Un emballage de plat préparé Findus, commercialisé en Angleterre, le 8 février 2013 (S.HEPPELL/SIPA).
Shocking ! Les Anglais ont mangé du cheval sans le savoir. Eux qui passent 360 jours par an dans leurs hippodromes et qui considèrent les pur-sang, poulains et autres yearlings comme "la plus noble conquête de l'homme" poussent des cris d'orfraie parce que l'on a trouvé des traces de cheval à la place du bœuf dans des paquets de lasagnes congelées.
Alors, certes, il y a eu fraude, à l'évidence. Mais s'il y a eu tromperie sur la marchandise, tout de même, ce n'est pas un scandale sanitaire comparable à celui de la vache folle. Les autorités de tutelle doivent enquêter, punir les fraudeurs, nettoyer la filière. Pourtant, au risque d'aller à contre-courant, il me semble que l'on est en train de monter cette affaire en épingle.
La traçabilité en question
Cette affaire est en train de devenir un scandale européen, sinon mondial, qui mobilise les gouvernements français et britannique, mais qui fait aussi la une de l'ensemble des médias du "vieux continent".
Pourtant, l'affaire en elle-même semble en grande partie résolue alors qu'elle prend encore des proportions inimaginables et que certains en rajoutent, n'hésitant pas à évoquer un scandale de santé publique là où il ne semble y avoir qu'une simple fraude de la part d'intermédiaires malhonnêtes.
On dit que la traçabilité de la viande est difficile. Pourtant, les autorités de part et d'autre de la Manche sont parvenues, en 24 heures, à remonter la filière et à découvrir que cette viande, d'origine roumaine, aurait transité par des "traders" hollandais et chypriotes avant d'être rachetée par un fournisseur du sud de la France.
On ajoute que ce scandale rappelle celui de la vache folle, mais c'est oublier un peu vite qu'il n'y a pas cette fois de contamination, par exemple avec des farines animales. Dans ce cas précis, il s'agit d'une simple arnaque qui porte sur un étiquetage mensonger : la viande vendue comme d'origine bovine était en partie d'origine équine.
Une viande consommable
Or, la viande de cheval est toujours consommée en France même si la tendance est plutôt à la baisse. Je me souviens que dans mon enfance, mes parents fréquentaient la boucherie chevaline afin, disaient-ils, de favoriser ma croissance. Vérification faite, cette viande est riche en fer et peu grasse, et continue d'être recommandée pour les adolescents.
Dans ma petite commune, près d'Angers, le boucher chevalin continue de faire des affaires, fréquenté par les "anciens" qui n'ont pas cédé à la mode. Et la viande de cheval semblait même avoir de beaux jours devant elle puisque l'année 2013 aurait dû consacrer son grand retour dans nos assiettes... s'il n'y avait pas eu cette affaire de lasagnes.
On nous dit aussi qu'il s'agit là d'un scandale qui toucherait l'ensemble de la filière bovine. Mais il semble, dans l'état actuel de l'enquête, que l'affaire soit limitée à une escroquerie dont on connaît déjà plus ou moins les contours : cette arnaque aurait rapporté autour de 300.000 euros aux fraudeurs, une somme qui est certes importante mais qui ne pèse rien dans cette industrie de la viande qui brasse des milliards d'euros.
Raisonner le consommateur
Alors, certes, s'il ne faut pas prendre cette fraude à la légère, il convient de garder son sang-froid tout en prenant les mesures nécessaires. Car cette histoire de lasagnes à la viande de cheval apporte la preuve que les contrôles sont insuffisants, notamment quand il s'agit de viande congelée. Le fournisseur français utilisait d'ailleurs cet argument sur France Info pour expliquer ce lundi qu'il ne peut effectuer d'auto-contrôles sans décongeler ses steaks, et donc sans les rendre impropres à la consommation. Il faudra bien trouver une solution.
Stéphane Le Foll, ministre de l'Agriculture, entend désormais "nettoyer" la filière de la viande, et la rendre plus transparente. On peut se demander s'il ne convient pas de remettre en question les procédés de la grande distribution.
En France, quelques centrales d'achat, qui se comptent sur le doigt d'une seule main, parviennent, faute de réelle concurrence, à imposer des prix toujours plus bas à leurs fournisseurs. D'où parfois la tentation de la fraude.
Enfin, on peut s'interroger sur la financiarisation de la viande et l'ouverture de ce marché à toute l'Europe et même au monde entier. Désormais, les intermédiaires sont des "traders" qui ne voient même plus la viande qu'ils bradent à travers la planète.
C'est d'autant plus révoltant que la France est un grand pays producteur et exportateur de viande. On peut alors, à l'occasion d'un tel scandale, rêver d'une consommation raisonnée de bœuf, de porc ou de cheval, à condition d'être prêt à payer un peu plus cher. Car être "locavore" a un prix. On en revient au fameux "made in France".
Le Nouvel Observateur