Défilé de la Victoire - 1919
Tombe à Port-Joinville, Ile d'Yeu
Nous avons vu comment le Maréchal Pétain fut condamné, au terme d'un simulacre de procès, « à la peine de mort, à l’indignité nationale, à la confiscation de ses biens. »
Il lui restait à parfaire son sacrifice par un long labeur de prison, dans le don total de sa personne et de sa gloire « à la France... et à Dieu ».
AU FORT DU PORTALET
Aucune amertume n’habitait l’âme du condamné. Quand il entendit le nom du directeur de l’administration pénitentiaire qui le prenait en charge, M. Amor, il eut cette repartie charmante : « Amor ? Comme moi ! » Durant le trajet jusqu’au fort du Portalet dans les Pyrénées, il demanda à son voisin : « Avez-vous assisté à mon procès ? Le bâtonnier Payen a beaucoup, beaucoup de qualités. Mais il n’aurait pas dû me chercher des excuses, et surtout pas dans mon âge. » (...)
Arrivé au fort, sur son passage, aucun des gardes ne rectifia la position, quelques-uns prirent des attitudes hostiles, allant jusqu’à tourner le dos au prisonnier. Devant la porte se tenait un officier, commandant une compagnie du 4e régiment de zouaves. Il l’ouvrit, le Maréchal entra seul dans la geôle, jeta un coup d’œil circulaire : des barreaux à la fenêtre, un châlit avec un sac de couchage, une vieille chaise de paille, une table de bois. Rien d’autre. Alors le Maréchal, se retournant vers ceux qui l’avaient accompagné, leur dit simplement : « Messieurs, je vous remercie. » Le garde ferma la porte et tira les verrous...
Le 17 août, de Gaulle commuait la peine de mort en réclusion à perpétuité. Cette peine n’existe pas dans le Code pénal français pour des prisonniers politiques, auxquels seule une détention à temps déterminé peut être infligée.
Le séjour au Portalet fut très pénible pour le Maréchal. L’isolement, la claustration, l’absence de courrier, eurent rapidement raison de son tempérament vigoureux, surtout après la terrible tension du procès. Mais il se reprit et, par sa patience, sa gentillesse, parvint à conquérir l’affection des gardiens.
La Maréchale fut autorisée à résider à Urdos, le village le plus proche du Portalet, du 1er au 15 octobre. Elle pouvait voir le prisonnier, une heure par jour et en présence d’un gardien. Mais, le 17 octobre, il lui fut signifié, non seulement de ne plus se présenter au fort mais d’avoir à quitter Urdos. (...) Le 20 octobre, après le départ de son épouse, nouvelle crise de découragement chez le Maréchal. « J’en ai assez, dit-il à son gardien, cela ne va plus ! Vous voyez cette fenêtre de ma cellule : s’il n’y avait pas de barreaux, je me serais précipité dans le gave. Je crois que c’est la seule solution : disparaître. » Pauvre maréchal ! Son calvaire ne fait que commencer.
Les 5 et 6 novembre, maîtres Isorni et Lemaire viennent le visiter. Quand ils le quittent, apprenant qu’ils se rendent à Lourdes, le Maréchal leur recommande « de parler de lui à la Dame de Lourdes ».
Le Maréchal en compagnie du commandant de L’Amiral-Mouchez
Le général Héring, ancien gouverneur de Paris, étant intervenu en faveur du Maréchal auprès du chef du gouvernement provisoire, huit jours plus tard, le Maréchal apprenait son transfert à l’île d’Yeu. Il aurait préféré une île de la Méditerranée, mais il s’exclama : « Au moins, je verrai la mer. » S’il avait su...
Le commandant de l’aviso-escorteur L’Amiral-Mouchez et ses marins, qui devaient emmener le prisonnier à l’île d’Yeu, contrevenant aux consignes, lui rendirent les honneurs. « M. le Maréchal, voici votre chambre », lui dit le commandant en lui ouvrant ses propres appartements. Les marins se mettaient au garde-à-vous dès qu’ils apercevaient le Maréchal, comme si ce dernier était en tournée d’inspection.
