TRIBUNE LIBRE - Dominic Lawson - The Independent
Le week-end dernier, je suis allé voir un nouveau film qui a été tourné par quelqu'un qui a abusé d'un enfant. C'était un très bon film.
« The Ghost Writer » de Roman Polanski démontre que les capacités artistiques d'un cinéaste, dont le talent est un des plus constants du monde du cinéma, n'ont pas faibli. Je peux donc comprendre que la critique le couvre de louanges.
Cependant, Polanski n'a pas été interviewé à la télévision comme l'est habituellement toute personne encensée par la critique. C'est qu'il est détenu dans son chalet de Suisse, en train de se battre contre un arrêt d'extradition du tribunal de Californie suite à l'abus sexuel d'une mineure de 13 ans, Samantha Geimer, en 1977.
Le monde du cinéma, et même le monde de l'art en général, considère que cela (l'arrestation de Polanski, non le fait qu'il ait abusé d'une fille de 13 ans) est un scandale.
Cette façon de voir était manifeste dans le commentaire qu'a fait l'année dernière l'actrice hollywoodienne Whoopi Goldberg pour le défendre : « Je sais que ça n'était pas un viol-viol » [« I know it wasn't rape-rape » en anglais].
Grâce à ce remarquable néologisme, Goldberg a donné une nouvelle gloire à cette vieille formule (généralement prononcée par des hommes) : « Elle dit non mais ça veut dire oui ».
Jugé selon le chef d'inculpation le moins grave
Il est donc nécessaire de rappeler le témoignage de Geimer au grand jury de la cour suprême de Los Angeles. Elle a raconté à la cour que chez Jack Nicholson, le metteur en scène de 44 ans avait mis une drogue, du quaalude, dans son champagne puis lorsque, l'esprit embrouillé, elle lui avait demandé à plusieurs reprises de la ramener chez elle, il avait ignoré ses demandes et avait commencé à abuser d'elle.
Polanski, de toute évidence, avait l'esprit moins embrouillé qu'elle, car il lui a demandé plusieurs fois si elle prenait la pilule. Comme elle ne répondait pas, il l'a sodomisée. Geimer a dit à la cour que si elle n'avait pas résisté plus fermement, c'est parce qu'elle « avait peur de lui » ; mais pas au point de ne pas oser révéler à sa mère « notre petit secret », comme il le lui avait demandé.
La suite, tout le monde la connaît : Polanski, avec l'aide d'excellents avocats, a obtenu d'être jugé selon le chef d'inculpation le moins grave possible, soit « sexe avec une mineure », mais il s'est enfuit la veille de son procès et depuis, il fuit la justice.
Comme je l'ai dit tout à l'heure, la position « éclairée » -au moins en Grande-Bretagne et plus encore en France, son pays d'adoption- est que tout ça s'est passé il y a longtemps, et que le grand réalisateur a assez souffert, ne serait-ce que parce qu'il n'a pas pu aller chercher ses Oscars à Hollywood.
L'Eglise catholique, une « institution qui viole les enfants »
Le pape Benoît XVI, lui, n'a pas à son actif la réalisation d'œuvres telles que « Rosemary's baby » et « Chinatown » et ne bénéficie pas de la même indulgence.
C'est pourquoi des leaders « éclairés » comme Christopher Hitchens [philosophe et journaliste britannique, ndlr] et Richard Dawkins [écrivain et scientifique britannique, ndlr] ont demandé que le chef spirituel d'un milliard de catholiques soit arrêté la prochaine fois qu'il viendrait en Angleterre, pour complicité de dissimulation d'actes pédophiles.
Le professeur Dawkins a écrit dans le Washington Post, la semaine dernière, que « l'ancien responsable de l'Inquisition devait être arrêté s'il osait mettre un pied à l'extérieur du Vatican, son dérisoire petit fief, et qu'il devrait être jugé dans une cour civile appropriée. » Pour faire bonne mesure, il a ajouté que l'Eglise catholique est une « institution qui viole les enfants ».
J'ai toujours cru que c'étaient des personnes qui violaient les enfants et non des institutions. Mais peut-être que ce qui intéresse le professeur Dawkins n'est pas tant d'amener des pédophiles devant la justice, que de régler ses comptes avec l'Eglise catholique.
