Un "brûlot antisémite et négationniste" a fait apparition il y a un mois dans les paroisses et les évêchés. Récemment, l'évêque d'Orléans a reçu cette missive postée de Paris, tout comme le vicaire de Blois et les responsables de radios catholiques. Vingt-huit pages qui récusent l'existence des chambres à gaz pour n'admettre que quelques milliers de morts juifs, «juste châtiment», selon l'auteur, d'un peuple qui «a tué Jésus-Christ».
Ce texte nauséabond est signé du nom du père Patrick Desbois, l'homme qui depuis des années dirige le Service des relations avec le judaïsme au sein de l'épiscopat français ! Mais le prêtre, qui a porté plainte le 10 juillet pour «usurpation d'identité, contestation de crime contre l'humanité et diffamation raciale», rejette toute paternité de ce texte.
Ce curé est d'ailleurs engagé au-delà du dialogue interreligieux, puisqu'il s'est donné pour mission de retrouver dans les forêts ukrainiennes les fosses où gisent près d'un million de Juifs et de Tziganes assassinés par les Einsatzgruppen (groupes d'extermination nazis) durant la guerre.
En 2007, cet homme d'église fait connaître au grand public ce qu'il appelle «la Shoah par balles» dans un livre traduit dans plusieurs pays. Salué de toute part, fait chevalier de la Légion d'honneur en 2008, le voilà maintenant dans la tourmente...
«Je suis sidéré de rencontrer autant de haine en France, quand soixante ans après la Shoah, on déterre des morts juifs», se lamente le prêtre, qui refuse de pointer un doigt vers de possibles auteurs de ce document truffé de références religieuses catholiques. «C'est un symbole que l'on vise », insiste son avocat Me Patrick Klugman. Alertée, la Conférence des évêques a publié sur son site un communiqué de soutien au religieux. Tandis qu'au secrétariat de l'enseignement catholique, on se demande «qui en veut au père Desbois» ?
Partout, le courrier suscite surtout l'indignation. «Il n'y a pas de tensions en France entre l'église catholique française et le judaïsme», assurent tous les interlocuteurs qui s'interrogent sur le but visé par ce faux. Le Crif, à son tour, s'est indigné de «cette grossière manœuvre pour discréditer le père Desbois», selon son président Richard Prasquier, qui croit voir la main «des partisans de Richard Williamson». Tandis que le politologue spécialiste de l'extrême droite Jean-Yves Camus évoque «une prose qui rappelle celle des catholiques “conspirationnistes” qui sévissaient avant même la Seconde Guerre mondiale. ». Alors que le brûlot continue d'être envoyé à de nouveaux destinataires, son origine reste mystérieuse.
Les soutiens du père Desbois soulignent que ce document fait suite à une première contestation des travaux de l'homme d'église, en mai dernier. Au cours d'une émission sur France Culture, son ancienne assistante Alexandra Laignel-Lavastine critique ses méthodes de recherche, affirmant notamment que la présence d'un garde armé exerçait une pression sur les témoins. Depuis, elle a été exclue du séminaire qu'elle donnait avec lui à la Sorbonne.
«Donner une sépulture à ces morts »
D'autres historiens dénoncent alors sa propension à choisir des lieux sans mémorial pour faire figure de pionnier devant les caméras. Le débat, jusqu'à présent confiné dans un cénacle de spécialistes, est devenu public lorsque deux grandes figures ont pris parti, à l'aune de leurs œuvres. D'un côté Claude Lanzmann, le réalisateur de Shoah, a regretté que Desbois ne s'intéresse pas aux bourreaux. «Desbois minimise le rôle des populations civiles dans ces massacres», critique le réalisateur. En face, l'avocat Serge Klarsfeld, qui a tiré de l'anonymat les Juifs de France déportés en établissant la composition de chaque convoi parti vers les camps de la mort a salué l'œuvre de Desbois, comme inspirée de la même volonté de restituer les défunts à l'histoire.
Le prêtre, lui, temporise la querelle des historiens : «Je ne récuse pas ces critiques. Je cherche à reconstituer des scènes, à donner une sépulture à ces morts. Ensuite, le matériel historique, les témoignages oraux, sont à disposition des universitaires et des chercheurs.» Un centre de recherche ouvrira d'ailleurs en octobre, dans les locaux du Service des relations avec le judaïsme, en partenariat avec la Sorbonne.
Le Figaro - 08.08.09