Le 16 novembre 1945, vers 9 heures du matin, l’aviso mouillait à sept milles au sud-est de l’île d’Yeu.
LE FORT DE LA PIERRE-LEVÉE
À peine débarqué, le Maréchal fut conduit au fort de la Pierre-Levée, distant de Port-Joinville d’un bon kilomètre. La “ citadelle ”, comme disent les Islais, comporte un bâtiment central de deux étages, deux ailes de casemates et une grande cour d’environ 130 mètres sur 100. L’ensemble est entouré d’un large fossé surmonté d’un glacis qui rend impossible toute vue extérieure. (...)
Dans la chambre, un lit de fer, avec ses deux couvertures réglementaires, une commode, une armoire et une table en bois blanc, deux chaises de bois, pas de fauteuil. Sur la table une cuvette, à côté un broc en tôle émaillée. Il n’y a pas non plus d’électricité au fort, du moins dans les premiers mois ; pas d’eau potable non plus, on va la chercher avec des tonnes à trois kilomètres de là. Un poêle à bois pour la chambre du prisonnier. Le tout, très humide et froid...
Son premier ennemi, le Maréchal le savait, serait la solitude. Lire ne suffisait pas, il résolut de se mettre à l’étude de l’anglais et demanda à être abonné à une revue politique anglaise ou américaine qui le mettrait au courant des questions mondiales. Il souhaitait surtout suivre la reconstruction matérielle et morale de la France. Souhait non exaucé. (...)
Alors, avec des moyens misérables, le plus vieux prisonnier du monde lutta jour après jour contre la désintégration intellectuelle. Le combat le plus rude se déroulait la nuit. Le supplice des insomnies avait commencé au Portalet, le faisant passer des nuits entières sur son fauteuil. Maintenant, il n’y avait même plus de fauteuil. Pas de lumière après 11 heures du soir, impossible de prendre un livre. C’était l’obscurité, la solitude, l’emprisonnement total. (...)
Chaque nuit, effort mentalement épuisant, il voulait se rappeler tous ses actes de chef d’État. « Je cherche à faire le bilan, disait-il à ses avocats, lorsqu’ils venaient le voir. Et croyez-moi, je le fais avec le plus de sévérité possible sur moi-même. Mais je ne comprends pas comment on peut me traiter comme on le fait. Je ne pensais qu’à aimer les Français, à être plus près d’eux. Il hésita un peu avant d’ajouter : Je gouvernais la France avec amour. »
Cet amour de la France, il le manifestait chaque matin en assistant, au garde-à-vous derrière la fenêtre grillagée de sa chambre, à la cérémonie des couleurs qui se déroulait dans la cour. Et comme il n’était pas question d’y assister si la toilette n’était pas faite, c’était une bonne raison pour se lever et s’en tenir à l’horaire fixé. (...)
Les journées s’écoulaient, vides et mornes. « La patience est actuellement la vertu essentielle à pratiquer, écrivait-il le 7 décembre 1945 à la Maréchale. Donnons-nous un mutuel exemple, car la vie est bien pénible en ce moment. » Le 12 décembre, il reprend la plume pour lui confier : « J’ai besoin de t’avoir près de moi pendant quelques semaines pour me réconcilier avec la vie. Cette permanence sous les verrous a quelque chose d’affreux : elle crée un état d’âme douloureux sur lequel le temps n’a aucune prise et que ta présence seule peut contribuer à calmer. Voilà où j’en suis. Décidément, le cachot ne convient pas à mon tempérament. Il faudrait que je puisse faire des marches de plusieurs kilomètres pour me disposer au sommeil. Les nuits sans sommeil sont terribles. L’obscurité les peuple de fantômes, et le faible espoir d’une vie améliorée que l’on caresse quelquefois dans la journée s’évanouit au cours des longues nuits sans sommeil. » Ce furent là des tourments indicibles, un vrai martyre infligé à un vieillard pendant six ans.
« Le Maréchal à la gamelle. »
L’image a fait le tour du monde, pour la honte de la France.
