Quelle leçon tirez-vous des événements en Égypte ?
Marine Le Pen : Comme dans plusieurs pays arabes, on voit qu'il existe une fracture entre deux projets de société. L'un qui va vers la modernisation et la laïcité. Et un autre projet qui est islamique. Ils sont incompatibles, ce qui va rendre ces pays structurellement instables. Cela devrait amener l'Europe à revoir sa copie. La démocratie ne suffit pas à résoudre la question lorsque deux projets incompatibles se heurtent. Ceci conduit à la guerre civile. Et il ne faudrait pas qu'en France, un jour, s'affrontent également deux projets de société.
En l'occurrence, c'est plutôt vous qui incarneriez un projet traditionaliste...
M.L.P. : Oui, la culture européenne est de tradition chrétienne. C'est incontestable. Comme tout peuple, nous avons le droit de défendre cette identité, même si l'Europe essaye de nous expliquer le contraire.
Le Parlement européen a levé votre immunité parlementaire. Redoutez-vous que soit prononcée contre vous une peine d'inéligibilité ?
M.L.P. : Si vraiment il était envisagé de me condamner à une peine d'inéligibilité pour un délit d'opinion, je vous engage à parier l'intégralité de votre patrimoine sur mon élection à l'Élysée en 2017 ! Non seulement, je pense que je ne serai pas condamnée, mais je suis convaincue de pouvoir faire condamner l'association qui, avec la complicité de députés du Parlement européen, se sert des lois françaises pour mener contre moi un combat politique.
Au nom du principe de la liberté d'exception, Daniel Cohn-Bendit a voté contre la levée de votre immunité. Vous le remerciez ?
M.L.P. : Je n'ai pas à le faire. Quand il a lui-même bénéficié de son immunité lorsqu'il était poursuivi pour avoir caché le terroriste allemand Hans-Joachim Klein, cela me paraît la moindre des choses qu'il s'attache à faire respecter le même principe à ses adversaires. Ou alors, on n'est plus en démocratie.
N'y a-t-il pas de l'extrémisme dans vos propos quand vous évoquez l'occupation allemande lorsqu'il s'agit de prières dans les rues ?
M.L.P. : Qui détermine l'extrémisme ? Vous, la presse ? L'Assemblée nationale ? Il s'agit de liberté d'expression. Un principe qui permet de ne pas dire, tous, la même chose. Un principe qui vous amène à accepter que quelqu'un puisse exprimer une pensée différente de la vôtre et même une pensée contre laquelle vous vous battez. C'est ça, la liberté d'expression ! Je maintiens mes propos. Les Français, dans leur immense majorité, sont d'accord avec moi. S'il devait y avoir procès, cela me permettra de parler à nouveau de la laïcité bafouée.
Le débat sur le mariage pour tous a-t-il rapproché les électeurs des différents partis de droite ?
M.L.P. : Non. L'UMP a tenté de tirer un bénéfice politique de ce débat. Elle a échoué. La fracture droite-gauche qui plaît tellement au PS et à l'UMP n'a duré que le temps de quelques semaines. La collusion UMP-PS est de nouveau totale.
Vous n'avez pas participé aux manifestations. Ça ne vous a pas affaibli au sein de votre parti ?
M.L.P. : Au contraire. Certains avaient mal compris ma décision dans un premier temps. Mais les études d'opinion montrent qu'à la réflexion, ils me donnent raison d'avoir pris de la hauteur à l'occasion de ce débat. Pour preuve, ces études démontrent que j'atteins le maximum de confiance au sein de mon propre parti, mais aussi chez des électeurs qui ne votent pas FN.
Les responsables UMP affirment ne pas vouloir faire alliance avec vous, parce que vous voulez la mort de l'UMP. C'est votre objectif ?
M.L.P. : C'est surtout le FN qui a décidé de refuser toute alliance avec un parti qui, dans ses idées, diverge fondamentalement avec nous. En revanche, il est sûr que beaucoup de cadres locaux de l'UMP sont de plus en plus nombreux à se rapprocher de nous et à accepter de participer à des rassemblements Bleu Marine.
