STRASBOURG (Conseil Europe) — L'Italie, appuyée par une dizaine de pays, a appelé mercredi la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) à revenir sur une décision réclamant le retrait des crucifix dans ses écoles publiques, susceptible de faire jurisprudence dans toute l'Europe.
"Le crucifix est un symbole passif sans rapport avec l'enseignement qui est laïc", a expliqué devant la Cour Nicola Lettieri, le représentant du gouvernement italien, à l'audience d'appel dans une salle bondée.
"Où est l'endoctrinement et où est l'atteinte aux droits ? On ne soustrait pas les enfants aux convictions de leurs parents", a-t-il affirmé, concluant que "si le crucifix est l'expresssion d'une tradition chrétienne, l'Italie n'est pas prosélyte".
Dans un arrêt rendu en novembre 2009, la CEDH avait jugé la présence du crucifix dans les écoles publiques italiennes "contraire au droit des parents d'éduquer leurs enfants selon leurs convictions et au droit des enfants à la liberté de religion et de pensée".
Rome avait immédiatement contesté ce jugement. La décision des juges, saisis à l'origine par la mère de deux élèves scolarisés dans le public, avait suscité un tollé dans la péninsule. Elle avait aussi été contestée dans d'autres pays qui n'ont pas rompu avec les symboles religieux, souvent par tradition.
Depuis 1984, le catholicisme n'est officiellement plus religion d'Etat en Italie, mais une ordonnance, adoptée sous le fascisme et imposant la présence de crucifix dans les écoles, n'a jamais été abolie.
La décision définitive des juges de Strasbourg, dans quelques mois, sera contraignante pour l'Italie si elle confirme le premier jugement. Elle pourrait alors faire jurisprudence dans les 47 pays du Conseil de l'Europe, si des parents d'élèves exigent le retrait de crucifix là où ils sont toujours installés.
Devant cette perspective, une dizaine de pays sont intervenus mercredi pour appuyer la position du gouvernement italien. Leur conseil, le professeur de droit américain Joseph Weiler, a mis en garde contre "une américanisation de l'Europe avec une règle unique qui serait contraire à la variété des constitutions" des Etats.
"Les pays ont aussi le droit de se définir par rapport à un patrimoine religieux", a-t-il lancé en rappelant la présence de croix sur des drapeaux et des monnaies.
"Le crucifix est à la fois un symbole national et religieux", a-t-il argumenté au nom de huit pays (Arménie, Bulgarie, Chypre, Grèce, Lituanie, Malte, Russie et Saint-Marin).
"En Europe, tous les enfants, athées ou croyants, apprennent que le droit de croire comme celui de ne pas croire est une réalité", a ajouté M. Weiler. "Les Britanniques qui entonnent "God save the Queen" ne sont bien sûr pas tous des croyants", a-t-il fait valoir.
Evoquant la plainte de Mme Lautsi, il a asséné qu'elle "veut imposer à l'Italie l'abandon du crucifix" mais "il n'y a pas de devoir de laïcité qui s'imposerait en Europe".
L'avocat de Mme Lautsi, Me Nicola Paoletti, a souligné pour sa part que sa cliente agissait en tant que "laïque" et non en tant qu'"athée". "Elle ne s'est jamais exprimée contre la religion catholique. Elle veut élever ses deux enfants scolarisés dans le principe de laïcité", a-t-il déclaré.
"Or dans les écoles publiques, les enfants peuvent penser que l'Etat s'identifie à cette religion, et s'ils ne sont pas catholiques, ils peuvent se sentir en minorité et en souffrir", a-t-il conclu.
AFP. 30 juin 2010