TÉMOIGNAGE DE L’ABBÉ PONTHOREAU
L’abbé Ponthoreau, le curé doyen de l’île d’Yeu, en fut le témoin bouleversé. Le préfet de la Vendée lui ayant demandé d’assurer le service du culte dans le fort, il y célébra la messe pour la première fois le 23 décembre 1945 et, à partir de ce moment, il reviendra au fort la célébrer chaque dimanche et rencontrer le Maréchal chaque jeudi. Il n’était pas pétainiste, mais il fut gagné par le rayonnement du prisonnier :
« Le Maréchal communiait à Pâques seulement. Mais je l’ai vu à genoux devant l’hostie, le regard mouillé, le cou tendu, les lèvres balbutiant des prières de son invention, avec la foi ardente et simple d’un enfant de onze ans. »
PREMIÈRES ALARMES
En février 1946, le Maréchal tomba malade et commença à divaguer. C’étaient les premières atteintes de la maladie sénile qui aurait raison de sa robuste santé. Au milieu du mois de mars, la Maréchale vint résider pendant une semaine sur l’île d’Yeu. Elle put voir son mari chaque jour : parloir d’une demi-heure, toujours en présence d’un gardien. Le reste de la journée, elle résidait à l’Hôtel des Voyageurs, chez Gaston Nolleau. Puis elle repartit. Le 24 avril, ce fut au tour des avocats, Isorni et Lemaire. Les congratulations échangées, le Maréchal leur parla de la révision de son procès : étaient-ils prêts à plaider ? Que signifiait exactement l’expression “ indignité nationale ” ?
« N’oubliez pas qu’il faudra demander ma réhabilitation même après ma mort, leur dit-il.
– Monsieur le Maréchal, vous avez dit vous-même, il y a quelques années, que la forme la plus nécessaire du courage, c’était la patience.
– Patient, je le suis, j’accepte tout.
– Il faut laisser passer le temps de la haine.
– La haine ? Je ne comprends pas la haine. Je n’en ai jamais éprouvé. La haine pour moi, c’est trop compliqué. »
Le Maréchal avait en estime un de ses gardiens nommé Roi. Un jour que celui-ci avait, par mégarde, renversé un seau d’eau dans la chambre du Maréchal, le prisonnier lui dit : « Oh ! là, là, je m’en vais vous aider à éponger cela. Il ne faut pas que le directeur vous attrape ! » Simon arriva sur les entrefaites au moment précis où le Maréchal et son gardien, tous deux à quatre pattes, épongeaient la flaque d’eau. Inutile de dire à quel point Roi fut touché par ce geste.
Même si tout était voulu pour faire oublier au Maréchal sa dignité et sa gloire passée, comme le petit roi Louis XVII dans sa prison du Temple ! le prisonnier n’avait rien perdu de son caractère. Le 11 novembre 1946, le ménage Nolleau avait fait à l’Hôtel des Voyageurs une sélection des fleurs envoyées au Maréchal, et un bouquet fut porté au fort pour orner sa cellule. Survint Simon, qui glissa à l’oreille du gardien, croyant que le prisonnier ne l’entendait pas : « Il y a trop de fleurs ici. »
Le Maréchal de la Grande Guerre avait entendu. Il se leva et frappa du poing sur la table en s’écriant : « Tout de même, les Boches, je les ai vaincus ! » Ce fut la seule manifestation de colère de sa captivité.
L’ACHARNEMENT DU GOUVERNEMENT
D’un côté, la bonté, la charité, le pardon héroïque. De l’autre, la haine, l’acharnement contre le vieux prisonnier et tout ce qu’il représentait... En juin 1946, Isorni et Lemaire adressèrent à Georges Bidault, chef du gouvernement, une lettre dans laquelle ils attiraient son attention sur les conditions de vie inhumaines imposées à un maréchal de France. La bonne conscience démocrate-chrétienne de Bidault ne s’émut pas. (...)
