Cette suite de recensions se propose de remettre en lumière des textes dont tout « honnête homme » ne peut se dispenser. Ces choix sont subjectifs et je les justifie par le seul fait d’avoir lu et souvent relu ces livres et d’en être sorti enthousiaste. Ils seront proposés dans le désordre, aussi bien chronologique que spatial, de manière délibérée. A vous de réagir, d’aller voir et d’être conquis ou critique. En tout cas, bonne lecture !
*** Les trois précédents “MEMORABLES” sont Thomas Hardy – Le Maire de Casterbridge, Charles de Coster – La légende d’Ulenspiegel au pays de Flandre et ailleurs et Liam O’Flaherty – Insurrection.
Alphonse de Châteaubriant
La Brière
Alphonse de Châteaubriant (1877 -1951) est un écrivain tombé aujourd’hui dans un relatif purgatoire. D’avoir dirigé La Gerbe durant l’Occupation fit de lui un réprouvé. Pourtant, un fin lettré comme François Mitterrand dont on connaissait les goûts pour des écrivains provinciaux ou régionalistes – dont un certain Jacques Chardonne – ne cachait pas son admiration pour le talent de prosateur de Châteaubriant. Les bibliophiles continuent à rechercher ses œuvres du fait de la qualité de son style et de celle de ses illustrateurs, parmi lesquels Mathurin Méheut ou René-Yves Creston qui ont rehaussé ses livres comme La Brière, son chef d’œuvre.
Châteaubriant devait y travailler trois ans, le plus souvent dans sa demeure de Piriac (Loire-Atlantique), « au point que mes doigts en sentent la vase », écrira-t-il. D’abord publiée en janvier 1923 dans la Revue Universelle dirigée par Jacques Bainville et Henri Massis – deux maurrassiens pourtant très éloignés de ses idées – La Brière se voyait décerner en mai le Grand prix du roman de l’Académie française, douze ans après le Prix Goncourt qui avait couronné son Monsieur des Lourdines. Mis en librairie début juin par Bernard Grasset son éditeur, le roman atteignait une vente de 80.000 exemplaires en un mois. Les articles affluaient, la critique unanime criait au chef d’œuvre, de l’Humanité (« Un très beau livre puissant et sombre ») au Figaro (« Un curieux et ample roman qui fait songer à Barbey d’Aurevilly ») ou au Petit Parisien (« un livre qui vient du peuple et va au peuple »).
Son ami Romain Rolland lui écrit : « Maintenant ton nom est inscrit dans l’histoire littéraire de France, il ne dépend plus de personne de l’effacer ». La Brière allait connaître le plus fort tirage de l’entre deux guerres, plus de 600 000 exemplaires. Traduite en 1924 en allemand, puis en anglais, cette œuvre va être exploitée par 26 éditeurs différents et rééditée durant 70 ans. Elle fut adaptée à l’écran par Léon Poirier. Le film sortit en salle en 1925 accompagné d’une musique du compositeur breton Paul Ladmirault.
Dans ce roman, le héros c’est la nature, les paysages qui finissent par l’emporter sur les personnages comme dans les récits panthéistes de Giono. La terre et l’eau sont étroitement mêlées dans un brouillard tenace. Châteaubriant a su aussi donner à son roman la grandeur d’une tragédie antique où le personnage principal incarne l’esprit de liberté jusqu’à l’intolérance et au meurtre.
A la fin du XIXème siècle, Aoustin dit Lucifer, garde chasse du marais et de ses tourbières dont les réserves s’épuisent, refuse l’avenir, l’exode des Briérons vers les forges de Trignac ou les chantiers de Saint-Nazaire. Pour sauver les privilèges de sa patrie aquatique, des droits immémoriaux reconnus à « leurs paroisses », il lui faut retrouver l’original des lettres patentes accordées par le duc de Bretagne François II en 1461. Il va les rechercher pendant quatorze mois, par tous les temps, d'île en île, de masure en masure. Son marais est sa réserve, « il est plus que nous » déclare-t-il. « Sans Brière avec ses lois, pas de briérons ; sans briérons avec leur joug pas de Brière. Car les deux se tiennent. Si l’un manque, tout est décousu… C’est la Brière qui commande… et gare dessous ! ». Un autre drame s’ajoute pour Aoustin : sa fille Théotiste, soutenue par sa mère, le trahit en voulant épouser Jeanin, un vannier de Mayun qui n’est pas du marais. La loi du clan interdit l’exode : « Marie-toi à ta porte, avec des gens de ta sorte… ». Il poussera sa fille au suicide. Dans les trois dernières lignes il prend la stature d’un héros de Dostoïevski. « Va-t-en …, je te pardonne » lance-t-il à Jeanin qu’il gardait prisonnier, pour lui faire payer la mort de Théotiste.
Dominique Venner voit en Aoustin « un des personnages les plus forts de la littérature contemporaine ». Pour l’abbé Maugendre, biographe de Châteaubriant, Aoustin « a les traits de Jacquou le Croquant… plus sollicité par le grand Pan que par le dieu chrétien ».
L’époque de La Brière est datée avec précision, son cadre géographique strictement limité : « dix mille hectares de silence et de nudité, un immense lotus bleu épanoui au milieu du cirque de l’atmosphère » comme le décrivait Châteaubriant ; pourtant son roman semble intemporel et retrouve les grandes généralités de l’âme humaine. La Brière reste, comme l’a écrit Romain Rolland, « un chef d’œuvre unique en notre temps d’art classique français ». Quinze après la mort d’Alphonse de Châteaubriant, Pol Sigaud écrivait dans Bretagne Magazine : « Il appartient dans l’histoire littéraire du XXème siècle au patrimoine breton ; à ce seul titre il mérite d’être sorti de l’exil intellectuel dans lequel ‘ on’ le tient. »
Claude Bily pour Novopress Breizh
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