Je suis ethnologue, une fille de la Seconde Guerre mondiale de parents juifs immigrés en France depuis six ans et venant de Turquie. Je suis mariée à un non-Juif.
Rennaise depuis 1978, par hasard parce que mon père a été commerçant à Saint-Malo, lui aussi tout à fait par hasard, après avoir été marchand ambulant. C'est comme cela que les immigrés s'en sortaient à l'époque. J'ai été étudiante à Rennes dans les années 59, 60 et 61, en ethnologie. Des études que j'ai achevées à Paris. Avec mon mari, sociologue, au début des années soixante, nous nous sommes intéressés aux populations venues d'Asie du Sud-Est. Nous avons travaillé sur les rapatriés d'Indochine. Nous avons vécu dans des villages de rapatriés, dans l'Allier et dans le Lot-et-Garonne. Je me suis aussi beaucoup intéressée aux Cambodgiens. Ici, à Rennes, nous avons fondé un laboratoire de relations interethniques. Nous avons formé beaucoup de jeunes étudiants. Et puis le temps a passé, empli de tant de riches expériences.
Regard sur les étrangers
Même si elle est importante, ma judéité ne comptait pas plus que cela. Et, à la fin de ma carrière, je me suis dit qu'après m'être tant intéressée aux autres, j'allais peut-être pouvoir m'intéresser aux miens. Donc, je suis revenue à mon groupe d'appartenance.
Depuis très longtemps, on me demandait de venir à la communauté. Je répondais que je la trouvais très religieuse alors que je ne suis pas croyante. On m'a dit que cela n'avait pas d'importance. J'ai été un peu longue à me décider jusqu'au jour où je me suis dit que je pourrais faire l'étude de cette communauté.
Cela s'est produit plus tôt que je le pensais quand, un jour, le président de l'université de Rennes a reçu une lettre d'une personnalité locale juive importante qui lui demandait une étude universitaire des juifs à Rennes. Je me suis dit que c'était un peu fort ! S'il y avait quelqu'un qui devait faire une étude des juifs à Rennes, c'était bien moi. C'est mon métier.
À l'origine, mon livre repose sur la volonté de faire un travail de retour. À la faculté, j'avais lancé une enquête sur le regard des gens sur les étrangers et, notamment, comment les Juifs étaient considérés. Beaucoup se sont étonnés : ah ! Il y a des Juifs à Rennes ? Effectivement, qu'est-ce qui distingue un Juif de quelqu'un d'autre ? Rien ! Nous avons été éduqués dans le cadre de l'intégration totale. Dans ce livre, j'ai voulu resituer les témoignages des gens que j'ai rencontrés : la mémoire que les personnes interviewées - quatre-vingt-dix - ont de leur passé, de celui de leurs parents, comment ils l'ont transmis. Et puis, aujourd'hui, comment ils vivent leur judéité.
Tant de manières d'être juif
Le livre déconstruit, en quelque sorte, l'image globale du Juif. Il n'y a pas un Juif ou les Juifs. Il y a des Juifs et beaucoup de manières de l'être. Non, être juif ce n'est pas nécessairement pratiquer une religion. La Gestapo quand elle arrêtait, elle ne demandait pas aux gens s'ils étaient croyants ! Etre juif, c'est éventuellement croire et être religieux mais les Juifs forment également un peuple. Être juif, c'est une appartenance ethnique. Il n'y a pas de race. Je n'aime pas non plus le mot communauté. Il y a des Juifs communautaires, par exemple, ceux et celles qui fréquentent le centre culturel Edmond J. Safra.
Ceux qui vont soit à la synagogue soit écouter des conférences. Il y a beaucoup de définitions possibles du Juif. Les Juifs religieux vous diront que l'on est juif que par sa mère. Quelqu'un qui est juif par son père mais qui revendique la judéité, à mon sens, il est Juif.
Susciter des débats
Aujourd'hui, les opinions sur les Juifs sont très variables selon la situation. Pendant la dernière guerre à Gaza, tout le monde nous est tombé sur le dos, comme pour le Liban. Nous ne sommes pas homogènes sur le plan de la politique d'Israël. Même si l'attachement à Israël est indéfectible chez quasiment tous les Juifs. Ce qui ne les empêche pas d'être des Français qui se réclament de la liberté, de la laïcité, des Lumières. Nos parents nous ont éduqués dans le sens de la laïcité. Ce que l'on pense de nous, ce que l'on dit de nous, cela passe.
C'est aussi pour cela que j'ai écrit ce livre car je crois qu'il faut donner à connaître ce que l'on est dans notre complexité, dans nos contradictions et donner à connaître aux Juifs aussi. Essayer de montrer que notre image est plurielle. J'aimerais que ce livre soit compris, qu'il suscite des débats et des conférences, à Rennes, mais partout en France car ce livre n'est pas seulement rennais. Il est dans le champ de la France.