Nicolas Sarkozy va participer au Bureau Politique de l'UMP. Vous redoutez son retour ?
M.L.P. : C'est tout de même naturel qu'il vienne à l'UMP à la suite de la décision du Conseil constitutionnel qui le rend, lui, redevable de 11 millions d'euros pris en charge par son parti ! Mais j'ai l'impression que les journalistes tirent des conclusions un peu hâtives de sa présence. De toute manière, je n'ai pas à redouter son éventuel retour. La montée la plus spectaculaire du Front National s'est enclenchée pendant le quinquennat de Nicolas Sarkozy. Il n'a pas représenté une gêne pour notre mouvement.
Le Conseil constitutionnel a pris une bonne décision à son égard ?
M.L.P. : Je suis avocat. Je n'ai pas à juger. En revanche tout ce qui a été dit par ses amis n'a aucun sens. Un dépassement, même de 2%, entraîne un non-remboursement total. C'est vrai pour tous les candidats, y compris aux législatives. C'est une règle brutale, mais acceptée par tout le monde. De plus, je crois que l'UMP n'est pas aussi en danger qu'elle le prétend. Son siège a une valeur de 40 millions. Elle reçoit 20 millions de subventions par an. Elle peut sans problème étaler les conséquences de cette perte exceptionnelle sans que cela mette en cause son existence comme le prétendent ses responsables.
Dans l'adversité, l'UMP pourrait se ressouder...
M.L.P. : Un mouvement politique ne meurt pas du manque d'argent. Il meurt du manque d'idées et c'est le cas de l'UMP. Elle est en train de mourir de sa proximité idéologique avec le PS. Elle est devenue un syndicat de défense des intérêts électoraux où on ne parle plus que de postures, de tactiques et de combats de personnes. Je crois que les municipales vont démontrer l'implosion effective de l'UMP.
Une grosse différence entre vous et l'UMP porte sur l'euro. Elle veut le garder. Vous voulez l'abandonner.
M.L.P. : Bien plus que ça, la différence porte sur l'Europe. Sur l'idéologie qui en est le socle, cette idéologie mondialiste, libre-échangiste, ultralibérale. Oui, un gouffre nous sépare ! Sur l'Europe, l'UMP partage la vision du PS concernant le fédéralisme européen, la défense de la puissance allemande, la soumission de la France aux États-Unis, la perte de souveraineté. Il va y avoir un grand débat au moment des élections européennes.
Aujourd'hui, les chaînes de production sont globales. Dans les produits français, on trouve beaucoup d'éléments en provenance de l'étranger !
M.L.P. : Il ne s'agit pas de vivre en autarcie. Mais les échanges doivent être équilibrés. Nous ne devons pas nous soumettre à la loi de la jungle et à cette concurrence déloyale qui détruit notre économie, fabrique du chômage de masse et provoque l'appauvrissement généralisé des Français.
Aucun des pays qui connaissent les crises les plus graves n'a quitté l'euro. Il doit bien y avoir une raison...
M.L.P. : Parce qu'ils sont victimes d'un chantage. On les menace de les jeter hors de l'euro. Je refuse cette procédure brutale. Je suis pour l'organisation d'une sortie concertée de l'euro. Je crois qu'il y a maintenant 60 économistes qui défendent la même position. Mais ils ne plaisent pas aux élites et on ne les voit pas trop souvent sur les plateaux de télé ou dans les colonnes des journaux.
Êtes-vous satisfaite du compromis François Hollande/Angela Merkel concernant l'ouverture des négociations sur l'accord de libre-échange entre l'Europe et les États-Unis, en même temps que la création d'une commission d'enquête sur l'étendue de l'espionnage américain au détriment de l'Europe ?
M.L.P. : Je voudrais surtout que l'on arrête de se moquer des Français. Ce traité transatlantique est un acte de soumission. Ce traité est mortel pour notre économie, notre agriculture, notre défense, notre liberté et notre indépendance. Y participer démontre que la France n'est plus un pays libre. La présidence de la République est en réalité vacante. Voyez l'épisode humiliant au possible d'un président de la République interdisant à un chef d'Etat étranger le survol du territoire français sur ordre de Washington.
