L'arrêté d'interdiction est annulé. Telle est la décision qui a été rendue en début d'après-midi par le juge des référés de Nantes. Un jugement particulièrement attendu, car il pourrait préfigurer les autres arrêts que devront rendre d'autres juridictions en France dans le cadre de ce bras de fer opposant le ministre de l'Intérieur et le polémiste.
«C'est la fin de la circulaire Valls, qui aura duré quelques jours! s'est immédiatement réjoui l'avocat de Dieudonné. C'est la fin de cette anomalie juridique.» Le ministre de l'Intérieur, Manuel Valls, a aussitôt saisi en appel le Conseil d'État de la décision du tribunal administratif.
Lundi, Manuel Valls avait publié une circulaire devant permettre aux préfets d'interdire le spectacle Le Mur que présente Dieudonné dans le cadre d'une tournée qui démarre ce jeudi en France. Première destination de ce tour de France: Nantes.
Or, conformément aux demandes de l'hôte de Beauvau, le préfet de Loire-Atlantique avait rendu un arrêt ordonnant l'interdiction de ce spectacle. Arrêt contesté par la défense de Dieudonné. À l'audience de ce jeudi, c'est la sous-directrice des affaires juridiques et du contentieux du ministère de l'Intérieur, Pascale Léglise, qui s'est déplacée pour défendre la parole de son ministre et développer les arguments de ce dernier - en vain finalement.
«Ses propos ne sont pas de l'ordre de l'humour»
Sans porter la robe d'avocat, cette dernière est venue dire que Dieudonné avait porté atteinte à la dignité de ceux qu'il offense par ses propos antisémites et racistes. «Il n'est pas un humoriste. Ses propos ne sont pas de l'ordre de l'humour. On est dans la banalisation de l'extermination des juifs», a-t-elle indiqué avant de citer quelques phrases du polémiste. Ainsi, à propos de l'ancien grand rabbin de France, il s'était demandé: «Je dois lui mettre une cartouche?» Plus tard, il dira: «J'ai pissé sur le mur des Lamentations.»
Dieudonné, qui avait été condamné pour sa chanson Shoah nanas et qui avait promis de ne plus la reprendre dans ses spectacles, avait, sitôt la porte du tribunal franchie et sitôt sur les planches, repris avec la salle ces paroles, a rappelé le haut fonctionnaire. Piochant dans les paroles et gestes récurrents de l'homme, cette dernière a aussi évoqué le désormais célèbre geste de la quenelle. Et il est vrai que le «maître Dieudonné» est, sans doute aujourd'hui, dépassé par ses milliers d'élèves. Par centaines, des photos de ses fans sont publiées sur le Net où on les voit poser en faisant ce geste devant de hauts lieux de la mémoire juive. Or, souligne Pascale Léglise, «je n'ai trouvé aucun propos de réprobation» de la part de Dieudonné, qui, pourtant, fait-elle observer, s'exprime à l'envi sur la Toile.
«Sorties de leur contexte, les phrases peuvent faire mal»
Pour cette spécialiste du droit, Dieudonné est dans la surenchère, malgré déjà diverses condamnations judiciaires. Alors, quand une punition n'est guère efficace, il faut en trouver une autre. C'est tout le sens de la démarche du ministre de l'Intérieur en refusant l'accès aux planches à Dieudonné. «Il s'agit aussi de prévenir au lieu de sanctionner», estime Pascale Léglise.
Auparavant, Me Jacques Verdier s'était efforcé au contraire de rappeler que son client est bel et bien un humoriste. Mais, sorties du spectacle comique, les phrases sont comme une épée sortie de son fourreau. Elles peuvent faire mal. Elles perdent leur effet, convient Me Verdier. Et quand elles sont prononcées par le ministre de l'Intérieur, elles font encore moins rire, souligne-t-il en invitant la justice à ne pas oublier le contexte de la scène.
Quoi qu'il en soit, et sans attendre la décision de justice, Me Verdier avait annoncé en fin de plaidoirie que son client se produirait de toute façon ce jeudi sur scène. Car, a-t-il fait observer, l'arrêté d'interdiction vise un spectacle précis, Le Mur. En d'autres termes, selon lui, Dieudonné pouvait se produire en proposant un programme différent.
Le Figaro - 09 01 14