A 56 ans, Alice (à sa demande, son prénom a été changé) dit "haïr la religion depuis l'âge de 13 ans". Elle a grandi dans une famille catholique et, comme beaucoup, a été baptisée quelques jours après sa naissance. Le parcours traditionnel en somme : première communion, communion solennelle, confirmation… et mariage religieux, "pour faire plaisir aux parents". Un chemin sur lequel elle a définitivement fait une croix en mai 2007, en adressant au curé de la paroisse dans laquelle elle a été baptisée, ainsi qu'à l'évêché auquel l'église appartient - celui de Coutances, dans la Manche -, une demande de "débaptisation". "Une demande de renonciation à son baptême, corrige le père Angelo Sommacal, responsable national du département de Pastorale liturgique et sacramentelle. Les gens qui font cette démarche pensent que c'est une question qui relève de la seule Eglise catholique, comme si c'était uniquement le fait des hommes. Le baptême est un acte de Dieu, on ne peut pas le défaire, on peut au mieux le renier. Mais c'est comme si on refusait d'être considéré comme l'enfant de ses parents !" De fait, les "débaptisés" ne sont pas supprimés des registres de baptême, mais une mention indiquant leur souhait de ne plus être considérés comme chrétien est portée en face de leur nom.
En 2007, l'évêché de Coutances a reçu onze demandes similaires à celle d'Alice. Vingt-huit à Metz, six à Annecy, quatre à Tarbes, une quarantaine à Saint-Brieuc… Nos requêtes auprès des 92 évêchés de France métropolitaine ont permis de recenser 241 demandes de renonciation au baptême dans 21 évêchés, en 2007. On estime ainsi que, chaque année, le nombre de lettres de renonciation à la religion catholique avoisinerait le millier en France.
EN RÉACTION À JEAN PAUL II
"Les premiers cas que j'ai connus, c'était au tournant des années 1990", se souvient le père Sommacal. Mais le mouvement s'est vraiment amorcé en 1996, lors de la venue du pape à Reims pour commémorer le 1500e anniversaire du baptême de Clovis. En réaction aux propos de Jean Paul II, "France, qu'as-tu fait de ton baptême ?", des associations telles que Alternative libertaire en Belgique, Vivre au présent à Montpellier, ou le Collectif contre la venue du pape à Reims ont lancé une vaste campagne de débaptisation qui a laissé des traces sur les registres de baptême des différents évêchés : celui de Besançon a reçu 158 demandes cette année-là, contre une vingtaine en 2007.
Aujourd'hui, les modèles de lettre fleurissent sur le Net, accompagnés de cette recommandation : l'envoyer en double exemplaire, à la paroisse de baptême et à l'évêché du diocèse auquel elle appartient, car les registres de baptême sont tenus à ces deux niveaux. C'est sur le site de l'association anarchiste rennaise Subsociety qu'Alice s'est procuré sa demande de débaptisation. Greg, le webmaster du site, a renoncé à son baptême en 2005 et créé ce "débaptisator" dans la foulée : "Il n'y a qu'à remplir un formulaire avec ses nom, prénom, date et lieu de baptême, imprimer la lettre ainsi générée, et timbrer l'enveloppe. J'ai pensé à ce petit script pour relancer la campagne de débaptisation sous une forme simplifiée et légèrement ludique." Le "débaptisator" a été mis en ligne en juin 2005 et utilisé plus de 3 500 fois depuis. "Mais je n'ai aucun moyen de savoir combien de lettres sont réellement arrivées jusqu'aux évêchés. Un bon millier, à mon avis", estime Greg.
Dans certaines paroisses, l'envoi de la lettre peut n'être que le début du "calvaire", la demande de débaptisation se heurtant parfois aux réticences du clergé. "Du côté de l'évêché de Poitiers, je n'ai eu aucun problème, j'ai tout de suite reçu de sa part une photocopie du registre de baptême portant la mention baptisée contre sa volonté , témoigne Anne Monichon, 25 ans. A l'inverse, le curé de la paroisse m'a envoyé un courrier dans lequel il me traitait de tous les noms, me disant qu'il faisait ce qu'il voulait et qu'il ne me demandait pas mon avis."
LIBERTAIRES ET ANTICLÉRICAUX
De même, Gaël Fontana, Brestois de 33 ans, a dû se faire menaçant pour obtenir le gage que l'Eglise ne le considérait plus comme membre de la communauté catholique : "Après avoir envoyé deux lettres sans que ni le curé ni l'évêché ne m'apportent la preuve de ma renonciation au baptême, je leur ai signifié que j'avais fait parvenir mon dossier à la CNIL [Commission nationale de l'informatique et des libertés]. L'effet a été immédiat : la semaine suivante, j'ai reçu deux courriers contenant mon acte de baptême modifié." Les registres de baptême n'échappent pas à la loi informatique et libertés, qui donne le droit de rectifier des données personnelles figurant sur un fichier lorsque y ont été détectées des erreurs ou des inexactitudes. Un argument de poids pour les militants de la débaptisation.
Ces militants sont pour beaucoup des libertaires et anticléricaux de tout poil. Mais pas seulement. Pour le père Sommacal, "ce sont les sectes anticatholiques qui poussent leurs membres à faire cette démarche, afin de manifester leur hostilité à l'Eglise : le mouvement raélien, certains Témoins de Jéhovah…" Ainsi en 2007, deux des neuf demandes adressées à l'évêché d'Arras étaient motivées par l'appartenance aux Témoins de Jéhovah. Et sur son blog, Christian Boury, "raélien et très fier de l'être", indique "comment rédiger votre acte d'apostasie". Dénonçant l'hostilité de l'Eglise aux homosexuels et au préservatif, il conclut : "Il est grand temps pour elle de disparaître…"
Du côté des "débaptisés" moins prosélytes, on trouve aussi des convertis à une autre religion, comme Elodie "Khadija" Essoul, 26 ans. Cette habitante de Poissy (Yvelines) s'est convertie à l'islam en 2006 dans les règles de l'art : "Je suis allée à la mosquée avec une amie, et j'ai fait ma profession de foi devant l'imam et des témoins." Pour se mettre en totale conformité avec sa nouvelle religion, elle a choisi de renoncer à son baptême un an plus tard, même si rien ne l'y obligeait. En toute discrétion : "Pour ma famille, ma conversion était déjà une trahison, alors je n'ai rien dit…".
LE MONDE - 1er août 2008
Il est tout de même plus facile de se faire "débaptiser" que de se faire recoudre un prépuce!
Un juif, un mahométan peuvent-ils se faire "décirconcire"?