Avant les Européennes, il y a les Municipales. Combien de mairies espérez-vous conquérir ?
M.L.P. : Impossible de le dire aujourd'hui. Nous aurons des municipalités et surtout, des centaines de conseillers municipaux qui vont porter le message du FN
Qu'est-ce que changerait, pour une localité, la présence d'un maire FN ?
M.L.P. : Tout ! On arrêterait d'augmenter les impôts, on rétablirait la sécurité, on cesserait de subventionner les associations communautaristes, on en finirait avec le clientélisme, une spécialité de l'UMPS.
Un maire FN appliquerait la "priorité nationale", doctrine de votre parti ?
M.L.P. : Vous savez pertinemment que nous voulons diriger les municipalités dans le respect de la loi. La priorité nationale sera appliquée lorsque nous aurons gagné le pouvoir au niveau national. Pas avant. Je ne raconte pas d'histoires. Je dis seulement aux Français : Voyez ce que nous sommes capables de faire dans une ville et, forts de cette expérience, vous pourrez nous confier la direction de notre pays. Une fois au pouvoir, nous ferons plus et mieux car nous pourrons changer les règles du jeu.
Un maire FN supprimerait les menus hallal ou casher dans les cantines des écoles ?
M.L.P. : Évidemment. Il faut rétablir la laïcité à l'école où elle est de plus en plus souvent violée. Il faut y supprimer tout ce qui a un aspect religieux.
Que répondriez-vous aux électeurs qui vous feraient remarquer qu'il y a déjà eu des municipalités FN à Vitrolles, Marignane et Toulon et que ça ne s'est pas bien terminé ?
M.L.P. : Je leur dirais que c'était il y a plus de 20 ans. Et que les résultats de ces municipalités n'étaient pas mauvais tant qu'elles étaient encadrées par le FN. Après, les maires ont repris leur liberté et ont fait n'importe quoi, d'ailleurs parfois sous l'étiquette de l'UMP.
L'élection de Villeneuve sur Lot a montré les progrès du FN. Mais vous butez toujours sur la marche la plus haute.
M.L.P. : Après l'élection de l'Oise, celle de Villeneuve-sur-Lot a surtout révélé que le Front Républicain ne fonctionne plus très bien. Dans les deux cas, c'est quand même ce qu'il en reste qui a permis à l'UMP de gagner. Ça prouve que dans une confrontation seul à seul, le FN serait le premier parti de France. Aux prochaines législatives, nous dépasserons cette barrière des 50%, comme nous l'avons déjà fait dans de nombreux cantons.
Vous êtes convaincue de la chute de l'UMP. Diriez-vous la même chose du gouvernement et du PS après les attaques de Delphine Batho ?
M.L.P. : Madame Batho énonce ce que nous disons depuis longtemps, à savoir que le PS n'a rien de social, qu'il défend une ligne ultra libérale, avec transfert de souveraineté. Comme Nicolas Sarkozy, qui avait le talent de mieux le dissimuler, François Hollande applique la feuille de route qu'il reçoit de l'Union européenne. Si Madame Batho s'en aperçoit seulement maintenant, c'est qu'elle est bien naïve.
Elle déplore que cela renforce vos chances électorales !
M.L.P. : Oui, comme tout le monde. Ils s'accusent les uns les autres de faire monter le FN. Ils feraient mieux de se préoccuper de l'étendue de leur incompétence économique et politique.
Comment imaginez-vous le scénario de l'arrivée du FN au pouvoir ?
M.L.P. : Par une victoire à la Présidentielle suivie d'une majorité confortable à l'Assemblée nationale.
Vous vous voyez à l'Élysée en 2017 ?
M.L.P. : Je pense que nous arriverons au pouvoir, au maximum dans les 10 prochaines années. Donc, peut-être en 2017. Il le faudrait. La destruction qui est imposée à la France commence à s'attaquer aux fondations.
Olivier Mazerolle
La Provence