Avec ce film présenté hors compétition, la Berlinale a retrouvé l'esprit de confrontation historique et politique qui était sa marque avant la chute du Mur. Il revenait au maître du cinéma polonais de signer le premier film sur le massacre de vingt-deux mille Polonais dont plus de 4 000 officiers dans la forêt de Katyn, perpétré par l'Armée rouge, sur l'ordre de Staline, au début de la Seconde Guerre mondiale. Wajda, qui s'est montré dans toute son œuvre un grand historiographe de son pays, avait, en outre, une raison toute personnelle de vouloir traiter cette tragédie longtemps occultée : son père compte parmi les officiers victimes du crime soviétique (1940).
À 82 ans, il évoque enfin un sujet absolument tabou au temps du communisme, au point que le seul fait d'être apparenté à une victime de Katyn pouvait entraîner l'interdiction de faire des études. «Sur le mensonge de Katyn reposait toute la soumission de la Pologne à Moscou», a dit le cinéaste, qui ne s'exempte pas de ce mensonge imposé, lors de la première de son film à Varsovie, le 17 septembre dernier.
Une date symbolique : c'est le 17 septembre 1939 que l'Armée rouge pénètre en Pologne, quinze jours après que les troupes allemandes sont entrées, à l'ouest, déclenchant la guerre. Le début du film montre ces deux vagues d'invasion militaire qui vont à la rencontre l'une de l'autre pour dévaster la Pologne. Le pacte germano-soviétique est alors en vigueur. Après sa rupture, en 1941, les Allemands, avançant vers l'est, découvriront les charniers de la forêt de Katyn, et révéleront le crime soviétique, que la toute-puissante URSS, désormais dans le camp des alliés, saura étouffer.
Tel est le contexte historique d'un film qui cherche avant tout à retracer des aventures humaines individuelles. «Les faits sont connus et indéniables, dit Andrzej Wajda. Ils appartiennent à l'Histoire. En 1989, Gorbatchev a apporté des documents aussi irréfutables que l'ordre de Staline à Beria d'assassiner les officiers capturés. Et des historiens sérieux avaient déjà établi la culpabilité soviétique. Mon propos n'était donc pas d'établir les faits, mais de leur donner chair et vie, de montrer la dimension humaine des événements, la souffrance de ceux qui les ont traversés.»
À partir de lettres et de journaux intimes authentiques, Wajda a créé divers personnages fictifs d'officiers, leurs femmes qui les attendent, sans nouvelles, leurs enfants qui auront en héritage le silence et le mensonge. Le film, magnifiquement mis en scène et interprété, est puissamment articulé autour de trois dates qui jalonnent clairement cet itinéraire du massacre au mensonge : 1939-1940, avec la double occupation et la capture des officiers par les Soviétiques. 1943, où des haut-parleurs et des journaux diffusent les noms des tués : c'est ainsi que les Polonais apprennent le massacre de Katyn, découvert et dénoncé par les Allemands, et aussitôt retourné par les Soviétiques en «crime nazi». 1945, quand l'imposture atteint la nouvelle génération : on voit un jeune homme refusé à l'université parce qu'il est fils d'un officier disparu à Katyn, et tué peu après. Katyn s'achève en revenant à sa terrible origine : le massacre lui-même, sans merci.
«Je me suis demandé s'il fallait ou non montrer ces images, dit Andrzej Wajda. Et cela m'a paru nécessaire, dans le premier film sur ce sujet. Il ne suffit pas de savoir que cela a eu lieu. Il faut voir, sentir et comprendre comment la tragédie s'est déroulée. Parce que cela a été interdit pendant des années, et qu'on a besoin de la vérité.»
À la table de la conférence de presse, les acteurs, tous remarquables, pour qui la guerre est un passé lointain, et même le communisme, appuient le cinéaste avec ensemble : «Nous sommes ces enfants à qui on a menti, et qui étaient incapables de comprendre notre histoire, la destruction des élites, la tragédie vécue par nos aînés. Wajda nous a ouvert le cœur et la conscience.»
Le Figaro - 15 février 2008