Par Guillaume Tabard
Mis à jour le 10/04/2017 à 19h47
CONTRE-POINT - Après l'affaire Fillon, l'émergence de Macron et la percée de Mélenchon, Marine Le Pen s'était un peu fait oublier. Avec cette polémique liée à une querelle historiographique, la voilà de nouveau au centre de l'arène.
Polémique voulue ou polémique subie? Voilà longtemps en tout cas que le nom d'un dirigeant du Front national n'avait pas été associé à une querelle historique, liée à la Seconde Guerre mondiale de surcroît. C'est bien la preuve que le lepénisme ne change pas, se sont empressés de proclamer ses opposants commençant à s'inquiéter de la trop parfaite réussite de l'opération de «dédiabolisation» lancée par la fille de Jean-Marie Le Pen dès son accession à la tête du FN, en 2010. Mais ce que montre aussi ce débat, c'est que l'anti-lepénisme, lui, ne change pas.
«Négationnisme», «vrai visage de l'extrême droite», «digne fille de son père»… les dénonciations sont venues de la gauche comme de la droite. Or, à aucun moment, la candidate FN n'a nié ou minoré la réalité et l'horreur de la rafle de 13.000 Français juifs conduits au Vél' d'Hiv' par 4500 fonctionnaires de police eux-mêmes français. Elle n'en a pas fait un «point de détail» de l'histoire de la Seconde Guerre mondiale.
En dédouanant la France, en tant que telle, de toute responsabilité, Marine Le Pen n'a fait que reprendre la vulgate gaulliste, maintenue après le général par Pompidou, Giscard et Mitterrand, selon laquelle «Vichy n'était pas la France», celle-ci étant à Londres. Position défendue par un Philippe Séguin ou Jean-Pierre Chevènement après le tournant chiraquien du 16 juillet 1995. «Ce jour-là, la France commit l'irréparable», trancha Jacques Chirac, fixant une nouvelle lecture de cet événement honteux, validée depuis par Nicolas Sarkozy et François Hollande.
Querelle historiographique
Il est légitime de penser que ce débat moral et historique a été tranché. Que Chirac a imposé définitivement la vérité de l'Histoire au détriment du mythe d'une France qui n'aurait rien eu à avoir avec la «parenthèse» de Vichy. On peut aussi s'interroger sur la pertinence qu'il y a à rouvrir ce débat. Mais Marine Le Pen a ranimé une querelle historiographique ; elle n'a pas réveillé le vieux fond d'antisémitisme que certains croient voir subsister au FN. Il est paradoxal d'y voir la volonté de «remobiliser les nostalgiques du pétainisme», comme l'en accuse Jean-François Copé, alors qu'elle reprend la doctrine gaulliste et qu'elle ajoute que la responsabilité française incombe à «ceux qui étaient au pouvoir à l'époque», autrement dit Pétain justement.
Cette polémique pose une double question. Sur Marine Le Pen, d'abord. Elle assure qu'elle n'a fait que répondre à une question qui lui était posée au «Grand Jury RTL-Le Figaro-LCI». Mais après tant d'efforts pour corriger l'image de son parti et se démarquer des propos de son père, était-il si judicieux d'accepter d'aller sur ce terrain de la Seconde Guerre mondiale sachant que, même par amalgame, cela ranimerait les anciens soupçons sur son parti?
Elle pose ensuite une question sur ses adversaires. Car, en voulant réveiller la diabolisation du lepénisme, ils risquent de n'obtenir que sa victimisation. Sur les millions de Français qui veulent voter Le Pen, combien le font par fidélité au pétainisme? Brandir cette filiation peut au contraire être pris pour un déni des vraies motivations de leur vote. Avec l'affaire Fillon, l'émergence de Macron et la percée de Mélenchon, Le Pen en tout cas n'était pas au centre de cette campagne. Voilà longtemps que ça ne lui était pas arrivé. On saura dans moins de deux semaines maintenant pour qui cette polémique fut une aubaine.
Cet article est publié dans l'édition du Figaro du 11/04/2017. Accédez à sa version PDF en cliquant ici