En février 1947, Vincent Auriol était élu à la présidence de la quatrième République. Les avocats du Maréchal espéraient obtenir un adoucissement du régime de la Pierre-Levée. Peine perdue. En juillet, une commission d’enquête parlementaire débarquait à l’île d’Yeu, en vue d’interroger le prisonnier sur les événements de 1939-1945. Nolleau, l’hôtelier de Port-Joinville, témoigne : « Avant : Ils sont souriants, sûrs d’eux, presque moqueurs... “ Oui, il aura la même attitude qu’au procès. Il s’abritera derrière ses erreurs de mémoire. Il la fermera... ” Après : dialogues mesurés, retenus, presque à voix basse. L’un d’eux laisse échapper : “ Oui, c’était bien l’homme qu’il nous fallait en quarante ! ” » (...)
Quand on l’interrogea sur les conditions de son incarcération, le Maréchal répondit qu’il n’avait rien à dire : « J’ai pris mon parti de me soumettre à toutes les obligations. Je ne demande rien, pas d’assouplissement de ma prison, rien du tout. Si on juge à propos de le faire, j’accepterai volontiers. J’irai jusqu’au bout, jusqu’à ma mort. Si je dois finir ma vie dans ce milieu-là, je l’accepte d’avance. »
Les nouvelles qui, à cette époque, préoccupaient le plus le Maréchal ne concernaient ni sa libération, ni un quelconque adoucissement de sa condition, mais la condamnation de ceux auxquels était reproché le “ crime ” de lui avoir obéi, à lui, légitime chef de l’État français. « Ce n’est pas croyable ! Il faudrait protester contre tant d’injustice ! »
« IL NE FAUT PAS M’EN PRÊTER. »
En avril 1948, un “ Comité pour la libération du Maréchal ” se constitua sous l’égide du général Héring et de l’historien Louis Madelin. (...) De leur côté, les mouvements de gauche se déchaînèrent : « Libérer Pétain, c’est désavouer la Résistance, c’est réhabiliter Hitler. » Paul Claudel : « Le Maréchal doit prendre sa médecine jusqu’au bout. » Quant au général De Gaulle, maintenant retiré du pouvoir, son propos était sans équivoque : « Il est coupable et en raison même de l’importance de ses fonctions, plus que tout autre, il doit subir le juste châtiment de ses fautes. » (...)
Le 4 juin suivant, ses avocats vinrent le visiter. Ils lui annoncèrent qu’ils allaient à Rome où, avec l’aide de Léon Bérard, ils espéraient obtenir une audience de Pie XII. Mais, témoigne Isorni, ce qui intéressait à ce moment le Maréchal était le livre qui venait de paraître, signé de Louis-Dominique Girard, son ancien chef de cabinet : Montoire, Verdun diplomatique. « C’est un chef-d’œuvre ! dit le Maréchal. Girard a fait resurgir toutes mes idées. Le livre est gros, mais aucun mot n’est inutile. Il faut compter Girard parmi nos amis. » (...)
Le 11 septembre, Henri Queuille devenait Chef du gouvernement. Favorable à la clémence, il reçut le 26 septembre maître Isorni. Mais il n’eut pas le courage d’affronter l’opposition. (...)
Le 4 novembre, le Ministre de la justice avait décidé de faire tourner un film, pour « prouver que le détenu n’est pas si malheureux à la citadelle que la Maréchale et ses avocats veulent bien le laisser croire ». Nous avons pu visionner ce film d’archives. Tout est agencé pour prouver que « le détenu n’est pas si malheureux... » Beaucoup de vues sur la mer par exemple, alors que le Maréchal ne la voyait jamais. Mais le prisonnier se prêta à tout avec sa bonne grâce coutumière. Après le “ tournage ” du repas, le Maréchal glissa à l’oreille de Laspougeas : « Revenez plus souvent. L’ordinaire est amélioré, quand vous êtes ici. » (...)
