBS. Prendra-t-il la peine de parler de l'Europe? «Mystère!», lâche un diplomate de haut rang.
Au sommet, l'inquiétude a succédé à l'incrédulité et à des félicitations plutôt tièdes. En termes vagues, Angela Merkel et François Hollande demandent au successeur de Barack Obama d'assumer «sa responsabilité vis-à-vis du reste du monde» et de bien apprécier «les valeurs et les intérêts» que les États-Unis partagent avec l'Europe. L'exigence la plus pressante est celle du chef de l'État, formulée juste avant un premier contact direct avec Donald Trump, par téléphone: il faut «clarifier et faire clarifier des positions, nous devons nous parler franchement». Au bout de quelques minutes d'entretien, les deux hommes sont convenus hier de «travailler en commun» contre le terrorisme, sur l'Ukraine, la Syrie, l'Irak et encore l'accord international sur le climat. Mais des deux côtés de l'Atlantique personne n'oserait dire que le courant est rétabli.
La question qui fâche? Candidat, Donald Trump a jeté le doute sur la clause de sécurité collective qui scelle l'Alliance atlantique depuis 1949. Les États-Unis, qui pèsent plus de 70 % de la force militaire de l'Otan, ne voleraient plus nécessairement au secours d'un de leurs alliés européens agressé. Tous pour un, un pour tous, la règle jugée «obsolète» ne serait plus automatique.
Pire, le successeur de Barack Obama est en quête d'une «très, très bonne relation» avec la menaçante Russie de Vladimir Poutine. Newt Gingrich, cheval de retour en piste pour le Département d'État, a résumé d'un trait: pourquoi l'Amérique risquerait-elle la guerre nucléaire pour sauver l'Estonie, «banlieue de Saint-Pétersbourg ?». Les Estoniens, membres de l'Otan et de l'UE, s'alarment en compagnie de leurs voisins baltes et polonais. Sans surprise, le chantier d'une «défense européenne» sera rouvert dès lundi, à Bruxelles. Mais plutôt qu'une solution de rechange, c'est un outil politique destiné à ranimer une union tétanisée par un double électrochoc. Celui du Brexit au début de l'été, puis celui de Donald Trump à l'approche de l'hiver.
Cet article est publié dans l'édition du Figaro du 12/11/2016. Accédez à sa version PDF en cliquant ici