Plusieurs déclarations contradictoires en une journée. Jeudi 27 juillet, l'Elysée a rétropédalé lors de la présentation de sa politique migratoire. Après avoir annoncé sa volonté d'ouvrir des "hotspots" en Libye "dès cet été", le chef de l'Etat a indiqué que ce projet n'était "pas possible aujourd'hui", mais que des "missions de l'Ofpra", l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides, seraient envoyées "sur les 'hotspots' italiens" et "sur le sol africain, dans les pays sûrs".
Ces centres d'examen pour les candidats à l'asile représentent-ils un mirage ou une vraie solution capable de résoudre la crise migratoire ? Pour l'heure, cinq "hotspots" ont été créés en Grèce et quatre ont ouvert en Italie. Il s'agit en fait de centres situés aux frontières, dans lesquels les autorités enregistrent les migrants, prennent leurs empreintes et tentent de faire la distinction "entre demandeurs d'asile et non demandeurs d'asile", explique Judith Sunderland, experte en migrations à Human Rights Watch, contactée par franceinfo.
Seulement, le principe même de cette différentiation fait polémique. "Pour les institutions européennes, les 'hotspots' sont des centres d’identification à l’arrivée. Pour nous, les 'hotspots' sont des centres de tri des personnes à la frontière", résume à franceinfo Marine De Haas, responsable des questions européennes à la Cimade, une association qui aide les étrangers à faire reconnaître leurs droits.
Au cœur de cette polémique, le distinguo entre migrants politiques et migrants économiques. "Les 'hotspots' font le tri entre les 'gentils' Syriens qui seront relocalisés, et migrants économiques qui, je caricature à peine, n’auraient aucune raison de venir en Europe", fustige Marine de Haas, qui juge cette démarche "contraire à la convention de Genève". "Nous avons toujours eu des migrants économiques qui se sont installés en France", rappelle également Corinne Torre, cheffe de mission à Médecins sans frontières (MSF), contactée par franceinfo.
Pourtant, la différence entre migrants économiques et réfugiés est au fondement de la politique migratoire d'Emmanuel Macron. "C’est cette grammaire qu’il nous faut expliquer à nos concitoyens et qu’il nous faut traduire en actes", a expliqué le président de la République, jeudi 27 juillet. Lors de son déplacement à Orléans (Loiret), il a indiqué sa volonté d'envoyer des "missions de l'Ofpra" en Italie et en Afrique "dans les pays sûrs" pour "traiter des demandeurs d'asile". Objectif affiché de cette gestion délocalisée des demandes d'asile : "éviter" aux migrants concernés de devoir traverser la Méditerranée et ainsi "de prendre des risques inconsidérés".
"Cette annonce du président de la République marque une compréhension de la réalité des flux migratoires, notamment des immigrations qui se produisent en Europe et en France", estime auprès de franceinfo Gérard-François Dumont, professeur à la Sorbonne et auteur de Géopolitique de l'Europe. Rappelant que "toute immigration est précédée d’une émigration", le chercheur considère que "la question de l’immigration doit être traitée avec les pays d’origine, ce que l’on a totalement oublié de faire dans le cas de la migration de la Syrie et de l'Irak ces dernières années".
Selon lui, l'ouverture de "hotspots" en Grèce "n’était absolument pas logique". Sans voir dans les annonces du chef de l'Etat une solution miracle, il espère que la mise en œuvre de la politique d'Emmanuel Macron permettra de réduire le nombre de morts en Méditerranée.
En ce qui concerne la grande migration qui s'est produite jusqu'en mars 2016 via la Turquie, j’ai toujours considéré que les dossiers des migrants auraient pu être étudiés dans les consulats français du Liban, de Jordanie ou de Turquie.
Gérard-François Dumont
à franceinfo
Emmanuel Macron est resté assez flou sur la manière dont il souhaiterait voir traitées les demandes d'asile sur territoire africain. "Si l’idée, c’est d’augmenter la capacité des consulats à délivrer des visas d'asile, pourquoi pas", concède Marine de Haas, qui estime par ailleurs qu'une telle mesure ne devrait pas donner un blanc-seing aux pays d'immigration pour "empêcher les migrants de venir par leurs propres moyens" et par des "voies légales". "Mais si l’idée, c’est de délocaliser des missions de l'Ofpra sur sol africain, ce n'est même pas envisageable", affirme-t-elle, arguant que la vocation de l'Ofpra est d'opérer en France.
La France externalise le traitement de l’accueil et se dédouane un peu de ses responsabilités sur ce plan-là, sachant que c’est déjà le cas, car l’Europe n’accueille qu’une petite proportion des migrants dans le monde.
Marine De Haas
à franceinfo
Autre argument développé par les opposants aux "hotspots" : l'examen des demandes d'asile hors des frontières de l'Europe ne découragera pas les migrants de risquer leur vie pour fuir leur pays, et n'empêchera donc pas "l'appel d'air" tant craint par les responsables politiques des pays d'accueil. "Ça ne marche pas de fixer des populations contre leur gré à un endroit", constate Marine de Haas.
Plus on ferme l’accès au territoire, plus on crée d’obstacles, plus les routes deviennent longues, dangereuses et mortelles, et cela se vérifie sur le nombre de morts en Méditerranée.
Marine De Haas
à franceinfo
De son côté, Corinne Torre, de Médecins sans frontières, déplore la tenue, par le chef de l'Etat, d'un "discours protectionniste" et conclut : "Tous les pays européens sont plutôt dans la fermeture des frontières, je trouve ça affligeant."
Si la traversée de la mer Méditerranée est particulièrement dangereuse pour les migrants qui transitent par l'Afrique du Nord pour rejoindre l'Europe, les "hotspots" ne sont pas non plus sans risque pour les migrants. Selon Corrine Torre, "comme les migrants sont bloqués [dans les "hotspots"] après un parcours migratoire extrêmement compliqué, ils sont traumatisés et beaucoup souffrent de problèmes de santé mentale." Sur place, les travailleurs sociaux sont "débordés" et trop peu nombreux, déplore-t-elle. Les soins ne sont pas délivrés de manière optimale et les migrants souffrent d'un "manque d'orientation".
Judith Sunderland indique que l'ONG Human Rights Watch n'est "pas opposée, en théorie, à l’idée de réaliser des examens de demandes d'asile hors du territoire et dans des centres dans des pays africains, pour ensuite relocaliser les personnes ou réinstaller les réfugiés en Europe". Mais si elle note qu'"en théorie, cela peut éviter des voyages dangereux" aux migrants, "on a constaté des abus de droits dans les 'hotspots'" : migrants non informés de leurs droits, trafics, mauvaise identification des personnes... Sans compter que l'envoi de missions de l'Ofpra en Libye ou au Niger signifierait, selon Judith Sunderland, "l’absence absolue de sécurité également pour les fonctionnaires français".