Le domaine de Versailles est enlaidi par les installation d’Anish Kapoor, et ce jusqu’au 1er novembre 2015. Parmi les objets exposés, le « vagin de la reine » est particulièrement laid et scandaleux. Cet ignare de Kapoor a-t-il pensé à la portée sacrilège de son tas de gravas surmonté d’une tube ? Une occasion pour nous de lire ce magnifique texte de Jacques Trémolet de Villers sur le ventre de la reine :
« Coulent les fontaines de vin et sonnent les cloches de toutes les églises. Flambent les feux de joie dans la nuit des villes et des villages. La nouvelle se répand plus vite qu’aujourd’hui ne la portent les ondes : « Il nous est né un petit roi. »
Nous en sommes certains, puisque l’œuvre s’est accomplie en public, devant les sages, les notables, clercs et laïcs du pays afin qu’aucun subterfuge ne soit possible. Par eux, le royaume tout entier a contemplé, ouvert et nu, ce réservoir sacré : le ventre de la reine. La reine a crié, elle a gémi, elle a mordu ses lèvres, elle a planté ses dents dans le morceau de bois que lui tendaient les médecins, elle a pleuré, et puis, au milieu du sang et de l’eau, un enfant lui est né, un fils lui a été donné.
L’empire est sur ses épaules, la couronne est sur sa tête. Il sera le prince de la paix. Avec lui se fermeront les siècles de fer et renaîtra l’âge d’or.
Qui n’a pas rêvé devant un enfant? Qui ne sait que toute l’espérance du monde est dans un berceau? (…) (L’) homme, devant son fils qui vient de naître, (…) veut que son fils soit heureux. C’est ça l’espérance temporelle. Quand l’enfant est le fils d’un roi, alors c’est tout un royaume qui est dans l’espérance. (…)
En ce temps-là, on fêtait les naissances et l’on pleurait les morts. On se réjouissait aux fiançailles et on faisait la noce aux mariages.
En ce temps-là, on ne comptait pas les bulletins dans l’urne pour savoir qui allait gouverner.
En ce temps-là, c’était le ventre de la reine qui réglait la destinée des nations. Ventre fécond, ventre stérile ? Ventre donnant des filles ou des garçons ? Le roi est abandonné au hasard le plus arbitraire. Tout roi qu’il est, il peut avoir moins de bonheur que le vilain des champs à qui viennent en foule et plus qu’il n’en voudrait, gros garçons et belles filles.
Elle est là, la véritable égalité des chances, au creux du lit, dans les bras d’une femme qu’il n’a pas choisie la plupart du temps, mais que les nécessités du royaume lui ont imposée.
Le roi est un être sacrifié, donné. Il ne s’appartient pas, même dans ses passions. C’est pour cela qu’il est placé si haut et que, comme un évêque du dehors, il est sacré.
Mais avant cette entrée dans l’âge adulte, qui ressemble au commencement des mystères douloureux, il y a, pour lui comme pour les autres, l’enfance. Il y a le berceau, et le lait, les jeux et les sourires. Et encore avant, pendant neuf mois, il y avait eu le ventre de la reine.
Jamais cette civilisation n’aurait pu admettre, ni même seulement imaginer, que l’on fournirait un jour la force de la loi à un avortement volontaire. La reine souffre trop de trop fréquents avortements involontaires. Comment pourrait-elle penser à l’avortement volontaire ?
Les peuples vivaient de leurs rois. Aujourd’hui ils vivent de leurs vedettes, qui sont des rois de substitution. C’est toujours la cour qui donne le ton, qu’elle soit à Versailles ou dans les studios de télévision.
En ce temps-là, il n’y avait pas de politique familiale, car la politique, par nature, était familiale. Au-dessus du roi, la continuité de l’Etat dormait dans le ventre d’une femme.
En ce temps-là, il n’y avait pas de politique féministe car, dans cet Etat qui était une maison, une femme était reine.
Le ressort de la monarchie, c’est l’obéissance; celui de l’aristocratie, c’est l’honneur; celui de la démocratie, c’est la vertu. Ainsi parle quelque part Montesquieu. Rien n’est plus faux. Au moins pour la France. Le seul ressort de notre royaume, c’était l’amour. (…)
Mais, dira un politologue, on ne gouverne pas avec l’amour. Il faut accepter, parfois, de n’être pas aimé. Le roi régnait avant de gouverner et c’est ce qui fait la différence. Et tant pis pour le politologue si le premier conseil de haute politique que saint Louis donne à son fils, au début de son testament, est un conseil d’amour : « Mets ton cœur à aimer Dieu. »
C’est dans le cœur du souverain que réside le bonheur des peuples. Et c’est dans le ventre de la reine que commence à battre le cœur du souverain.
Voici des choses simples, vraies, chamelles, que tout un chacun peut comprendre, et, mieux que comprendre, sentir. Qu’attendons-nous pour retrouver ces rythmes de la nature? S’il n’y a plus de famille royale, il reste des familles, en France. Qu’elles se lèvent, ensemble, pour refaire un État qui soit une maison.
Et si les hommes sont accablés par la honte, la peur et le respect humain, que les femmes prennent l’initiative. L’espérance politique, aujourd’hui comme hier, comme toujours, est dans le ventre des mères. »
Jacques Trémolet de Villers, Les fleurs d’Ulysse, Edition DMM, 1996 (merci à EVR)
NDF