Le 10 février 1949, Simon reçut l’ordre du gouvernement de se procurer de toute urgence de quoi meubler « de façon plus confortable » la chambre du Maréchal. Le président du Conseil, malgré les réticences du Ministre de la justice, venait de décider l’envoi de trois médecins auprès du Maréchal. Ceux-ci furent remués jusqu’au fond d’eux-mêmes en voyant le prisonnier et conclurent à la nécessité de lui faire quitter l’île le plus tôt possible. Le rapport remonta jusqu’au Conseil des ministres, où il fut bloqué. Le 7 avril, Simon signala que, pour la première fois, le Maréchal avait perdu la mémoire durant toute une journée et tenu des propos incohérents. Au Conseil, Jules Moch s’écria : « C’est un scandale. Je démissionnerai plutôt que d’accepter. » Et les modérés s’inclinèrent une nouvelle fois devant les enragés.
On décida simplement de transformer le fort de la Pierre-levée en prison-hôpital. Un nouveau personnel sanitaire prit la relève. Le Maréchal en fut traumatisé. En juin, à ses avocats venus le visiter, il confiait en se frappant le front : « Qu’est-ce qui se passe là. Ah ! là, là, comme mon pauvre cerveau est fatigué. Tout est vide. Mais cela reviendra, rassurez-vous. Je voudrais seulement savoir si les griefs qu’on a contre moi sont déshonorants. Ils ne le sont pas ? Mon honneur est intact ? [Et, comme ses avocats l’en assuraient...] Quel bien vous me faites, quelle joie vous m’apportez ! Mon Dieu, je ne pouvais en espérer tant ! Sortez-moi de là, je vous en prie. Quelquefois, j’ai l’air de plaisanter. Mais comme tout cela est disgracieux ! Oui, disgracieux, vraiment. Ah ! sortez-moi de là. Vous ne savez pas ce que c’est que d’être privé de liberté ! »
S’IL OFFRE SA VIE EN EXPIATION…
Ce n’est pas nous qui lui « en prêtons », c’est son aumônier ordinaire, le chanoine Ponthoreau, qui écrit :
« À la Citadelle, j’ai trouvé un vieillard purifié et grandi par la souffrance, qui portait sa peine en esprit d’expiation et qui priait. »
L’évêque de Luçon, Mgr Cazaux, demanda en juin 1949 aux religieuses des Sacrés-Cœurs de Mormaison de détacher deux d’entre elles pour venir tenir compagnie au Maréchal. Elles se relayèrent auprès de lui jusqu’à sa mort. Leurs témoignages révèlent l’âme profondément religieuse du Maréchal et donnent sens à ses souffrances.
Sœur Yvonne Berthomé : « L’une de ses vertus dominantes était la simplicité sans s’écarter pour cela de sa dignité et du respect des autres. Il était très simple, il ne vous écrasait pas de sa personnalité. Il ne cherchait pas à se faire servir ; il s’excusait toujours s’il lui arrivait une maladresse. Il ne se plaignait jamais, ne critiquait personne, pas même ceux qui auraient pu adoucir son sort. Tout dans sa personne témoignait du grand homme qu’il avait été pour la France ; on sentait un courage et une énergie à vaincre toute épreuve. »
Sœur Jeanne Challu : « Je n’oublierai jamais ma première visite au Fort, alors que je voyais le Maréchal pour la première fois. Il m’apparut très grand, malgré la sobriété, voire le dénuement des deux pièces dont il disposait. Il était excessivement bon. Un après-midi nous faisions la promenade habituelle. L’infirmière qui l’accompagnait ayant une entorse, marchait difficilement ; le Maréchal, s’en étant rendu compte, demanda simplement de regagner sa chambre. (...)
Sœur Alice Raynaud : « Je lui faisais réciter le Notre Père, quelques Ave Maria, il aimait prier. Malgré son absence de mémoire, il aimait nous parler de sa famille de Cauchy-à-la-Tour, de ses années d’études à Saint-Cyr, et lorsqu’il parlait de son oncle prêtre, c’était toujours avec grande vénération. Le Maréchal aimait chanter, et il chantait bien, il conservait un peu de fierté de sa jolie voix ; c’était un plaisir pour moi de l’entendre...
« Ma Sœur, pourquoi êtes-vous toute la journée près de moi ?
