Dorénavant la chancelière, Angela Merkel, devra tendre un doigt humecté, pour déterminer d'où vient le vent, avant de recevoir ses invités de marque au château de Meseberg. S'ils se risquent à y séjourner, Nicolas Sarközy, Barack Obama ou Dmitri Medvedev devront composer avec de nouveaux voisins fort malodorants et bruyants : les 1 476 cochons «fraîchement» installés dans une porcherie aux portes du «Schloss Meseberg» et la cohorte de mouches les accompagnant.
La polémique liée à l'arrivée des cochons a fait monter la fièvre à Meseberg, un village rural du Brandebourg de 155 habitants. Situé à soixante kilomètres au nord de Berlin, en ex-RDA, au bord d'un lac, dans un environnement idyllique, le château baroque décati par quarante ans de régime communiste a été rénové à grands frais par la fondation Messerschmidt. Après y avoir investi 25 millions d'euros, la fondation a cédé le bail du château à la République fédérale, en 2007, moyennant un loyer d'un euro symbolique par an, pour qu'elle y loge les chefs d'État invités en Allemagne. Chirac, Bush et Barroso y ont déjà séjourné.
Président de la très influente fondation Messerschmidt, Hans Heinrich von Srbik, a tout tenté pour empêcher le débarquement des cochons, qui doivent s'installer ces jours-ci dans la porcherie désertée en 2006 après l'effondrement des cours de viande porcine. En vain. Il ne décolère pas.
«Je suis dans une colère pestilentielle, tient à préciser cet ancien banquier autrichien aux tempes argentées. Parce que l'on va mettre cette cochonnerie sous le nez des invités d'État. Le Brandebourg compte des milliers de porcheries vides. Pourquoi doit-on précisément remettre en activité celle qui est collée à un lieu qui est la carte de visite de l'Allemagne ? Quelle image donnons-nous ?»
En comptant la construction de l'hôtel adjacent au château de Meseberg, sa fondation a investi quelque 45 millions d'euros au total. Les porcs éliront domicile à seulement 750 mètres de la résidence d'État. «Autant dire aux portes du château, le moindre coup de vent sera fatal», se lamente von Srbik, qui redoute les odeurs, mais aussi les risques bactériologiques, infligés aux invités du gouvernement allemand et aux touristes logeant à l'hôtel. Christin Zehmke, maire de la commune, est inquiète elle aussi. Sa grand-mère a travaillé au restaurant du château à l'époque de la RDA, lorsque la porcherie était encore en activité. «J'ai surtout peur à cause des mouches géantes», affirme cette femme dont les parents s'étaient mariés au château… «Chaque part du gâteau des mariés hébergeait au moins une mouche.»
Les élus locaux affirment qu'il était impossible d'interdire la remise en service de la porcherie. Située en plein cœur d'une région agricole, celle-ci dispose de toutes les autorisations requises. Dépendante de l'agriculture, la grande majorité des habitants de Meseberg affirme d'ailleurs ne pas comprendre de quel droit on pourrait interdire à un éleveur d'exercer son activité dans leur village. Morgan Nielsen, l'ex-propriétaire danois, reste totalement hermétique au désespoir de la fondation Messerschmidt : «Les paysans dérangent toujours quelqu'un.»
Il dit ne pas comprendre la colère de von Srbik. L'argent investi ? «Et alors ! Est-ce que monsieur von Srbik a acheté la ville entière», s'emporte-t-il. Nielsen se dit persuadé que la puanteur ne sera pas si terrible. Et de rappeler que les cochons font aussi parfois de formidables animaux de compagnie...
Le Figaro - 19 juin 2009