Me Alan Dershowitz, qui fut en 1985 l'avocat de Claus von Bülow avant de défendre plus récemment Mike Tyson ou O. J. Simpson, est l'un des plus célèbres pénalistes américains.
LE FIGARO. - Vous parlez de «stratégie d'illusion» pour qualifier la défense de DSK. Qu'entendez-vous par-là ?
Alan DERSHOWITZ.- La défense cherche à faire croire qu'elle a un dossier très solide et affirme des choses qu'elle ne sera jamais en mesure de prouver comme si elles étaient vraies, tout en sachant qu'elles seront fortement contestées. Elle soutient par exemple qu'il y a bien eu ce déjeuner au restaurant à l'heure des faits et que la chronologie de la police est fausse. Les avocats de la défense font cela tout le temps...
C'est du vent, de l'exagération plutôt que du bluff. Autre exemple: dans les affaires de viol, la loi new-yorkaise interdit d'évoquer au tribunal la vie sexuelle de la plaignante. Eh bien, la défense pourra le faire dans la presse pour lui faire comprendre qu'elle est en mesure de détruire sa réputation. Il faut s'attendre à beaucoup de manœuvres de ce genre. L'objectif est de faire mûrir l'idée qu'un accord reposant sur le paiement d'une grosse somme d'argent est préférable à un procès.
Justement, ira-t-on jusqu'au procès ?
Je parierais qu'il y aura un accord avant le procès car il est dans l'intérêt des deux parties - défense et plaignante - de ne pas aller jusque-là. Si l'avocat de la plaignante engage une procédure civile, il devra viser DSK en personne. Or c'est surtout la femme de l'ex-directeur général du FMI qui possède l'argent et il sait très bien que dans plusieurs années, il sera toujours en train de courir après la somme réclamée. DSK, en effet, peut très bien se déclarer insolvable. Or, s'ils passent un accord, la plaignante obtiendra 2 ou 3 millions de dollars immédiatement. Dans l'affaire O. J. Simpson, la famille de son épouse n'a pas reçu un centime et ne touchera jamais rien. On ne connaît pas les arrangements financiers du couple Strauss-Kahn-Sinclair, mais il est notoirement difficile de récupérer l'argent après avoir gagné un procès civil.
Qui sait par exemple si le couple ne décidera pas de divorcer? Anne Sinclair pourrait ainsi garder toute sa fortune et les avocats de la plaignante ne pourront jamais récupérer leur argent. L'avocat de la défense n'a aucun intérêt non plus à aller jusqu'au procès, car ce serait aussi horrible pour DSK que pour la plaignante et le dossier du procureur semble sérieux. Il a donc tout intérêt à ce que la victime finisse par ne pas vouloir témoigner. Si elle refuse, c'est fini, le dossier est clos. Dans cette relation triangulaire, le procureur est l'intrus. Les deux autres parties ont des intérêts communs entre elles mais pas avec lui. Reste à savoir si elles seront capables de trouver un accord sans se voir accusées de faire obstruction à la justice.
Concrètement, comment sceller un tel accord sans faire obstruction à la justice ?
C'est possible par l'intermédiaire d'un parent qui ne relève pas de la juridiction new-yorkaise. Les membres de la famille de DSK à Paris, par exemple, n'en relèvent pas. S'ils essaient de passer un accord directement avec l'avocat new-yorkais, celui-ci pourra être accusé d'obstruction. Mais ils peuvent négocier directement avec la famille de la plaignante hors de l'État de New York ou en Guinée. C'est un ballet extrêmement délicat à mener. Dans l'affaire Kobe Bryant (un joueur de basket-ball représenté en 2004 par l'avocat de DSK, Ben Brafman, NDLR), cela avait réussi parce que l'accord avait été conclu avant l'inculpation par le «grand jury».
Avez-vous déjà passé un accord avec l'avocat d'une plaignante avant le procès ?
Non, moi je suis un trial lawyer. Je ne passe pas d'accord, je vais au procès.
Comment le procureur peut-il empêcher qu'un tel accord soit trouvé ?
Il ne peut pas empêcher la famille de passer un accord. Tout ce qu'il peut faire, c'est menacer d'ouvrir une enquête pour obstruction à la justice. Il peut dire: «Si jamais j'entends parler d'un accord explicite ou implicite sur un échange d'argent dans le but d'acheter le silence de la victime, vous irez en prison». Chacun risque alors jusqu'à cinq ans de prison. Mais il est tout de même difficile pour le procureur d'empêcher cet accord. Dans cette affaire, il faut reconnaître qu'il a réussi un coup de maître en inculpant très rapidement DSK. C'est inhabituel. Dans l'affaire Kobe Bryant, l'inculpation par «grand jury» avait pris du temps et, entre-temps, les deux parties avaient conclu un accord financier.
L'intérêt de l'avocat de la plaignante n'est donc pas que justice soit faite, ni de coopérer avec le procureur malgré ses affirmations de lundi ?
Il peut vouloir que justice soit faite, mais au bout du compte, l'argent est plus important. Quand il a dit qu'il coopérait avec le procureur, c'était juste un message à la défense pour lui dire qu'il attendait une offre. S'il coopérait vraiment, il n'aurait pas jugé utile de le préciser. Pour l'instant, on entend beaucoup de messages envoyés de part et d'autre. Pour citer Shakespeare, c'est «un récit plein de bruit et de fureur qui ne signifie rien» en termes de preuves. Du point de vue de la victime, il vaut mieux se retrouver avec 2 ou 3 millions de dollars sur son compte en banque plutôt que risquer de tout perdre.
Dans sa demande de discovery de pièces au procureur, la défense a demandé si d'autres accusations contre DSK étaient susceptibles d'être produites. A-t-elle des raisons de s'inquiéter ?
Dans certains cas, vous pouvez en effet prendre en compte le passé sexuel de l'accusé. Il est possible par exemple d'utiliser l'affaire Tristane Banon. Celle-ci n'aura même pas besoin de venir à New York. Il suffit que DSK témoigne à son propre procès pour que le procureur lui pose une question sur cette affaire, ou sur toute autre affaire. Si cela arrive, il n'aura aucune chance d'être acquitté. Or il sera probablement obligé de témoigner car il ne peut espérer gagner un procès où il affirmerait que l'autre personne était consentante, s'il ne raconte pas sa version des faits.
La défense demande également à ce que les conversations et messages postérieurs à l'arrestation sur téléphone portable, iPad et ordinateur ne soient pas utilisés. Quelle sera l'attitude du juge ?
Les conversations avec son avocat ne pourront pas être utilisées, mais toutes les autres le pourront. Sauf peut-être celle avec son épouse, si elle bénéficie d'une «exclusion». Les deux grandes questions dans cette affaire sont de savoir si la victime va témoigner ou non, et quel type d'éléments à charge le procureur pourra apporter sur l'agressivité sexuelle passée de DSK.
Source Le Figaro - 09/06/11