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Nouvelles découvertes dans l'affaire Bettencourt : la juge Isabelle Prévost-Desprez, qui instruit un supplément d'information sur l'accusation d'"abus de faiblesse" contre le photographe François-Marie Banier, détient un document de trois pages, daté du début de l'année 2008, qui se présente comme un aide-mémoire destiné à Liliane Bettencourt afin de préparer son audition par la police et la justice. Saisie au domicile de la milliardaire lors d'une perquisition, cette note comporte les réponses que la milliardaire devait fournir, dans la perspective de questions délicates sur ses relations avec François-Marie Banier et sur les donations consenties en sa faveur, dont le total avoisine un milliard d'euros.
Le document, qui semble constituer la synthèse de réunions tenues dans l'hôtel particulier de Neuilly, les 6 février, 8 février et 15 avril 2008, accrédite le sentiment que l'octogénaire se trouvait alors sous l'influence de plusieurs membres de son entourage - ce que les fameux enregistrements de son maître d'hôtel ont corroboré depuis lors. À ces dates, la plainte de sa fille, Françoise Bettencourt Meyers, venait d'être déposée, mais Liliane Bettencourt n'avait été ni sollicitée ni convoquée par la justice. L'identité de l'auteur de la note n'est pas précisée, mais il est certain que ce n'est pas Mme Bettencourt, puisque celle-ci y a ajouté en marge certaines annotations manuscrites, reconnaissables par l'écriture et par l'utilisation, habituelle chez elle, d'un feutre vert.
Justificatif de générosité
Le document atteste que les conseils de la milliardaire l'incitaient alors à mettre en avant "une question de jalousie" pour expliquer l'initiative de sa fille. "Mme Bettencourt regrette que sa fille ne comprenne pas que son amitié pour M. Banier n'enlève rien à son affection pour elle, indique encore le texte préparé à l'intention de la vieille dame. Ils ne sont pas en concurrence. En outre, elle a donné à sa fille pratiquement tout son capital de L'Oréal, pour un montant qui n'a aucune commune mesure avec les donations faites à M. Banier, qui n'ont jamais été faites qu'en prélevant sur ses revenus." Autre mention conçue pour justifier la générosité hors norme de la milliardaire envers le photographe : "M. Banier est à la fois un ami, dont la présence lui est précieuse, une ouverture sur le monde artistique et un artiste vis-à-vis de qui elle joue un rôle de mécène. Elle a souhaité qu'il soit à même de réaliser son oeuvre sans souci matériel."
Le ou les auteurs de ce travail préparatoire ont, en outre, suggéré plusieurs interrogations à anticiper. Ainsi, à la question : "Pourquoi des sommes aussi importantes ?", il est suggéré à Liliane Bettencourt de répondre : "Elles sont proportionnées à ma fortune ; elles n'ont été prélevées que sur mes revenus." Cette double affirmation n'est pas tout à fait exacte, mais elle correspond à ce que déclarera la milliardaire le 13 mai suivant, au cours de ce qui reste à ce jour son unique audition dans cette affaire. Face à la mention Questions autour de l'état de santé, il est écrit : "J'ai eu des problèmes physiques qui n'ont jamais altéré mes facultés intellectuelles."
"Je n'ai pas de compte à l'étranger"
D'autres demandes sont anticipées, et les réponses attendues dictées à Mme Bettencourt. "Avez-vous des comptes à l'étranger ?" Réponse : "Non" - on sait aujourd'hui qu'elle en détenait deux en Suisse. "A-t-elle donné directement ou indirectement l'île d'Arros ?" Réponse : "Non, je n'en suis que locataire..." Il est acquis que la milliardaire avait acheté cette île aux Seychelles via une société-écran immatriculée au Liechtenstein et l'enquête a montré qu'elle la destinait à Banier...
Autre question révélatrice de l'état d'esprit de l'entourage de l'octogénaire : "Est-ce qu'on ne vous présenterait pas des actes [de donation] tout préparés, des lettres que vous ne faisiez que recopier ?" L'intéressée est priée de répondre en ces termes : "J'ai toujours vérifié soigneusement leur portée et je n'ai signé que quand j'étais d'accord sur leurs termes." Les enregistrements clandestins du maître d'hôtel - révélés par Le Point - ont pourtant montré que Mme Bettencourt avait oublié avoir signé un testament désignant François-Marie Banier comme légataire universel, ou encore qu'elle ne se souvenait aucunement d'avoir voulu offrir son île aux Seychelles à son ami si cher. Récemment, elle a révoqué ce testament et chargé ses avocats de récupérer l'île d'Arros afin de pouvoir en déclarer au fisc la propriété.
La note retrouvée par la police comporte enfin un passage troublant. L'auteur - qui pourrait être Patrice de Maistre, l'homme de confiance de Liliane Bettencourt - y indique ceci : "Me Goguel [avocat de la milliardaire] prépare une note que je pourrai remettre au directeur adjoint du cabinet du ministre de la Justice, de façon à ce qu'il puisse nous dire où en sont les choses, quel est l'état d'esprit du juge et quelle est la position du parquet." Aucun détail ne permet de savoir si une telle note a effectivement été remise au cabinet de Rachida Dati, alors garde des Sceaux, mais cette mention renforce l'impression d'une procédure particulièrement suivie en haut lieu depuis l'origine, ce que plusieurs extraits des fameux enregistrements ont également corroboré, évoquant notamment les contacts entre l'Élysée et Patrice de Maistre.
Me Metzner (avocat de la fille de Mme Bettencourt) affirme parallèlement que l'interview récemment accordée par Mme Bettencourt à Paris-Match est "de la fabrication, de la construction". "Il y a des mensonges, on a orchestré cela, organisé cela, on sait le prix qu'a payé Paris-Match pour obtenir cette interview".
"Pas un mot n'a été orchestré, une telle déclaration revient à remettre en cause l'honnêteté du journaliste", a répondu Me Kiejman.
Le Point - 04/10/10