Elle a un grand coeur, Sophia. Cette mère de famille de 42 ans a pris place sur le banc des prévenus devant le juge Baudouin et ses assesseurs. Tout près d'elle, Nora, 34 ans. Les deux femmes, deux voisines qui vivent à Martigues, sont jugées pour vols en réunion sur personnes vulnérables et détournement de mineurs.
Sophia avait hébergé deux mineurs en fugue. Son grand coeur, toujours. D'ailleurs, il l'a perdue. L'un des fugueurs, placé en foyer, était le fils de Nora. C'est quand le juge détaille les activités de tout ce petit monde que le bon coeur de Sophia reçoit quelques égratignures. "Des dames âgées ont déposé plainte pour cambriolage", résume le juge Baudouin. Qui demande : "Comment vous y preniez-vous ?" Sophia, du bout des lèvres, raconte: "On est allé voir cette dame, on l'a un peu distraite et l'un des jeunes a fait le tour de l'appartement". Bilan : bijoux, argent. Le fils de Nora, un ado de 14 ans, a aussi pris part aux vols. C'est même sa mère qui le confirme : "Mon fils a tout pris. Moi, j'étais là, mais j'ai rien fait", se défend-elle.
Qui a eu l'initiative de ces cambriolages ? Et de faire participer les jeunes ? À la barre, l'amitié entre les deux copines se fissure. À telle enseigne que le juge intervient : "Dites donc, la solution pour avoir la paix, c'est de les assigner à résidence à 500 km l'une de l'autre !" Il demande ensuite à Nora : "Vous ne pouviez pas empêcher votre fils de voler ?" La mère de six enfants rétorque : "Il m' écoute jamais ! Et de toute façon, dit-elle en désignant sa copine, c'est elle qui le faisait charbonner ! Tu lui as monté la tête !" Deux vieilles dames ont ainsi été cambriolées. "L' une d'elles, précise le juge, n'est autre que la grand-mère d'adoption de l'autre mineur en fugue".
"Quelle honte ! Des mamans qui volent des personnes âgées, en utilisant des enfants ! "
Un ange passe. Surtout quand, en partie civile, Me Virginie Le Vouedec ajoute une couche de vernis supplémentaire à la coloration déjà détestable du dossier : "S'en prendre à une dame âgée, sous curatelle, venir ensuite mettre sa moralité en doute... lamentable ! Elles lui feront même du chantage affectif : ces vols, c'était pour nourrir les enfants. Pour qui nous prend-on ?" Il n'en faut pas plus au procureur Nadine Lefebvre-Ibanez pour laisser éclater sa colère et le Vésuve qui va avec: "Quelle honte ! Des mères de famille qui détroussent des personnes âgées fragiles, en utilisant des enfants ! J'ai honte pour vous".
La représentante du Ministère public ira même jusqu'à requérir cinq ans ferme contre Sophia, en récidive légale, et trois ans avec sursis contre Nora. En ayant pris soin de donner sa vision du grand coeur de Sophia : "La compassion, madame, ça ne signifie pas utiliser les autres."
Des réquisitions "démesurées" pour la défense, assurée conjointement par Mes Céline Depré et Johanna Vine. Chargées de redessiner le portrait des deux prévenues. "Elle a six enfants, insiste Me Vine, mais a-t-elle eu le choix ? Et comment avoir de l'autorité sur un enfant qui n'a eu d'autre exemple qu'un père qui bat sa mère ?"
Des arguments qui vont en partie convaincre le tribunal : Nora est condamnée à neuf mois avec sursis. Sophia écope quant à elle de dix-huit mois avec port du bracelet électronique. "Ce dossier a pris une ampleur démesurée, pour son avocate Me Depré : ce sont des infractions bêtes et méchantes, certes, mais devant les policiers, les deux mineurs, qui ne sont pas des oies blanches avaient tout fait pour sauver leur peau !" L'affaire pourrait se poursuivre devant le juge des enfants, le président ayant précisé : "Leurs qualités éducatives me semblent sincèrement remises en question... il se pourrait que le juge des enfants soit saisi".
Source La Provence - 21/07/11