Démolir ou restaurer l'église ? Dans un nombre croissant de communes françaises, le dilemme devient d'actualité. Désertées, n'accueillant qu'une messe par semaine, voire moins, nombre de lieux de culte se dégradent faute de moyens de la part des municipalités dont ils dépendent, s'ils ont été érigés avant la loi de 1905. A Berville-en-Caux (Seine-Maritime), le maire a demandé à ses 500 administrés de trancher, le 30 janvier.
La majorité a opté pour la rénovation. L'édifice consacré à Saint-Wandrille ne connaîtra pas le sort de ses homologues de Parisot (Tarn), Saint-Georges-les-Gardes ou Fief-Sauvin (tous deux dans le Maine-et-Loire), détruits car ils menaçaient de s'écrouler.
Bizarrement, nul ne sait précisément combien d'églises recèle l'Hexagone. « On est incapable de le dire », avoue Bruno Foucart, président du comité du patrimoine cultuel au ministère de la Culture. Et d'avancer une fourchette « extrêmement sommaire » : il y aurait en France « de 60 000 à 100 000 églises, dont 11 200 sont classées monuments historiques ».
Quant à savoir combien risquent une démolition, « il n'y en a pas plus d'une demi-douzaine », comme à Arc-sur-Tille. « Personne n'a la volonté de détruire systématiquement les édifices religieux. Les démolitions pures et simples sont d'ailleurs rares, constate Bruno Foucart. Souvent, les communes démolissent pour reconstruire un lieu de culte plus adapté aux besoins de notre époque. »
Présidente de l'Observatoire du patrimoine religieux, Béatrice de Andia souhaite néanmoins tirer le signal d'alarme : « Sachant que la France compte 10 000 villages de moins de 200 âmes qui tous ont leur clocher, qu'il y a 10 000 autres communes de moins de 3 500 habitants avec parfois plusieurs clochers, le problème de la restauration est devant nous. » Et précise : « Il faut savoir que détruire une église coûte aussi cher, de 250 000 à 300 000 €, que la restaurer. »
L'épiscopat a pour sa part mis en place un groupe de travail, Usage et devenir des bâtiments d'Eglise. Il présentera le résultat de ses travaux lors de l'assemblée plénière de la Conférence des évêques de France, en novembre 2008.
(le Parisien 02.03.08)
De moins en moins fréquentées, les églises coûtent cher à entretenir et les maires s'interrogent. Faut-il les préserver ou doit-on les démolir ? Pas de doute, de gros nuages noirs surplombent désormais les petits clochers ruraux. Comme si le tabou de leur destruction commençait à se lever. Béatrice de Andia, à la tête du nouvel Observatoire du patrimoine religieux, affirme que, sur la base d'un rapport du Sénat, « 3000 des 15 000 églises rurales protégées » seraient « en situation de péril ». « Ce qui laisse augurer, explique cette ancienne responsable de l'action artistique de la Ville de Paris, que les bâtiments non classés, qui ne sont pas une priorité pour l'État, ont un sombre avenir devant eux. »
Christian Prunier, créateur en 2003 du site clochers.org, destiné aux généalogistes, reconnaît, lui, que « pour se débarrasser d'un bâtiment, il suffit de le laisser pourrir 20 ans, de l'entourer ensuite de bandes rouges pour signifier son danger puis de faire établir un arrêté de péril. La démolition n'est alors plus une honte. Elle est conseillée ». Les Français sont pourtant « viscéralement attachés » à leurs églises, dit Alain Guinberteau, créateur de 40000clochers.com, qui a lancé un concours photos couronnant le meilleur chasseur de clochers.
Dans la région historique des guerres de Vendée, où les chapelles ont fleuri au XIXe siècle, de plus en plus d'édiles ont franchi le pas et commencent à détruire leur clocher faute de moyens pour les entretenir.