– Pour vous rendre les services dont vous avez besoin et adoucir votre sort, Monsieur le Maréchal.
– C’est vrai que j’aime beaucoup les religieuses, c’est pourquoi l’on m’en a donné. J’aime beaucoup savoir que l’on prie pour moi. Quand je sais qu’un ordre vient de Dieu, je ne demande jamais pourquoi, je l’accepte, tout simplement.
« Quelqu’un lui posa cette question : “ Monsieur le Maréchal, quelles sont les principales qualités que doit avoir un homme en charge du pouvoir ? ” On lui énuméra plusieurs de ces qualités : une grande expérience, il faut qu’il soit documenté, etc. Et lui de répondre :
– Oui, tout cela est bien, il lui faut toutes ces qualités, mais vous oubliez la principale : il faut surtout de l’honnêteté, oui, beaucoup d’honnêteté. C’est difficile de gouverner un peuple quand les gens ne travaillent que pour eux, pour leurs intérêts personnels. ” »
DANS UNE CASEMATE DE LA COUR
Le 16 septembre 1949, quand ses avocats vinrent le visiter, le Maréchal ne les reconnut pas. (...) Le nouveau directeur était plus arrangeant sur le règlement, peut-être à cause de l’état physique du Maréchal qui s’aggravait notablement.
Mais là-haut, à Paris, le gouvernement n’en démordait pas. (...)
La fin de l’année fut mauvaise pour le Maréchal : amnésie, incontinence, insuffisance cardiaque... Tout laissait croire à une fin prochaine. Mais non ! avec la nouvelle année, la santé revint. (...)
L’hiver 1950-1951 fut interminable et, le 7 avril, le Maréchal était frappé d’une double congestion pulmonaire. (...) Le curé accourut. Quand le regard du Maréchal rencontra celui du prêtre, il comprit et demanda à se confesser.
« Monsieur le Maréchal, lui dit le prêtre après lui avoir donné l’absolution, vous avez fait à la France le don de votre personne. Consentez-vous à lui offrir votre martyre en sacrifice ? – Oui, je le veux. Je le veux bien. » Et le Maréchal baisa la main du prêtre. (...)
Du monde entier, des suppliques affluaient, demandant la grâce du prisonnier. Les plus zélés étaient les Canadiens. (...)
De son côté, à Paris, le Président de la République était décidé à accorder une grâce médicale au Maréchal, mais la décision ne serait rendue publique qu’après les élections. Le 8 juin, la grâce médicale fut accordée, mais elle ne devint effective qu’au soir des élections, le 17 juin.
Le 29 juin, le Maréchal fut transféré tôt matin du fort au village de Port-Joinville dans la maison de Paul Luco. Apercevant une branche d’arbre qui se balançait dans le ciel, le Maréchal s’exclama : « Enfin, des arbres ! » Le lendemain matin, raconte mademoiselle Combaluzier, « à 6 h, quand les cloches de l’Angélus se mirent à tinter, toutes fraîches, toutes pimpantes dans l’air limpide du matin, le Maréchal ouvrit les yeux, une expression heureuse sur le visage. Et sa voix s’éleva :
« Ah ! des cloches !
« Je m’avançais vers lui.
– Oui, des cloches, cela fait plaisir, n’est-ce-pas, monsieur le Maréchal ?
– Oh ! oui, comme c’est agréable !
