Pendant un mois, les détenues de la maison d'arrêt de Fresnes, ont participé à la création d'une collection de vêtements avant de défiler... Pour ces femmes en souffrance, une vraie fierté.
Il ne manquait que Rachida Dati pour que la fête soit complète!
Ici, on n'a pas droit aux talons. Ça fait biper les portiques de sécurité. Le maquillage est juste toléré et les jupes ne sortent que pour le juge.
A la maison d'arrêt des femmes de Fresnes (Val-de-Marne), le défilé de mode organisé vendredi par la créatrice Nathalie Cogno valait pourtant bien les collections officielles des Lacroix ou Lagerfeld qui s'ouvrent actuellement à Paris. Pour aménager le podium, le tapis rouge a été déroulé et un rideau de lumière accroché en bas des coursives. Pour le public, des bancs ont été installés devant les cellules. Sous le filet antisuicide, la boule à facettes illumine les vingt mannequins : toutes des condamnées ou des prévenues, âgées de 20 à 50 ans. La prison et ses 96 pensionnaires est au spectacle, les filles n'en mènent pas large. « Vas-y chérie, tu tomberas jamais ! T'es sur un nuage, rassure Bora, grande noire superbe dans une tenue très carnaval de Rio. J'ai toujours rêvé de défiler en mariée et c'est en taule que ça se passe. C'est magique ce moment où on peut fuir tout ça. »
Dans les loges règne la panique ordinaire des défilés. Fréa ne rentre plus dans ses escarpins. « Putain, ça va pas », peste-t-elle, fébrile. Les quarante modèles de la collection D Tenue, tous réalisés par les détenues, passent en revue devant une assistance hurlante, mains levées. Robes, sarouels avec bas en dentelles, Crocks ou Converse, défilent sous des crinières de lionnes, des corps pailletés et les maquillages crées par les élèves de l'école Fleurimon. Face au bleu des matons, de la couleur, des fleurs, et des rayures partout... en guise de clin d'oeil aux bagnards. « C'est la fête au village. Ici aussi on peut avoir de la joie. Dommage que ce soit rare », confessent les spectatrices. Côté officiels, on est bluffé. Surveillants et intervenants ne reconnaissent plus leurs ouailles. « On s'y croirait. Certaines font illusion, admet le directeur de Fresnes, Bruno Hauron. Quand on connaît l'histoire de ces femmes, leurs souffrances au quotidien, les voir ainsi, c'est une émotion. »
Entre le défilé et les quatre semaines d'atelier de couture qu'il a fallu organiser, cette opération exceptionnelle n'a tenu qu'à un fil. « Tout dépend de leurs états d'âme : ça peut basculer pour un parloir qui s'est mal passé », reconnaît Nathalie Cogno, créatrice de la collection et organisatrice de l'événement. « Toutes ces filles sont fragiles. Certaines ont tué leur mec, d'autres sont passées par la drogue. Elles ne doivent pas toutes s'aimer mais chacune prend sur soi. Au final, ça l'a fait : dans les cours, j'en ai vu certaines terminer le tee-shirt d'une autre. » La consécration du défilé ? « Restaurer la féminité dans un lieu où elle en prend un coup et aussi l'estime de soi », estime Nathalie Cogno. « Quand les filles arrivent ici, elles sont déconstruites. Surtout chez les longues peines, l'image de soi est perturbée », admet Chloé Gardenal, directrice de la maison d'arrêt des femmes. Plaire à nouveau et séduire participent « à la réinsertion et à la réhabilitation sociale », insiste aussi Balthazar Lionnard, opérateur culturel du service pénitentiaire. « Un simple défilé, ça contamine toute la détention. Longtemps après, on sent un mieux-être chez les filles. C'est palpable. »
(Source Le Parisien)