De l'herbe folle a poussé entre les tas de pierres, de vieux carrelages et d'ardoises brisées. Un angle de mur est encore vaguement debout et des tiges de fer rouillées pointent vers le ciel. En cet endroit désolé, il y a moins d'un an, se dressait encore une église dominant toute cette région, théâtre des guerres de Vendée. Bâtie en 1870 sur un point culminant du Maine-et-Loire, à 200 mètres d'altitude, l'église paroissiale du village de Saint-Georges-des-Gardes a été démolie en août dernier. « Dé-construite », précise le maire, Gabriel Lahaye, qui, sans être un adepte du philosophe Jacques Derrida, a choisi ce terme pour son image moins violente, « plus respectueuse ».
La commune de 1 500 habitants possède une autre église et, ne pouvait pas supporter les charges d'une réhabilitation : bien au-delà du million d'euros. Les églises construites avant 1905 sont, en effet, à la charge des collectivités locales. « On m'avait dit : tu le regretteras ! Mais il n'y a rien à regretter », assure Gabriel Lahaye. Un habitant, Gérald Eloire, a bien tenté de s'opposer à la démolition avec une lettre ouverte au maire, la création d'une association, la mobilisation des médias. En vain. Cet athée convaincu, qui avait choisi de s'installer dans ce village justement pour le charme de son église, n'a entraîné qu'une poignée d'habitants derrière lui. Et récolté beaucoup d'hostilité.
Le maire, qui va faire construire un petit oratoire de style contemporain sur le site de l'ancienne église, assure que « d'autres communes s'apprêtent à franchir ce pas ». La région est en effet pleine d'églises construites au XIXe siècle pour accueillir une population très pratiquante et en pleine croissance, en « réparation » aussi de la Révolution, quitte alors à détruire des églises trop petites ou trop abîmées qui avaient pourtant, elles, une réelle valeur architecturale. À 18 km de cette colline des Gardes, en effet, Bernard Briodeau, maire « plutôt centriste » de Valanjou, affirme avoir tourné les plans, les expertises, les aides régionales ou départementales et les comptes communaux dans tous les sens avant de se rendre à l'évidence : l'église Saint-Martin de son village est aussi vouée à la disparition. À terme, il espère ne conserver qu'une tour défensive du XVe siècle contre laquelle avait été édifié le bâtiment au XIXe.
Pour l'instant, la démolition ne concerne que le clocher et la chambre des cloches. Comme à Saint-Georges-des-Gardes, le clergé, affectataire des lieux, n'a pas bronché. La messe est célébrée dans une autre église de cette petite commune blottie dans les chemins creux et qui ne compte pas moins d'une cinquantaine de chapelles, oratoires ou calvaires. « La pratique a nettement chuté ces dix dernières années, souligne le maire, et les catholiques pratiquants acceptent la décision. Ils savent leur foi plus forte que des vieilles pierres sans valeur. La priorité de l'Église, aujourd'hui, ce sont les pierres vivantes ! » En revanche, Bernard Briodeau a reçu des lettres de personnes parfois extérieures à la commune, anonymes ou non, lui promettant « le feu de l'enfer » s'il commettait « cet acte sacrilège ». « Je sais, admet-il, que dans cette région, on ne touche pas à une église, même si la messe est un lointain souvenir. C'est historique et viscéral. Mais que puis-je faire ? »
Maire de Gesté, à 45 km de là, Michel Baron dit lui aussi avoir cherché d'autres solutions. D'autant que l'église, très vaste, dont le conseil municipal vient de voter la démolition, est la seule de la commune de 2 500 habitants. La messe y est encore célébrée. À la place, le maire promet de construire « une salle de 500 places, susceptible d'être divisée en deux, moderne, facile à chauffer, attirante pour les jeunes... » Le curé de la paroisse, Pierre Pouplart, reste sur la réserve. « Ce sont les affaires de la commune, esquisse-t-il, je comprends qu'elle s'interroge sur le coût de l'entretien. » Responsable de l'art sacré pour ce diocèse d'Angers, le père André Boudier observe : « Les églises de qualité doivent être sauvegardées. Pour les autres, il faudra accepter de les détruire et de construire à la place des édifices mieux adaptés aux besoins d'aujourd'hui... »
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