De fait, tout devient clair -Darwins est toujours merveilleusement limpide- quand on se réfère à son livre « Pour en finir avec Dieu », publié en 2006. Il écrit :
« Nous vivons une époque d'hystérie en ce qui concerne la pédophilie, une sorte de réaction psychologique de masse qui rappelle la chasse aux sorcières de 1692. »
Et Dawkins ajoute :
« L'Eglise catholique romaine a payé un lourd tribut à cette opprobre rétrospective… Je déteste l'Eglise catholique romaine mais je déteste encore plus l'injustice et je ne peux pas m'empêcher de me demander si cette institution n'a pas été diabolisée injustement dans cette affaire, spécialement en Irlande et en Amérique ».
Je ne me souviens pas que Polanski ait présenté la moindre excuse
Il semble que le pape lui-même -quatre ans semble-t-il après que Dawkins a écrit cela- ait un regard beaucoup moins tolérant sur ce qui s'est passé en Irlande.
Le mois dernier, le pape a envoyé une lettre pastorale aux catholiques d'Irlande dans laquelle il écrit :
« Beaucoup d'entre vous ont ressenti une grande consternation et un terrible sentiment de trahison à l'annonce de ces crimes inadmissibles [l'abus d'enfants par des prêtres] et en apprenant la manière dont les autorités de l'Eglise d'Irlande les avait traités… Vous avez beaucoup souffert et je le regrette profondément.
Je sais que rien ne peut effacer le mal qui vous a été fait… Beaucoup d'entre vous se sont aperçu que même quand ils avaient le courage de parler de ce qui leur arrivait, personne ne voulait les écouter. »
Peut-être que quelque chose m'a échappé, mais je ne me souviens pas que Polanski ait présenté la moindre excuse à la personne dont il a abusé, bien qu'il ait accepté en 1993 de donner 500 000 dollars à Madame Geimer, sans doute pour qu'elle cesse d'être un témoin à charge.
Ce que je veux dire, c'est que contrairement au pape qui se rend parfaitement compte de l'ignominie dont se sont rendus coupables -d'une manière systématique- des membres du clergé catholique, Polanski se croit sincèrement innocent. En fait c'est lui-même -et non l'adolescente de 13 ans qu'il a sodomisée- qu'il voit comme une victime.
Polanski, il faut le reconnaître, n'est pas un hypocrite. Il n'a jamais prétendu être un garant de l'ordre moral. C'est pourquoi la conduite des prêtres qui ont abusé d'enfants qu'on leur avait confiés et la manière dont les évêques les ont couverts nous révoltent tout particulièrement : ils prétendaient incarner l'autorité du Christ lui-même qui a dit :
« Celui qui offensera un de ces petits enfants qui croient en moi, mieux vaudrait pour lui qu'il soit jeté dans la mer avec une pierre autour du cou ».
Le pouvoir, point commun entre Polanski et les prêtres pédophiles
Cependant, il y a aussi un point commun entre la conduite de Polanski et celle des prêtres prédateurs sexuels. Dans les deux cas, l'abus est aussi un abus de pouvoir.
C'est plus évident dans le cas du clergé, particulièrement dans un pays comme l'Irlande où la constitution de la République elle-même leur donnait une autorité « spéciale ». Ils avaient en fait un pouvoir absolu, qui n'était pas seulement absolument corruptible, mais qui terrifiait leurs victimes et leur enlevait toute capacité de résistance.
De la même façon, le metteur en scène de renommée mondiale était parfaitement conscient du pouvoir qu'il exerçait sur une future starlette de 13 ans à qui il avait promis une photo dans Vogue. C'est toujours la même histoire à Hollywood, mais ce n'en est pas moins écœurant pour autant.
L'affirmation « en fait, elle en avait envie » ne convaincrait pas le monde culturel si la personne qui invoquait cette éternelle excuse n'avait pas un pedigree d'artiste.
De même qu'il est honteux que l'Eglise catholique, à quelque niveau que ce soit, ait pu considérer que sa réputation était plus importante que les souffrances d'enfants, de même ceux qui ont mis leur foi dans des artistes devraient comprendre que eux non plus ne sont pas au-dessus du bien et du mal.
Traduit de l'anglais par Dominique Muselet
Rue 89 - 24/04/2010