« Et il se rendormit paisiblement. »
Mais la fièvre reprit, et bientôt le Maréchal sombra dans le coma. Il ne cessait de répéter : « France, Drapeau... » puis à d’autres moments : « On crie dans les boyaux ! » Il s’éteignit le 23 juillet, l’esprit rempli de ces souvenirs de Verdun. « Vers 8 heures, raconte l’infirmière, le regard du mourant devint très fixe, les bruits du cœur imperceptibles. À 9 h 15, je fus alertée par un changement de rythme de sa respiration. Vivement je tâtai le pouls : il était incomptable. Je tenais la main du Maréchal dans la mienne. Le médecin s’apprêtait à s’éloigner pour aller faire part de ses craintes à la Maréchale : “ Capitaine, fis-je, je crois que c’est fini. ” Il était 9 heures 22. Sa main dans la mienne, Philippe Pétain, maréchal de France, avait fini de vivre son dernier combat. »
« MORT, IL PARLE ENCORE. »
Le gouvernement fit aussitôt bloquer les lignes téléphoniques de l’île, qui devaient rester pendant une heure à la seule disposition de l’Administration. Mais une chose extraordinaire déjoua tous les plans des autorités. Les marins couraient sur le quai, montaient à bord de leurs bateaux et appareillaient en hâte. Ils se dirigeaient vers les bateaux déjà au large, les attaquaient avec leur phonie à faible portée ou même à la voix : “ Le Maréchal est mort ! ” La nouvelle se répandit ainsi d’un bateau à l’autre dans le golfe de Gascogne et en Manche, tout au long de la côte Atlantique, et les grands navires, à qui elle parvenait, la répercutaient à leur tour avec leur radio. La nouvelle franchissait l’Atlantique, atteignait le Pacifique, l’océan Indien, les stations étrangères la captaient, interrompant leurs émissions pour annoncer : “ Le maréchal Pétain est mort ! ” Les lignes téléphoniques de l’île d’Yeu étaient encore bloquées que la nouvelle avait fait le tour du monde.
Lorsque la nouvelle parvint à Paris, une foule silencieuse, recueillie, se succéda toute la journée d’une manière ininterrompue devant la tombe du Soldat inconnu, sous l’Arc de triomphe. La nuit venue, des milliers de bouquets de fleurs déposés là depuis le matin formaient une croix gigantesque, là même où le vainqueur de Verdun, généralissime des armées françaises, était passé sur son cheval blanc, le jour du défilé de la Victoire, trente deux ans plus tôt. Veillée d’honneur, hommage silencieux du pays réel, en dépit de toutes les interdictions du pays légal.
Pendant ce temps, à l’île d’Yeu, la veillée funèbre commençait. Le Maréchal fut revêtu de son uniforme, portant pour seule décoration sa médaille militaire. La religieuse lui mit dans les mains son chapelet, cadeau du carmel de Lisieux. Mais, les anciens combattants accourus de Vendée, de Bretagne, n’eurent pas le droit d’entrer et de se recueillir auprès de leur chef. On les vit alors se masser dans l’étroite rue devant la maison fermée et, ensemble, réciter le chapelet. Après chaque dizaine, l’invocation était reprise : « Saints et saintes de France, priez pour notre vieux Chef ! » Après la dernière invocation, on entendit une voix isolée :
« Monsieur le Maréchal, pardonnez à la France ! »
Les obsèques eurent lieu le 25. Malgré les difficultés de toutes sortes élevées par les autorités publiques, une foule d’environ sept mille personnes s’était massée aux abords de l’église. Le général Weygand, en uniforme, mena le deuil. Vers 11 h 30, le cercueil, recouvert du drapeau tricolore, porté par huit hommes, six anciens combattants et deux prisonniers de guerre, quittait la villa pour Notre-Dame de Bon-Port. Le chanoine Potevin officia en présence de Mgr Chappoulie et de Mgr Cazaux. Ce dernier prononça l’oraison funèbre. (...)
TOUT EST FINI… ET TOUT COMMENCE
Le maréchal Pétain repose dans le petit cimetière de l’île d’Yeu, entouré de pins et de cyprès, sous une tombe blanche, marquée de ses sept étoiles d’or et surmontée de la croix blanche des cimetières militaires. (...)
Du maréchal Pétain, on peut dire ce que notre Père écrivait un jour du petit roi Louis XVII : qu’il a expié, qu’il a payé en sa personne les péchés de son peuple. Seulement, pour que celui-ci soit sauvé, il faut qu’il le veuille, qu’il se tourne avec vénération et reconnaissance vers son sauveur, en abhorrant les folles idées et les actes impies qui ont causé sa mort et son déshonneur. Plus que le retour des cendres du Maréchal à Douaumont, c’est cela, demain, qui sera le signe de la résurrection de notre Patrie.