Après un an de débats, le projet loi « d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure », dit Loppsi 2, a été définitivement adopté le 8 février par le Parlement. Fixant les grandes orientations des forces de l’ordre pour les années à venir, le texte a été l’objet de vifs échanges entre la majorité et l’opposition. La droite n’y voit qu’un texte « pragmatique » et « ambitieux ». Mais les malfrats peuvent être sereins : car derrière le rideau de fumée sécuritaire, Loppsi 2 s’attaque d’abord à notre liberté… d’expression.
Texte phare du quinquennat de Nicolas Sarkozy en matière sécuritaire, Loppsi 2 aura mis quatre ans à être adoptée par le Parlement. C’est Michèle Alliot-Marie qui avait commencé les travaux fin 2007 avant de passer le relais à son successeur place Beauvau, Brice Hortefeux. La version définitive adoptée le 8 février a subi quelques modifications après le discours de Nicolas Sarkozy à Grenoble en juillet dernier. Et si le texte recouvre des domaines aussi différents que la cybercriminalité, les fichiers policiers, la vidéosurveillance, les supporters ou encore le permis à points, Loppsi prend bien soin de ne pas s’attaquer à la racine de la délinquance, l’immigration par exemple.
D’ailleurs, le volet « justice » de Loppsi 2 ne propose que quelques ajustements aux lois déjà existantes : peine plancher – entre dix-huit mois et deux ans – pour des violences aggravées passibles de sept à dix ans de prison, allongement de la période de sûreté pour les meurtriers de personnes dépositaires de l’autorité publique et extension de la surveillance judiciaire, notamment via le bracelet électronique.
Une seule mesure va réellement dans le bon sens : celle donnant la possibilité pour un jury d’assises de prononcer une peine d’interdiction du territoire contre un criminel étranger.
Car outre le fait que ces mesures semblent dérisoires face à l’explosion de la délinquance, Loppsi 2 pose un problème éthique : peut-on, au nom de la lutte contre l’insécurité, promouvoir un système de surveillance généralisé ? Autrement dit, doit-on sacrifier la liberté ? La réponse de Bruno Gollnisch, que l’on ne peut guère soupçonné de dérive gauchisante est claire : « Loppsi 2 rend visible des dérives inquiétantes dans le contrôle et le flicage du citoyen lambda. » Avec Loppsi 2, c’est moins de liberté pour au moins autant d’insécurité !
De faux prétextes pour un vrai flicage
L’un des cibles prioritaires de ce texte est en effet Internet. En quelques années, la toile est devenue l’un des derniers espaces de liberté dans les démocraties occidentales et un véritable contrepoids face aux intoxications médiatiques. Alors Nicolas Sarkozy, avec Loppsi 2 qui vient s’additionner à la loi Hadopi, réalise un peu plus son rêve de « civiliser » internet. Et sous couvert de lutte contre la pédopornographie « en augmentation constante sur internet », l’Etat essaie un peu plus de contrôler la toile.
Ainsi, si on peut se féliciter de l’obligation faite aux fournisseurs d’accès de bloquer les images à caractère pédophile, il ne faut pas être naïf. Au delà des sites pédophiles, il s’agit avant tout d’une « reprise en main politique d’Internet » comme le souligne l’organisation à la pointe de la lutte contre Loppsi 2, la Quadrature du Net [1]. La manière dont sera appliquée l’article 4 de Loppsi laisse en effet songeur : les sites incriminés le seront par une « autorité administrative », comme l’Office de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication, et ceci sans aucune décision préalable d’un juge ! La « liste noire » des sites à filtrer restera secrète, et rien ne garantira que seuls les sites pédopornographiques y figureront et que l’Etat ne profitera de cette mesure pour censurer quelques sites politiques trop véhéments à son encontre.
Car ce qui inquiète de nombreux professionnels d’internet, c’est que l’article 4 de Loppsi 2 modifie l’article 6 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN). Ce dernier oblige les « personnes dont l’activité est d’offrir un accès à des services de communication au public en ligne » à « concourir à la lutte contre la diffusion » de contenus faisant « l’apologie des crimes contre l’humanité, de l’incitation à la haine raciale ainsi que de la pornographie enfantine ». Et là, sans décision judiciaire on tombe dans l’arbitraire le plus total, car en refilant la patate chaude de la gestion des contenus illicites, non plus à la justice, mais aux fournisseurs d’accès et aux « autorités administratives », les abus de censure risquent d’être nombreux ! Et il y a fort à parier que les sites tout simplement politiquement incorrects seront les premières victimes (comme récemment Fdesouche et Novopress).
Pour les fournisseurs d’accès à internet, l’équation est simple : tout ce qui ne va pas dans le sens de la pensée unique sera suspect et donc susceptible d’être interdit. D’ailleurs, l’article 34 de Loppsi 2 permet désormais aux enquêteurs de participer « sous un pseudonyme aux échanges électroniques », en clair d’infiltrer les forums de discussion et d’échanger des courriels avec les auteurs de messages faisant l’apologie d’actes terroristes sur Internet ou incitant « au racisme, à la discrimination, au sexisme ou à l’homophobie ». Les enquêteurs auront tout pouvoir pour traquer les auteurs de tels messages et les faire condamner.
Julien Roussel
[1] www.laquadrature.net/fr
Voir aussi « Touche pas à mon Net » :
www.touchepasamonnet.com
Article extrait du numéro 2500 de l’hebdomadaire Minute à paraître demain
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23/02/11