LE FIGARO. - Que pensez-vous du rapport britannique publié dimanche qui déplore l'absence d'une «vision et d'une stratégie cohérentes basées sur les réalités de l'histoireet de la culture afghanes» ?
Bernard KOUCHNER. - Tout d'abord, je voudrai saluer le courage et le professionnalisme des soldats français. L'histoire de l'Afghanistan, je la connais bien. J'ai fréquenté l'Afghanistan pendant sept ans, plusieurs mois par an, en tant que médecin. Bien sûr qu'il faut se demander quels buts nous poursuivons et quels sont les résultats. Après les attentats du 11 septembre 2001, l'objectif était de lutter contre al-Qaida. Puis la communauté internationale s'est engagée à défendre l'existence d'un gouvernement démocratique. Même si les pratiques en Afghanistan ne sont pas toujours celles de la démocratie occidentale.
Nous n'allons pas imposer la paix, mais nous pouvons créer les conditions pour y parvenir. Pour cela, il nous faut être en phase avec la population. C'est notre stratégie, et j'ai pu moi-même constater qu'à Kapisa (zone sous commandement français, NDLR) cette collaboration avec les civils est devenue une réalité. Cette région est très pauvre. Nous avons contribué par exemple à la construction de hangars pour stocker les grains de grenade, seule richesse locale, et les vendre ainsi à un meilleur prix. Nous avons lancé également des projets médicaux, scolaires … La paix, nous voulons la construire avec les Afghans, je dirais même sous la direction des Afghans. Cela, évidemment, ne plaît pas aux talibans, mais c'est ainsi que nous devons agir si nous voulons instaurer la confiance.
Les Américains partagent-ils ce point de vue ?
Les Américains ont changé de stratégie depuis l'arrivée d'Obama. Ils ont compris que si on ne convainc pas la population, c'est perdu d'avance.
Certains experts estiment que la paix ne sera possible qu'en dialoguant avec les talibans.
Bien entendu qu'il faut négocier avec les talibans. En tout cas, avec ceux qui sont prêts à déposer les armes et à dialoguer. Mais ce n'est pas à nous de le faire, c'est un sujet qui relève de la responsabilité des autorités afghanes élues. Pour le moment, la seule tentative de négociations, appuyée par le président Karzaï, a eu lieu en Arabie saoudite sous la houlette du prince Saqri. Certains ont tenté localement de prendre contact avec les talibans pour diverses raisons, militaires, d'organisation locale. Il faut surtout une attitude coordonnée des alliés et il faut que les conditions soient réunie. C'est une opération des Nations unies, il ne faut pas l'oublier. Rien ne serait pire que de négocier chacun de son côté.
Pourquoi ces contacts n'ont-ils pas abouti ?
Parce que les talibans ne veulent pas la paix. Ou plus exactement, il y a deux sortes de talibans. Il y a ceux qui pourraient être intégrés dans un gouvernement légal, et le président Karzaï s'est déjà dit prêt à les accueillir à Kaboul dès qu'ils voudront négocier. C'est avec les talibans qui auraient le goût et surtout le respect d'un certain nombre de règles que la paix sera possible. À terme, c'est avec eux que le futur président fera la paix. Et puis il y a les partisans du djihad global. Ceux-là se refusent à négocier.
Dans ces conditions, quelle crédibilité accorder à la présidentielle du 20 août prochain ?
Si les Afghans parviennent à voter de la façon la plus régulière possible, ce sera un gros échec pour les talibans. Maintenant, il faut se demander comment procédera le futur gouvernement. La Constitution afghane ne prévoit pas de premier ministre. Il y a des propositions pour que les quatre départements ministériels les plus conséquents (sic)- l'armée, l'économie, l'éducation, la santé - soient administrés par un superministre ou un coordinateur, ce qui nous permettrait de suivre les efforts entrepris. Pour le moment, on sait par où ne passe pas l'argent, c'est-à-dire qu'il en arrive encore trop peu à la population et c'est cela que nous nous employons collectivement à corriger.
Le Figaro - 02.08.09